Il n'y avait pas foule jeudi dernier au Centre culturel algérien de Paris. A croire que les débats sur les massacres d'Octobre 1961 n'intéressent pas grand monde. Pourtant, Zeggagh Mohand, dit Rachid, ancien prisonnier de la Fédération de France en octobre 1961 et auteur du livre Prisonniers politiques en France pendant la guerre d'Algérie, a livré de précieux témoignages concernant le contexte dans lequel sont intervenus les massacres du 17 Octobre 1961 à Paris. Pour le conférencier, des signes avant-coureurs annonçaient déjà de tels massacres du moment que pour l'OAS et les partisans de l'Algérie française le but était de faire échouer les négociations d'Evian et affaiblir de Gaulle. «Il y avait une stratégie qui était de déstabiliser le pouvoir de l'interne pour empêcher les négociations d'avoir lieu», a expliqué M. Zeggagh qui a suivi les manifestations depuis sa prison. Pour cet auteur et ancien prisonnier politique, les massacres d'Octobre 1961 ont été précédés par toute une série d'événements tout aussi violents que révélateurs de la véritable nature du régime français qui acceptait mal l'idée de l'indépendance de l'Algérie. Ainsi, l'origine d'Octobre 1961 avait commencé par une manifestation à Alger en décembre 1960. Des Algériens sortis dans la rue pour demander la liberté ont été tués. Le bilan aurait atteint une centaine de morts. Le 8 janvier 1961, un référendum destiné au peuple français a été organisé. Les électeurs devaient dire s'ils étaient d'accord ou pas que de Gaulle consulte les Algériens à travers un autre référendum en vue de l'indépendance de leur pays. Mais l'autre signe avant-coureur ayant précédé les massacres d'Octobre, et qui semble le plus important, c'est la création de l'OAS (Organisation armée secrète) en février 1961, avec à sa tête le général Salan. Une fois mise sur pied, cette organisation violente a tenté de renverser le général de Gaulle en avril 1961 par le biais d'un quarteron de généraux, dont Salan et Zeller… Enfin, depuis juillet 1961, il ne se passait pas un jour sans que l'OAS ne commette un attentat à Alger ou même à Paris pour justement faire échouer le plan de de Gaulle qui voulait en finir avec la Guerre d'Algérie. Tous ces éléments donc, selon Mohand Zeggagh, ont conduit à la répression d'Octobre 1961, même si l'élément déclencheur reste le couvre-feu imposé le 5 octobre aux Algériens seulement de 20h30 à 5h30. Michel Debré, grand ordonnateur des massacres d'octobre 1961 Mais à l'appel de la Fédération de France, plus de 80 000 Algériens sont sortis le 17 octobre pour manifester sans armes contre cette mesure «injuste» et «discriminatoire» et demander l'indépendance de l'Algérie. Bilan des massacres qui étaient couverts par le Premier ministre de l'époque, un certain Michel Debré : 325 Algériens tués et 800 blessés, selon la Fédération de France, et 120 tués seulement selon l'Etat français. «C'est le deuxième massacre de Paris qui a fait autant de morts après celui de la Commune survenu en mai 1871», a expliqué M. Zeggagh. Pour ce dernier, s'il est évident que c'est Maurice Papon qui avait envoyé des unités de répression pour tuer les Algériens, il n'en demeure pas moins que celui qui a pris la décision de mener cette opération est bel et bien le Premier ministre de l'époque. Ce dernier était proche des thèses racistes et extrémistes de l'OAS et voyait mal l'indépendance de l'Algérie. A la question de savoir pourquoi le général de Gaulle a laissé ces massacres se perpétrer, le conférencier a répondu qu'il (de Gaulle, ndlr) voulait impliquer jusqu'au cou Michel Debré, proche des thèses de l'OAS, pour se débarrasser plus tard de lui. «Il l'a, en quelque sorte, utilisé. La preuve : dès qu'il y a eu le Référendum de mars 1962 en Algérie, de Gaulle s'est débarrassé de Michel Debré», a expliqué M. Zeggagh. Et d'ajouter : «L'objectif politique des massacres d'Octobre 1961 était de pousser les Algériens à stopper les négociations. Ce qui ne s'est évidemment pas passé.» Comme de nombreux massacres commis par la France coloniale, ceux d'Octobre 1961 ne sont pas reconnus comme étant des crimes d'Etat, malgré tout le travail que font les historiens et la Fondation du 8 Mai 1945. Celle-ci lutte pour que l'Etat français reconnaisse sa responsabilité historique dans ces massacres, mais en vain pour le moment. Certes, l'ancien président François Hollande a reconnu l'existence des massacres d'Octobre 1961 contre les Algériens, mais il n'est pas allé loin dans la reconnaissance. Quant à Macron, pour le moment, il préfère que la France reconnaisse des crimes d'Etat individuels, comme l'assassinat de Maurice Audin, que des crimes collectifs comme ceux d'Octobre 1961 ou les massacres de Sétif en 1945. Le chemin paraît encore long, d'autant plus que la France continue de garder jalousement ses archives stockées à Aix-en-Provence. A quand la vérité sur les massacres de 1961 ?