Il ne fait aucun doute que les enjeux du contrôle des frontières et la volonté d'exclusion de Hamas du terminal de Rafah dépassent le simple souci d'enrayement de la contrebande d'armes et le casse-tête des tunnels qui obsèdent Israël. Il est un autre aspect qui semble préoccuper peu ou prou Le Caire, c'est de voir s'établir une jonction, un continuum idéologique et organique, entre le mouvement des Frères musulmans et le Hamas. Manar Hussein, médecin radiologue, membre du Comité populaire d'aide au peuple palestinien (une initiative civile lancée en 2001 au lendemain de la seconde Intifadha), qui s'est rendue à Rafah dès les premiers jours de la guerre, témoigne : « Les Frères musulmans sont très présents sur le terrain. C'est même la principale organisation qui contrôle la rue en Egypte. Ils se vantent d'avoir 500 000 cadres, c'est vous dire. L'Ordre des médecins dont je fais partie est totalement sous leur coupe. Et pendant la guerre contre Ghaza, ils ont énormément bougé. Ils sont très bien organisés. Il y a 7000 coups de téléphone pour proposer des dons, des comptes en banque, des campagnes dans les journaux, ils sont sur tous les fronts. » Manar Hussein estime qu'il y a eu de ce fait une politisation des secours : « On les a vus se mobiliser en Afghanistan, en Bosnie, un peu moins en Irak, c'était humanitaire, mais là, à Ghaza, c'est idéologique. Ils ne sont pas sur la même ligne que les Taliban ou Al Qaïda en revanche, ils sont très proches de Hamas. » Et d'ajouter : « La solidarité avec Hamas est fondamentalement politique. D'ailleurs, le comité dont je fais partie, qui a été créé essentiellement par des gens de gauche, a de sérieuses réserves sur l'activisme des "ikhouan", qu'il considère comme un mouvement fasciste. Les gens du comité ont été lents à réagir cette fois, contrairement à l'Intifadha de 2001. Ils ont mis dix jours à envoyer un premier lot d'aides à Ghaza. De plus, ils ne voulaient pas traiter avec le Hamas. Ils ont décidé d'envoyer leurs aides au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP ). » De son côté, Nabil Abdel Fattah, directeur adjoint du centre Al Ahram des études politiques et stratégiques, fait observer que « les Frères musulmans ont toujours utilisé la cause palestinienne pour mobiliser leurs troupes et s'attirer la sympathie populaire. C'est là une stratégie classique ». « 20% des membres du Parlement égyptien sont issus des Frères » ajoute-t-il. Analysant leur « prestation » durant cette guerre, eux qui ont animé l'essentiel des manifestations de rue en Egypte, il note qu'« ils ont été actifs à tous les niveaux par l'organisation de manifestations, par des campagnes sur internet, par les sermons religieux ». A la question de savoir si la contiguïté géographique avec Ghaza constitue un souci pour le régime égyptien, le chercheur répond : « Le régime égyptien fait la distinction entre le Hamas et le Djihad islamique comme mouvements de résistance palestiniens et celui des Frères musulmans. En même temps, il fait preuve de prudence en raison de l'aspect géopolitique et la proximité entre l'Egypte et la bande de Ghaza. D'un autre côté, je pense que la vague des attentats qui ont ébranlé l'Egypte à Taba et Charm El Cheikh a suscité une forte sensibilité à l'endroit de certains éléments qui pourraient s'infiltrer en Egypte en provenance de Ghaza. Cette réaction, somme toute normale, vous pourriez l'observer en Algérie, au Maroc ou en Arabie Saoudite. Ils vont voir tout mouvement armé à leur frontière, même ami, à la fois d'un œil politique et d'un œil sécuritaire, surtout pour ce qui a trait au trafic d'armes, à l'infiltration d'éléments suspects, aux opérations armées, aux idéologies hostiles, etc. Cela existe partout, y compris chez le Hamas. »