Des centaines de milliers de salariés français du public et du privé (entre un million et deux millions et demi, 1,08 million selon le ministère de l'Intérieur et 2,5 millions selon les syndicats) ont battu le pavé, jeudi dernier, pour demander au président Sarkozy de changer de politique et « d'entendre la rue », en répondant aux attentes sociales face à la crise économique et financière mondiale qui s'installe en profondeur en France. Cette dernière s'enfonce peu à peu dans la récession. Paris De notre bureau La crise est sérieuse, profonde et elle se généralise. La plupart des indicateurs économiques et sociaux sont au rouge en termes de croissance, de pouvoir d'achat, d'emploi, d'activité industrielle. Aussi, la journée de mobilisation pour l'emploi, les salaires et la défense du service public qui a enregistré près de 200 débrayages dans toute la France, a été plus qu'une grève de protestation classique. C'est un cri de colère, de désarroi et d'alarme qui a été lancé par des centaines de milliers de Français contre une crise qui « menace l'avenir des jeunes, met à mal la cohésion sociale et les solidarités, accroît les inégalités et les risques de précarité » , selon l'appel unitaire à la grève de jeudi 29 janvier des 8 principaux syndicats : CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, Unsa, Solidaires et FSU. La grève a touché la SNCF, la RATP, les transports urbains, La Poste, France Télécom, l'Education nationale, EDF, Radio France, les fonctionnaires dans leur ensemble, les hôpitaux, GDF Suez, la construction navale, le Pôle emploi, les aéroports, France Télévisions, la Banque de France, les banques, les magistrats, la construction automobile, la distribution… ainsi que les retraités ou les chômeurs. Des salariés du privé se sont joints aux défilés. En réponse, le président Sarkozy propose de recevoir, courant février autour d'une table ronde, les organisations syndicales et patronales « afin de convenir du programme de réformes à conduire en 2009 et des méthodes pour le mener à bien », annonce l'Elysée. Mais selon Bernard Thibault, patron de la CGT, pour qui l'objectif de cette journée de débrayage est de « remettre à plat le diagnostic économique et social » du président de la République,« s'il s'agit, comme je crains de le comprendre, de discuter de l'agenda des réformes que le président de la République a dans ses tiroirs, nous serons très largement en décalage avec ce que porte cette journée et la discussion n'ira pas très loin ». « Ce n'est pas la multiplication des rendez-vous qui comptent mais le résultat », a-t-il averti. Les syndicats demandent que toutes les mesures de baisse d'activité, comme le chômage partiel, soit « négociées » et que les aides publiques aux entreprises soient conditionnées à la préservation de l'emploi et des salaires. Ils demandent aussi au gouvernement de « mettre un terme à la spéculation, aux paradis fiscaux, à l'opacité du système financier international et d'encadrer les mouvements de capitaux ». Les dirigeants des principaux syndicats ont prévu de se retrouver lundi soir pour « apprécier le degré de mobilisation et la diversité de ceux qui se sont mobilisés jeudi ». Plusieurs partis de gauche, dont le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), le Parti communiste français (PCF) et le Parti de gauche (PG), ont signé une déclaration unitaire de soutien à la mobilisation de jeudi, intitulée « ce n'est pas à la population de payer la crise ». « Les classes populaires sont durement touchées par la crise. La politique du pouvoir est plus que jamais au service des privilégiés. L'heure est à la riposte », affirment-ils dans un communiqué diffusé notamment sur le site du NPA. Le PS, qui n'est pas signataire de cette déclaration, a appelé aussi de son côté, à une mobilisation « sociale et politique ». « Pour les Français, cette crise n'est pas seulement économique et sociale. C'est avant tout une crise de la morale. On a oublié l'homme et privilégié le profit. Et c'est aussi une crise du sens... Lorsqu'il n'y a plus de repères, toutes sortes de dérapage peuvent se produire », note Denis Muzet, sociologue, président de l'Institut médiascopie, interrogé par Le Monde. « Ce que les manifestants d'aujourd'hui réclament, c'est de la considération, de l'écoute, du dialogue et une redéfinition des priorités politiques. L'heure est venue, répétons-le, de la pause dans les réformes et de la mise en place d'une stratégie de crise à la hauteur des problèmes. Une stratégie mise en œuvre par une équipe de responsables autonome, et non un monarque et ses quelques barons », écrit Libération, résumant un sentiment général.