La société algérienne est de plus en plus secouée par une ingérence du pouvoir dans l'espace culturel. Plus d'un demi-siècle après l'indépendance, les autorités politiques continuent d'interdire des œuvres artistiques. Le film de Bachir Derrais sur le héros de la Révolution algérienne, Larbi Ben M'hidi, est interdit de toute projection. Le film documentaire de Bahia Bencheikh El Fegoun, Fragments de rêves, a été aussi interdit de projection en clôture de la 16e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa. Il y a quatre ans, ces rencontres cinématographiques de Béjaïa avaient été marquées par la censure du documentaire Vote off de Fayçal Hammoum. Le pouvoir assume pleinement cette censure. Tour à tour, Azzedine Mihoubi et Tayeb Zitouni ont publiquement endossé ce rôle de censeurs en affirmant que le film de Derrais ne peut être projeté qu'après la prise en considération des réserves émises par la commission ad hoc. Le ministre des Moudjahidine va jusqu'à regretter la diffusion de séquences du film Larbi Ben M'hidi par des chaînes de télévision étrangères. Cette commission de censure juge que dans cette biographie, l'aspect politique a été privilégié et désapprouve l'accent mis sur les dissensions internes entre les chefs du FLN ainsi que sur le conflit qui avait opposé, d'un côté, Ahmed Ben Bella et la délégation extérieure et, de l'autre, Larbi Ben M'hidi, Abane Ramdane et le CCE. La commission va plus loin en reprochant au film d'avoir porté atteinte aux symboles de la Révolution ! Une aberration qui rappelle une période marquée par une chape de plomb que les Algériens ont cru bien révolue. A travers cette commission de censure, le pouvoir fait le procès des œuvres cinématographiques et agit comme un procureur, un gardien du temple qui veut étouffer une œuvre de fiction. En vertu d'une loi liberticide adoptée en 2011, deux œuvres artistiques ont fait les frais de la censure. Voilà une atteinte caractérisée à la liberté d'expression pleinement assumée. La manifestation cinématographique de Béjaïa est portée par la société civile. Le film documentaire de Bahia Bencheikh El Fegoun, Fragments de rêves, qui a été projeté à Valence, Alicante, Séville et Munich, au Cameroun, au Liban et en Russie, est interdit en Algérie. Une œuvre pourtant primée en Sardaigne et qui a décroché la distinction du meilleur reportage au Festival international du cinéma et de l'audiovisuel du Burundi. Ainsi, les tenants de l'autoritarisme s'attaquent à des œuvres culturelles. Le spectre de la censure hante les milieux culturels et les débats sur les limites de l'ingérence de l'Etat dans le domaine artistique ont repris de plus belle. La pression sur l'art a suscité une vive réaction au sein de la société civile, qui dénonce le contrôle des institutions de l'Etat sur le contenu des œuvres culturelles.