Plus qu'un livre témoignage sur l'expérience en Algérie d'un diplomate doublé d'une casquette non officielle d'homme de l'ombre qu'il a si bien dissimulée jusqu'à sa nomination à la tête des services de renseignement français, le livre de l'ancien ambassadeur à Alger et ancien patron de la DGSE, Bernard Bajolet, Le soleil ne se lève plus à l'est, se décline comme un essai politique qui fournit un éclairage, tantôt en clair, tantôt codé, sur le passé, le présent et le futur des relations jamais apaisées entre l'Algérie et la France. Les commentaires peu diplomatiques faits par l'ancien diplomate en Algérie sur la santé du président Bouteflika, «maintenu artificiellement en vie», la mauvaise gouvernance, le refus de l'alternance démocratique par le pouvoir algérien auraient pu rester dans le registre de la réflexion et du témoignage, n'étaient le timing de la sortie du livre et la qualité et le statut de l'auteur qui en font plus qu'un observateur averti, un acteur politique de premier plan. Il n'est pas dans la tradition de la diplomatie française, a fortiori quand il s'agit de diplomates à la retraite de fraîche date – on ne part jamais définitivement à la retraite dans le corps des renseignements – comme c'est le cas de Bajolet, de se lâcher sans retenue pour livrer des commentaires et appréciations sur les relations entre Paris et Alger à rebrousse-poil par rapport aux déclarations et positions officielles de l'Etat français. Connaissant la sensibilité à fleur de peau des dirigeants algériens peu portés sur la critique, ce pacte de non-agression a été plus ou moins respecté jusqu'ici par les deux parties, si l'on exclut quelques poussées de fièvre vite contenues. L'intrusion du livre de Bajolet dans le débat déjà passionnel et complexe entre les deux pays et dans la vie politique interne nationale en ce moment précis, à quelques mois de l'élection présidentielle d'avril 2019, où l'option du 5e mandat est l'objet d'une vive controverse en Algérie, est sans doute loin d'être fortuite. La parution du livre intervient dans une conjoncture de crise politique illustrée par les derniers événements qui ont marqué les relations entre les deux pays : la réhabilitation des harkis par le président Macron et la levée du dispositif de protection policière de nos représentations diplomatiques en France. Ces couacs sont venus s'ajouter au climat politique et des affaires tendu entre les deux capitales, fortement alimenté par la perte par la France de parts de marché en Algérie au profit d'autres partenaires, notamment la Chine. Et la position de l'Algérie sur les dossiers régionaux stratégiques jugée peu «collaborationniste» et peu au goût de Paris. Pour certains analystes, Bajolet n'a fait en l'espèce qu'exprimer tout haut ce que les officiels français pensent tout bas. Bien plus, il serait même soupçonné d'être missionné pour cela. Pour quels objectifs ? Faut-il voir dans ses propos des messages codés de la France à l'adresse du pouvoir en Algérie et de l'opposition ? Pour signifier que Paris nourrit de fortes réserves sur le 5e mandat du fait de l'état de santé de Bouteflika, décrite dans des termes peu protocolaires par Bajolet qui donne l'impression d'avoir eu accès à son dossier médical. C'est une manière de mettre ses deux fers au feu. En laissant croire que Paris s'est amendé vis-à-vis de l'opposition qui lui a toujours reproché son alignement aveugle sur le pouvoir, tout en tentant, par ailleurs, d'exercer des pressions sur le même pouvoir en monnayant au meilleur le prix du soutien de l'Elysée à l'option de «la continuité» lors de la prochaine élection présidentielle.