L'initiative du chef du gouvernement est désapprouvée par le président Béji Caïd Essebsi qui l'a qualifiée de «précipitée» et de «mise devant le fait accompli». Le bureau du Parlement tunisien devrait se réunir aujourd'hui pour examiner la correspondance adressée par le chef du gouvernement, Youssef Chahed, pour le vote de confiance aux nouveaux ministres de son cabinet. C'est ce qu'a indiqué le président de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), Mohamed Ennaceur, cité par l'APS. Youssef Chahed a annoncé, lundi, un remaniement ministériel touchant 18 portefeuilles, soit 13 ministres et 5 secrétaires d'Etat. Des départements sensibles sont concernés par cette opération, entre autres, la Justice, la Santé, le Tourisme, le Transport, l'Equipement, l'Habitat… De nouveaux ministères sont créés alors que les ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de l'Intérieur restent à leurs postes. Il a précisé avoir opéré ce remaniement conformément aux attributions qui lui sont dévolues par la Constitution pour «conférer davantage d'efficience à l'action du gouvernement» et pour former «une équipe gouvernementale solidaire et responsable qui peut assurer la stabilité dans le pays, résoudre les questions brûlantes et sortir de la crise politique». Ce remaniement est désapprouvé par le président Béji Caïd Essebsi qui l'a qualifié de «précipité» et de «mise devant le fait accompli», ce dernier n'ayant pas été consulté par le chef du gouvernement, selon la déclaration de la porte-parole de la présidence de la République, Saïda Garach. L'article 89 de la Constitution tunisienne stipule que «le gouvernement se compose d'un chef du gouvernement, de ministres et de secrétaires d'Etat choisis par le chef du gouvernement. En ce qui concerne les deux ministères des Affaires étrangères et de la Défense, le choix est fait en concertation avec le président de la République». Or, ces deux ministères n'ont pas connu de changement. L'article 92 indique que le chef du gouvernement est «compétent» en matière de «révocation et réception de démission d'un ou plusieurs membres du gouvernement après consultation du président de la République, dès lors qu'il s'agit du ministre des Affaires étrangères ou du ministre de la Défense (…). Le chef du gouvernement informe le président de la République des décisions prises dans le cadre de ses compétences citées». Dans le cas du remaniement opéré par Chahed sans avoir consulté le président de la République ni les partis politiques, selon leurs dirigeants, le président de la République peut recourir à l'article 99 de la Constitution qui lui permet de «demander à l'Assemblée des représentants du peuple de procéder à un vote de confiance au gouvernement». Deux partis rejoignent Nidaa Tounes et Ennahda au nouveau gouvernement, à savoir, Machrou Tounes et Al Moubadara Controverse En parallèle, des partis politiques ont contesté le remaniement ministériel. Ainsi, le dirigeant de Nidaa Tounes, Ridha Belhaj, a affirmé qu'il a été effectué dans des conditions particulières et n'a jamais été le résultat de concertation avec les partis, et particulièrement avec Nidaa Tounes, vainqueur des élections de 2014. Belhaj a précisé que Y. Chahed n'a pas informé le président de la République du remaniement en question, estimant qu'il a «outrepassé» ses prérogatives. Il a laissé entendre que, tenant compte des prérogatives du président de la République, il est possible d'aller vers des élections anticipées et, de ce fait, dissoudre l'ARP ou éventuellement former un gouvernement de technocrates. Pour le dirigeant du Front populaire (FP), Zouheir Hamdi, le remaniement ministériel va créer une «nouvelle crise politique» après son rejet par le président Essebsi, indiquant que son parti considère que ce remaniement ne peut constituer une solution à la crise que traverse le pays. Crise qu'il qualifie de «complexe» et qui «ne se limite pas à une crise de pouvoir ou de programmes». Le secrétaire général du parti Al Joumhouri, Issam Chebbi, a observé que «le remaniement ministériel annoncé a mis fin au gouvernement d'union nationale». Dans ses concertations, a-t-il relevé, Chahed s'est contenté d'inclure les partis politiques ayant manifesté la volonté de rejoindre la nouvelle composition du gouvernement. Le reste de la famille politique et même le président de la République n'ont pas été consultés, a-t-il regretté. Et de rappeler : «Onze membres du gouvernement sont issus du mouvement Nidaa Tounes sachant que Chahed ne s'est pas concerté avec les dirigeants de ce parti.» A son tour, le secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Tabboubi, a qualifié la nouvelle composition du gouvernement de «coalition partisane», indiquant dans une déclaration que la centrale syndicale n'a pas participé au choix des nouveaux membres du gouvernement. Le 29 mai dernier, le chef du gouvernement a critiqué, lors d'une allocution sur la chaîne publique Al Wataniya, ceux qui cherchent à l'écarter du pouvoir, en particulier le chef de son propre parti, Nidaa Tounes, Hafedh Caïd Essebsi, le fils du chef de l'Etat. «Les dirigeants ( de Nidaa Tounes, ndlr), à leur tête Hafedh Caïd Essebsi, ont détruit le parti», a accusé Y. Chahed, nommé à la tête du gouvernement en septembre 2016 à l'initiative même du président de la République. Il a ainsi répliqué aux manœuvres de Hafedh Caïd Essebsi qui active à le pousser vers la sortie. Fin septembre, le président Essebsi a rassuré que les élections auraient lieu en décembre 2019. Comme il a annoncé la fin de l'alliance avec le parti islamiste Ennahdha. Il a appelé à une modification de la Constitution, estimant que le partage du pouvoir entre le président et le chef du gouvernement n'est pas satisfaisant, tout en assurant qu'elle ne rentrerait en vigueur qu'au prochain mandat. «Depuis la semaine dernière, nous avons décidé de nous séparer, à la demande d'Ennahdha», a soutenu le président tunisien, alors que l'appareil étatique est paralysé depuis des mois par une lutte fratricide au sein de son parti, Nidaa Tounes, qu'il a fondé en 2012, comme front contre les islamistes. Néanmoins, il a fini par faire alliance avec Ennahdha au lendemain des élections législatives de 2014. Alliance qui s'est affaiblie par une lutte de pouvoir entre le chef du gouvernement, Youssef Chahed, et Hafedh Caïd Essebsi. Mardi, alors que la crise politique ne fait ainsi que s'exacerber, la Présidence tunisienne a annoncé la prolongation jusqu'au 6 décembre de l'état d'urgence, en vigueur dans le pays depuis désormais trois ans, à la suite d'une série d'attaques djihadistes sanglantes en 2015. La Présidence indique que le chef de l'Etat, Béji Caïd Essebsi, a pris cette décision après avoir consulté le président du Parlement mais aussi le chef du gouvernement, Youssef Chahed. Cette nouvelle prolongation intervient après le récent attentat-suicide sur la principale avenue de la capitale, qui a fait 20 blessés légers. Le 29 octobre, une femme a déclenché une charge explosive artisanale qu'elle transportait sur l'avenue Bourguiba, en visant une patrouille de policiers.