Dans un grand local situé à l'entrée du village Boumelal, dans la commune de Chemini, à 60 km au sud de Béjaïa, des femmes s'affairent à l'épluchage de figues de Barbarie. Nous sommes chez Ichalal Soraya, responsable d'une petite entreprise (Floraya), créée il y a une année dans le cadre de l'Ansej et spécialisée dans la production d'une huile rare de pépins de figues de Barbarie et des huiles essentielles. Sur la route sinueuse qui mène vers le village Boumelal, le figuier de Barbarie constitue l'essentiel de la végétation, aux côtés des oliviers. Planté sous forme de clôture autour des parcelles de terres et sur les accotements, il est complètement intégré dans le paysage rural. C'est l'une des raisons qui ont encouragé cette jeune femme à installer ses équipements dans ce village. En plus de l'abondance de sa matière première et de la disponibilité de petite main-d'œuvre, les graines récupérées de ce fruit dans cette zone au climat sec et bien ensoleillé est de meilleure qualité que celles cueillies dans la vallée de la Soummam. «En plus de la promotion de cette filière que nous tentons d'encourager dans le cadre d'un développement durable dans l'économie sociale et solidaire qui est productrice d'innovation, notre société espère aussi contribuer à la promotion de la femme rurale», nous dit Ichalal Soraya. La main-d'œuvre employée dans cette petite unité est composée de femmes au foyer issues du même village. Des mains expertes qui ont la maîtrise de la coupe du fruit en question, sachant que nettoyer une figue, un travail fastidieux, ne peut se faire sans risque de prendre ses fines épines de quelques millimètres, ce qui est désagréable. «J'ai démarré la présente saison en faisant travailler une quinzaine de femmes et à mesure que la saison de la collecte s'écoule, j'ai réduit le nombre à cinq», dit-elle. «Après avoir terminé mon travail ici, le soir, je me rends dans mon champ pour cueillir les figues de Barbarie que je vends à mon employeuse. Elle les prend pour 30 dinars le kilo. Cette activité ne dure qu'une saison, alors autant en profiter pour gagner un peu d'argent et briser la monotonie de la vie villageoise», dit l'une des travailleuses. Les principaux fournisseurs de l'entreprise sont toutes ces femmes, des habitantes des villages environnants. Même les collégiens se ruent à la cueillette des figues à la sortie des classes. Savoir scientifique La figue de Barbarie est produite ici avec des méthodes artisanales et cueillie avec des méthodes traditionnelles. «Dès qu'ils ont appris que nous nous sommes installées dans ce village ainsi que la nature de notre activité, ce sont des dizaines d'habitants qui passent chaque jour pour nous livrer leurs fruits. Je n'exige pas forcément des normes spécifiques sur le fruit, j'insiste juste à ce que le processus de transformation soit entamé dans mon unité, à commencer par le lavage et le nettoyage du fruit et le traitement des graines qui doivent être séchées suivant un procédé particulier», dit Soraya. Valoriser et transformer les graines de figues de Barbarie en huile destinée à des besoins sanitaire et cosmétique requiert un savoir-faire scientifique. Pour cette chimiste issue de l'université de Béjaïa, «le procédé semble assez simple, mais il requiert des moyens coûteux pour l'extraction de l'huile et surtout une patience sans limite. 100 kg de fruits donnent seulement 120 ml d'huile de graines de figue de Barbarie, extraite goutte par goutte pendant plusieurs heures avant de lui faire subir des analyses physico-chimiques pour s'assurer de sa qualité». D'abord, explique-t-elle, l'unité reçoit les fruits pendant toute la journée, fournis par les agriculteurs et les habitants de la région. Un groupe de femmes s'occupe par la suite de l'épluchage du fruit avant sa mise dans le broyeur qui sépare automatiquement la pulpe et les graines. Les graines sont récupérées et séchées au soleil puis à l'ombre avant d'être pressées à froid. Après chaque trituration, l'huile