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Patrimoine national ?
Empreinte
Publié dans El Watan le 05 - 01 - 2006

les Casbah d'Alger et de Constantine en ruine, les palais des Janissaires et des Raïs d'Alger, rongés par l'oubli et le sel de la mer pendant trois décennies, les ruines wisigothes (oui, elles existent à Hypône !), romaines, byzantines et arabes qui jalonnent notre pays mangés par les mites et les vents du désert... L'art monumental algérien est dans un état de décrépitude affligeant et révoltant.
Il paraît qu'il n'y avait pas d'argent. Mais maintenant qu'il y en a, pourquoi n'a-t-on pas alloué un budget conséquent pour ces vestiges qui témoignent de notre durée dans le temps ? Il paraît - aussi- qu'on avait tellement d'argent à l'époque des prix vertigineux du pétrole dans les années 1970 qu'on ne savait pas quoi en faire. Si on savait : on le jetait par les fenêtres, on le gaspillait, on le distribuait en prébendes généreuses aux plus dociles et aux plus corrompus. Mais la culture, le patrimoine, que dalle ! A l'exception du folklore, ça on s'en est bien occupé et on s'en occupe encore beaucoup. ça plaît aux masses, paraît-il, mais ça a toujours un air vieillot, mécanique et machinal qui frise le ridicule. La décision de restaurer les palais des Raïs avait été prise en 1977. Une équipe de restaurateurs bulgares était même venue sur place pour faire les premières études. On a profité d'un changement de ministres pour les renvoyer vite dans leur pays et dans leur foyer. Ce n'est qu'en 1989 (12 longues années plus tard) que la restauration de ces palais a commencé pour de bon. C'est dommage, mais c'est grave et impardonnable. Le temps n'attend pas, ni les vents, ni les intempéries, ni la pollution qui, dans les grandes villes, fait plus de ravages dans notre architecture monumentale que tous les autres éléments réunis. Au fait, jusqu'à quand va-t-on continuer à bourrer nos villes de voitures et d'engins mortels pour l'environnement et pour l'art architectural ? A chaque séjour à Constantine, nous voyons avec désespoir un pan de La Casbah tomber presque sous nos yeux. En fait, ce n'est pas seulement un pan de pierres qui tombe, mais un pan de notre histoire, de notre culture et de notre civilisation. Donc de notre âme qui fout le camp. Ne parlons pas de La Casbah d'Alger ! Certes, la restauration est très coûteuse. Certes, le pays a d'autres chats à fouetter. Certes, la culture et l'art peuvent paraître un luxe, voire une futilité. Certes, certes... Mais il y a des solutions pour remédier à cette mort lente de nos chefs-d'œuvre architecturaux. Il suffit d'un peu d'imagination, d'audace pour trouver les moyens efficaces et adéquats. Il faut pour cela beaucoup de passion. Et c'est ce qui manque à nos bureaucrates et à nos fonctionnaires patentés et payés pour sauvegarder une richesse incroyable. Ils en sont incapables parce qu'ils ont pris l'habitude, le pli, de se méfier de tout (y compris d'eux-mêmes), de calculer tout, de complaire à tous. Quand ils sont honnêtes ! Et quand ils ne le sont pas, c'est une autre affaire. A chaque visite à Timgad, on y laisse un peu de son âme, parce que le vent et le laisser-aller ruinent ce qui reste. Cela échappe - peut-être - au visiteur profane, mais pas à celui qui a la passion des pierres, qui croit qu'elles ont une âme parce qu'elles sont porteuses de notre sensibilité et de notre façon d'être. On pourrait dire la même chose de ce qui est supposé être le tombeau de Massinissa. On pourrait dire la même chose de l'ancienne Béjaïa et de la Kalaâ des Hammadites où nichent les cigognes et où paissent les moutons. Ces témoins de notre algérianité en lambeaux, comme ces palais de Tlemcen abandonnés aux rats et aux ordures, qui perdent leurs toitures et leurs colonnes, comme un vieillard perd irrémédiablement la tête et les dents. Combien d'années a-t-on attendu pour restaurer le Mechouar et la Menara ? Et puis, ça était fait. Et de quelle façon magistrale. Mais à Oran, des sites merveilleux attendent d'être sauvés ! Plus le temps passe et plus les efforts de restauration et les tentatives de reconstruction vont être pénibles et coûteux. Comme si nous faisions exprès de continuer la tâche du colonialisme qui a toujours consisté à détruire tout ce qui pouvait rappeler de près ou de loin notre civilisation algérienne. Rien n'échappe à notre inconscience et à notre capacité à enlaidir ce que avons de plus beau. Pas même, les anciennes maisons turques et les anciennes villas arabes. On les travestit de plus en plus, on les farde outrageusement et on les boursoufle d'ajouts et de rajouts pour en faire des loukoumes rose, pistache, vert nauséeux... Dans les Aurès, au Mzab et en Kabylie, les vieux villages et les vieilles villes berbères sont en train d'être saccagés par les autochtones eux-mêmes. Sans parler des ksour... parce que l'arrivisme est non seulement bête et inculte, mais il est aussi impitoyable. Heidegger, qui écrivait que la langue est la maison de l'être, disait aussi que l'architecture est la maison de la passion et de la raison, tout à la fois. Peut-être, c'est parce que nous manquons de passion et de raison que nous laissons le temps ensevelir nos maisons ? Et du coup, nous le laissons ensevelir nos êtres, nos âmes et tout ce qu'il y a de plus noble. Typiquement algérien !

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