Depuis l'évitement, la surplombant par la RN2, au sud de l'agglomération d'El Amria, sur près de 50 000 m2, la tannerie ne présente plus aux automobilistes l'aspect répulsif qu'elle renvoyait des décennies auparavant. Datant de 1958, la rouille qui grêlait de partout ses structures témoignait de son état avancé de décrépitude. Aujourd'hui, et depuis 2015, son intérieur est également tout aussi avenant. Elle n'est plus le tas de ferraille que nous avons visité il y a quelques années (El Watan du 11/7/2013). 449 millions de dinars ont été investis pour sa réhabilitation et sa remise à niveau grâce à la transformation de son processus de production avec l'installation d'équipements performants. L'objectif était que sa production ne soit plus limitée à la seule exportation de cuir semi-fini, mais d'un cuir prêt à l'emploi, ce qui augmente la plus-value sur la transformation des peaux. Mais encore, sa capacité de production a été doublée, celle installée primitivement s'étant réduite de 16 tonnes/jour à sa moitié. Aujourd'hui, elle est passée à 1,2 million de pieds-carrés par an, un pied carré équivalent à 33cm/33, cette unité de mesure étant plus adéquate que le tonnage en maroquinerie. Par ailleurs, malgré l'installation d'une technologie avancée qui réduit le nombre d'intervenants sur les postes de travail, le nombre de salariés a légèrement augmenté, passant de 75 environ à une moyenne de 100. Houari Abdallah, le directeur, nous fait la visite des lieux. Le personnel est réduit : «C'est la période des congés. Les présents préparent la reprise.» Un des ouvriers est occupé à mettre en plusieurs tas des peaux de mouton sortant de la première opération de transformation. Elles sont de celles livrées d'Oran à la tannerie. Totalement pelées, gorgées d'eau, tannées, elles sont d'apparence laiteuse. Leur transformation en cuir n'aura cependant pas lieu à El Amria mais dans une des deux mégisseries du groupe SED, dont la spécialité est la peau d'ovins, alors que la tannerie d'El Amria, comme toute tannerie, ne traite que les peaux de bovins. Selon les chiffres officiels, l'objectif de récupération à travers la wilaya d'Oran était de 250 000 peaux, mais ce sont 150 000 qui ont pu être collectées. El Amria en a reçu 30 000, dont 2000 seulement étaient transformables. «Parce que les pièces doivent être entières, dépecées d'un tenant. Néanmoins, sur les 30 000, nous avons récupéré la laine par tonte des toisons», indique H. Abdallah. Les peaux traitées seront orientées vers les mégisseries. Qu'en sera-t-il du produit fini qu'elles en tireront ? «Tout ce que produisent les mégisseries publiques ou privées est pour l'essentiel destiné à l'exportation. La transformation en habillement et autres articles de maroquinerie ne se fait pas en raison de la difficulté que représente sa commercialisation, le marché intérieur n'étant pas porteur. Par contre, la vachette (cuir tiré du bovin) qui sert à la fabrication de chaussures, trouve preneur en Algérie. On peut se passer d'un sac ou d'une veste en cuir, mais pas de souliers, n'est-ce pas ? Sauf qu'actuellement, l'importation du bas de gamme en chaussures est en train de concurrencer les produits locaux», explique notre interlocuteur. Il reste la cruciale question de la pollution, tout autant pour les tanneries et mégisseries publiques que privées, dont les déchets liquides et organiques sont extrêmement nocifs parce que constitués de corps actifs, tels les sulfures, le chrome, les sels, les acides et d'autres composants. Depuis des décennies, ils ne sont pas traités en Algérie, l'usine étatique de Aïn Defla, qui en était chargée, ayant cessé d'exister durant la décennie noire. Par exemple, la tannerie d'El Amria, qui s'était dotée en 1997 d'une station d'épuration de ses eaux. Cette STEP devenue obsolète et fonctionnant mal, les boues extraites de son bac contenaient toujours des corps actifs. Ces boues étaient stockées parce qu'elles ne pouvaient être accueillies par aucune décharge et parce qu'elles n'étaient plus livrées à l'unique entreprise publique chargée de leur traitement. Ces boues demeurant à l'air libre sont lessivées par les pluies, le chrome et les autres produits chimiques et se retrouvent dans le ruissellement des eaux pluviales pour aller polluer la nappe, la sebkha, les champs et le quartier voisin. L'aberration de la remise à niveau des sept tanneries et mégisseries de l'ASED a été décidée et lancée en mettant sciemment au second plan la protection de l'environnement de façon, – avait-il été expliqué selon un calcul d'épicier qui ne convainc personne -, à effectuer par la suite un achat groupé qui rendrait la facture moins onéreuse à l'acquisition des équipements. Lors de notre visite, l'ancien PDG de la tannerie assurait qu'une nouvelle STEP sera réalisée. Effectivement, le projet est à la phase de rédaction du cahier des charges pour la passation du marché de réalisation. Quant aux déchets solides, une nouvelle usine, selon le nouveau responsable de la tannerie d'El Amria, est en phase de réalisation à Rouiba. Elle les transformera en fertilisants pour l'agriculture. Il reste à savoir si, comme annoncé, elle prendra en charge les déchets des usines privées.