Situé à 7 km à l'ouest de la commune de Mizrana, le village de Tibecharine constitue de par son architecture typiquement kabyle, une authentique relique de l'art architectural berbère. Le visiteur qui s'y rend pour la première fois, aurait du mal à croire que ce village de 3000 âmes se trouve dans un pays indépendant depuis près d'un demi-siècle, tant on n'y rencontre point d'indices d'un quelconque développement. Une fois sur les lieux, les villageois nous entourent et prennent à tour de rôle la parole. Comme pour nous résumer leur amer quotidien, un vieillard frêle aux épaules courbées par le poids des ans et de la misère, intervient pour dire d'une voix éraflée par une méchante toux : « Ammi, ifnagh with yammouthan », traduire littéralement : « Mon fils, les morts sont mieux lotis que nous ». Sans nous quitter des yeux, notre interlocuteur demanda aux présents de nous raconter leur calvaire. Un jeune d'une trentaine d'années visiblement irrité et désespéré, n'ira pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer avec virulence l'immobilisme des responsables qui se sont succédé à la tête de la commune dont relève son village. Tout en serrant fortement ses points, comme s'il voulait cogner un être invisible, il nous dira : « D'emblée, je me demande à juste titre comment vous avez fait pour parvenir jusqu'ici tant la route est impraticable. » Et d'enchaîner : « Ici, l'eau n'a pas coulé des robinets depuis 6 longs mois. Bien que notre école, datant de 1968 et dénuée de piliers, soit classée rouge 5 par les équipes du CTC après le séisme de mai 2003, elle fonctionne toujours au grand dam de la population. » Et à un sexagénaire d'intervenir avec beaucoup d'amertume : « Pour le ramassage scolaire, les responsables locaux, n'ont pas trouvé mieux que d'utiliser un camion dépourvu d'une bâche en ces journées glaciales pour transporter nos enfants qui étudient au collège du chef-lieu de commune, Maâyache. Il faut avouer que c'est un risque majeur que prennent nos enfants pour acquérir le savoir. Ceci dit, ils sont nombreux les collégiens qui refusent de rejoindre le banc des classes durant les journées pluvieuses. » Emmitouflé dans son burnous, un autre vieillard prend la parole pour nous dire : « La poste du village n'a pas fonctionné depuis le début des années de sang. Le facteur de la poste du chef-lieu de commune se rend dans notre village deux fois par semaine pour distribuer le courrier aux citoyens. Pour une simple injection, nous nous voyons contraints d'accomplir le parcours du combattant. L'infirmier affecté dans notre dispensaire, se croyant sans doute travailler pour son propre compte, est constamment aux abonnés absents. » Et de clôturer : « Comme vous le constatez, 80% de nos habitations sont d'anciennes bâtisses. C'est là, un facteur révélateur de la pauvreté accablante de la population de notre village. A l'instar des jeunes d'autres contrées de l'Algérie profonde, nos jeunes souffrent en silence d'un chômage destructeur. » C'est ce moment qu'a choisi un jeune adossé jusque-là à un mur pour dire d'un air moqueur : « Qui vous a dit que les responsables du pays nous ont oubliés ? Ils se rappellent bien de nous lors de toutes les élections, non ?! » Cette inopinée et fracassante intervention fera rire les présents. Et au même jeune de poursuivre toujours avec ironie sur sa lancée : « Laissons notre village tranquille, vous ne voulez pas qu'on vienne de partout se ressourcer dans ce musée à ciel ouvert ? » Tibecharine, ce village aux paysages féeriques qui vous attire irrésistiblement, est, le moins que l'on puisse dire, cliniquement mort. Enfin, il est à rappeler que les petits écoliers de Tibecharine courent un danger réel tant l'école est vétuste. De ce fait, les pouvoirs publics sont appelés à agir vite au risque de voir une éventuelle secousse tellurique emporter d'innocentes âmes.