Yann Caillère est le directeur général de l'hôtellerie Accor France, Europe du Sud, Afrique, Moyen-Orient et Amérique latine et CEO Sofitel monde. Il est pratiquement le numéro 2 du groupe. Il nous livre son analyse sur le développement du groupe Accor dans le monde, le repositionnement des marques, ainsi qu'un regard sur Accor en Algérie. L'ouverture d'Ibis Alger Aéroport fait partie d'un grand projet d'investissement. Accor s'implique concrètement dans le marché algérien. Est-ce le bon moment pour intensifier votre présence ? Nous avons l'intention d'investir un total de 300 millions d'euros, investissement qui va s'étaler sur plusieurs années. Ibis est le premier maillon de la chaîne. Nous estimons qu'un besoin se fait ressentir sur le marché algérien qui n'est pas encore très ouvert d'une manière générale : il y a à peu près 1000 hôtels, mais combien sont-ils à répondre aux standards internationaux ? Nous avons une grande marge de progression sur ce marché. Dans le monde entier et à chaque fois qu'on arrive avec cette chaîne, on prend toutes les parts de marché. Nous sommes toujours les leaders, que ce soit sur les marchés européen (français, belge, hollandais, espagnol), nord-africain ou asiatique, car on a installé en chine des hôtels Ibis. C'est un produit qui correspond parfaitement à une hôtellerie économique de qualité. L'Algérie se situe parfaitement dans le marché des pays qui sont capables d'accueillir les Ibis. C'est une marque reconnue qui va nous permettre très rapidement de prendre des parts de marché. La deuxième marque que l'on va développer est Novotel, une hôtellerie haut de gamme (3-4 étoiles) et moderne, aussi bien par sa décoration que par le niveau des services, très orientée vers les nouvelles technologies et qui correspond tout à fait aux nouveaux comportements des clients qui sont un peu plus jeunes (hommes d'affaires). Quel regard portez-vous sur vos concurrents sur le marché algérien ? Accor se développe plus vite que ses concurrents dans une hôtellerie économique et milieu de gamme dans des pays d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. La raison est simple : Accor est un groupe qui prend des risques. quand on vient dans un pays, on investit, ce n'est pas le cas de nos concurrents qui cherchent en général des contrats de management ou de franchise uniquement. C'est ce que l'on fait en Algérie avec Djillali Mehri. On trouve un partenaire sur place, on investit avec lui, ce qui prouve qu'on prend des risques. Si on y croit, on met de l'argent et à ce moment-là, on se développe plus vite que les autres. Il n'y a pas d'autre mystère. Vous avez opéré un repositionnement de la marque Sofitel. Est-ce un virage décisif ? Il y a trois ans, nous avons fait le constat suivant : les Sofitel, au nombre de 206 dans le monde, formaient une chaîne qui n'était pas suffisamment bien positionnée dans le monde du luxe. C'est un univers où on ne peut pas faire de l'à-peu-près : il faut viser juste et tout de suite ; on a fixé le positionnemnent, c'est-à-dire une hôtellerie de luxe, comparativement à Hyatt, Western, Intercontinental. On fait un travail sur notre réseau. Les hôtels qui vont rester, nous les avons rénovés et nous avons formé les travailleurs. Nous avons aussi changé les standards. L'opération va durer 5 ans et en même temps, on sort des hôtels du réseau. Actuellement, nous en sommes à environ 150 hôtels. Ils sont devenus soit des Mercure, soit des Pullman, qui est une marque qu'on a lancée pour concurrencer des marques telles que Hilton ou Sheraton et les hôtels de type aéroport ou bien des grands hôtels de conventions/séminaires. Nous sommes en train de tirer le produit Sofitel Alger vers le haut, on améliore le service et on effectue un programme de formation dans l'hôtellerie de luxe. Le client qui va venir va être plus exigeant par rapport au positionnement ; on augmente les prix et les services avec de nouveaux standards. Il s'agit d'une hôtellerie de luxe avec une touche française. En réalité, nous voulons mixer la culture française et la culture locale. Nous voulons raconter une histoire aux clients ; nous ne voulons pas d'une hôtellerie de type américain complètement aseptisée. n'est-ce pas un pari risqué vu la conjoncture actuelle marquée par un ralentissement économique ? C'est moins risqué que de rester dans l'hôtellerie dans laquelle on était avant, car les gens ne savaient pas ce qu'était Sofitel ; vous aviez des hôtels très haut de gamme et des hôtels moyenne gamme. C'est comme une voiture, quand vous achetez une mercedes ou une Audi, vous vous attendez à une vraie mercedes, si d'un seul coup la marque s'amusait à fabriquer des voitures bas de gamme avec le tampon mercedes, vous serez déçu ; or, c'est pareil dans l'hôtellerie, il faut être conforme à ce que le client attend et lui fournir le service qu'il attend. Sofitel est aujourd'hui une hôtellerie de luxe, mais on n'est pas dans l'hôtellerie très très luxueuse où certains parlent de 7 ou 8 étoiles. On revendique