subit un contrôle de qualité avant son stockage dans des bouteilles ombragées. «L'huile de figue de Barbarie est précieuse et rare, pure et naturelle, non parfumée, obtenue uniquement par pression à froid des graines d'Opuntia ficus indica. Il faut près d'une tonne de figues pour obtenir un litre d'huile car la graine ne contient que 5% d'huile», ajoute notre interlocutrice. Cette huile doit son succès à ses multiples vertus, hydratante, anti-oxydante et anti-âge, atteste la spécialiste. «Sa richesse exceptionnelle en vitamine E et en stérols lui confère une aptitude hors du commun à protéger la peau contre les radicaux libres. Elle contient par ailleurs des quantités importantes d'acides gras essentiels, dont l'acide linoléique (oméga 6) et constitue donc un excellent adoucissant, un soin réparateur et un allié exceptionnel pour lutter contre le vieillissement cutané. Cette huile cosmétique végétale, grâce à ses propriétés, est également un excellent choix pour raffermir et hydrater la peau du buste qui retrouve souplesse et élasticité», développe-t-elle. Soins anti-rides, du visage, du cou et contour des yeux, prévention des vergetures, pour les cicatrices, les gerçures et les marques d'acné, les taches brunes et l'hyperpigmentation, pour les peaux très sèches, soins capillaires pour cheveux secs, pour fortifier les ongles, les vertus de cette huile sont diverses. Partenariat économique Le début de la trituration de la graine de figue de Barbarie commence dès l'entame de la récolte, c'est-à-dire vers la fin du mois d'août et l'activité se poursuit jusqu'à la mi-octobre. Elle est également tributaire des journées ensoleillées des mois de la saison automnale. En cette mi-septembre, Soraya a déjà reçu 20 tonnes de figues de Barbarie de cette région montagneuse pour laquelle elle a une préférence. Celles qui sont cueillies dans la vallée sont gorgées d'eau et le calibre des graines n'est pas à même de produire de grandes quantités d'huile. Pour l'instant, Soraya produit de l'huile à partir des graines. L'unité fabrique également, en petite quantité, de l'huile de pépins de raisin et de noix d'abricot, des produits demandés par les femmes. La réglementation ne lui permet pas d'exploiter la pulpe pour la réalisation des confitures, du jus et du vinaigre d'opuntia. Elle est constamment à la recherche d'un partenaire économique pour exploiter «les rejets», car rien ne se jette de la figue. La bureaucratie veut que la fabrication de la confiture et du jus de figue de Barbarie obéisse à un nouveau registre du commerce, donc à de nouvelles exigences techniques et réglementaires. «C'est pour cette raison que je souhaite vendre cette pulpe qui représente 65% (650 litres par jour) du produit ainsi que les épluchures qui servent à fabriquer un riche aliment de bétail au lieu de dépenser de l'argent fou pour importer en devises des aliments», dit-elle. Ceci dit, l'extension de son unité pour la variation de ses produits n'est pas exclue, mais elle préfère maîtriser davantage son créneau qui est la confection des produits cosmétiques. La jeune investisseuse dévoile qu'elle est en contact avec une société hollandaise qui fournit la base d'une crème de beauté qu'elle se chargera de développer et d'enrichir localement, en lui incorporant cette huile de figue de Barbarie. Pour ce qui est de la production de l'huile, la prévision de production cette année est multipliée par 5. L'année de démarrage, l'unité a produit quelque 12 litres, contre une prévision de 50 litres cette année. Ichalal Soraya commercialise son produit en Algérie. De petites quantités sont écoulées à travers différents rendez-vous agricoles et commerciaux, dont les foires, et même à l'aide du bouche-à-oreille. Mais elle compte investir le marché mondial, particulièrement européen, d'où parviendrait l'essentiel des demandes sur son produit dès l'obtention de son certificat Ecocert, du nom d'un organisme de contrôle et de certification des produits bio.