une hôtellerie 5 étoiles avec un côté sobre et élégant. Cependant, nous ne cherchons pas la quantité, nous n'avons pas l'ambition d'ouvrir 500 Sofitel. Le jour où on aura entre 200 et 250 Sofitel, on sera contents ! En Algérie, ce sera l'unique Sofitel et compléterez-vous la gamme avec d'autres marques ? On pourrait concevoir d'avoir deux Sofitel à Alger. Chez Sofitel, vous avez deux déclinaisons : une hôtellerie moderne et très branchée qui s'appelle « So By Sofitel » qui s'adresse à des jeunes plus branchés et il y a Legend, des hôtels qui sont très connus, le Saint George pourrait devenir, par exemple, un Legend. Ce sont des hôtels mythiques qui racontent une histoire telle que le Métropole à Hanoï (Vietnam) et Palais Jamaï à Fès (Maroc). La force du groupe Accor est d'être dans tous les créneaux : l'hôtellerie économique est moins cyclique que le haut de gamme, parce qu'on est sur des marchés domestiques. Il y a des moments où ça marche très bien et des fois ça marche moins bien. On revient aux projets qui sont bien avancés en Algérie. Quelle est votre démarche ? Je pense qu' il faut dire que si on y va avec Djillali Mehri, c'est qu'on pense que l'Algérie est un pays à fort potentiel économique et démographique. L'Algérie est un pays jeune et il a tout l'avenir devant lui. C'est un pays peu endetté qui a des ressources. on fait confiance aux Algériens et on se dit qu'ils vont progresser et que si on peut progresser avec eux, c'est tant mieux. Il faut qu'ils se disent que si on vient ici, c'est un message qui est extrêmement positif. Vous avez choisi des villes comme Tlemcen et Constantine, y a-t-il une étude qui démontre qu'il y a un flux d'affaires suffisant ? On a choisi les principales villes dans notre plan de développement, là où il y a un flux de business ou de tourisme, soit du tourisme local ou d'Algériens qui reviennent en Algérie et qui ont une demande de ce type d'hôtellerie, car ils connaissent notre produit. Quand ils viendront en Algérie, ils descendront à Ibis, Mercure ou Sofitel, une fois qu'on aura mis notre réseau en place, on va s'implanter dans les principales villes. On va construire d'autres Ibis à Alger. Vous butez sur le problème du foncier... Ce n'est pas propre à l'Algérie. C'est pour cela qu'on a des équipes de développement. Tamanrasset est aussi en phase avancée de prospection. Est-ce une expérience que vous tentez ou êtes-vous sûr d'obtenir des résultats sur cette destination ? C'est juste un hôtel, on ne va pas construire des Sofitel, mais il y a un marché domestique et une marge de progression dans cette ville : on peut donner des idées aux hôteliers algériens et contribuer à tirer vers le haut le réseau algérien. C'est une manière de participer au renouveau du tourisme algérien. Comment est perçu le tourisme algérien ? Il faut qu'on soit très réaliste, le tourisme algérien est assez domestique, ce sont plus des algériens qui travaillent en Europe qui viennent en Algérie pour voir la famille et qui sont les premiers touristes. Le touriste a besoin de sécurité maximum : il y a des efforts à faire par rapport à l'image de l'Algérie, on constate que cela s'améliore d'année en année. la grande force de votre pays, et c'est l'un des rares pays qui a cela, il est le dernier qui arrive sur ce marché, il n'a pas fait les erreurs que beaucoup d'autres pays ont fait. C'est une zone vierge et je supplie le gouvernement de ne pas faire les erreurs que beaucoup de pays en Méditerranée ont fait : la massification, cela part n'importe où. L'Algérie est une page blanche, il y a une grande culture, de belles plages, il fait beau, c'est diversifié, il y a le désert, la montagne et la côte. Ce n'est pas très loin de l'Europe (1h30 d'avion). Il y a un marché potentiel énorme, l'Algérien parle arabe et français (double capacité de langue). Il faut néanmoins un plan de développement précis avec des cahiers des charges précis, mettre la barre très haut et accepter zéro compromis. Il faut que l'Algérie définisse son positionnement, qu'elle sache quel type de tourisme elle veut. Avez-vous visité d'autres hôtels en Algérie, ne serait-ce qu'en éclaireur et quelles sont vos impressions après ce voyage ? Je suis venu il y a 2 ans, on a visité les hôtels de nos concurrents (Hilton, El Aurassi, El Djazaïr), on s'est même déplacés à Constantine et Oran. Sincèrement, on peut faire la différence. On peut aussi donner une direction pour que les autres hôtels nous suivent. C'est un métier très passionnant et l'un des rares à être un ascenseur social. Chez Accor, on dit escalier social, car c'est l'un des rares métiers où vous pouvez démarrer comme réceptionniste, cuisinier, femme de chambre et finir directeur d'un hôtel. Il y a autant d'hommes que de femmes, c'est un métier d'avenir pour les jeunes algériens. Je retiendrais de mon voyage la gentillesse que j'ai ressentie en discutant avec le personnel. Avec le soleil, le potentiel que vous avez et le sens de l'hospitalité, normalement vous devez faire le grand chelem.