Aucune envie d'aller vivre en Italie ! C'est l'impression que l'on a après avoir vu Civico Zero (numéro 0), le film de Francesco Maselli, présenté mardi soir à la salle Ibn Zeydoun, à Riadh El Feth à Alger, dans le cadre des Journées du film européen. C'est probablement le film le plus intéressant de cette semaine cinématographique, après le chef-d'œuvre de Andrej Wajda, Katyn, même si la délégation européenne devra faire plus d'effort à l'avenir pour programmer des films nouveaux. Bruyante, Rome est filmée à la manière d'un documentaire dans Civico Zero, œuvre inspirée du roman de Federico Bonadonna. Le mouvement incessant des voitures souligne la fuite en avant d'une civilisation incapable de prendre une halte. Les vivants ressemblent à des fantômes : une vieille dame regarde autour d'elle avant de plonger la main dans une grande poubelle, des jeunes cherchent dans une décharge des chiffons et les trient, un homme, dos courbé, traîne ses baluchons dans une ruelle grise. Ces sans-abri sont de plus en plus nombreux à Rome. Ils sont plus de 10 000, l'équivalent de la population d'une petite ville ! Dès le départ, Francesco Maselli annonce la couleur, pas le rouge auquel vous pensez mais bien le noir : il tente de dénoncer la « globalisation capitaliste » qui a jeté les hommes sur les chemins de la souffrance. A travers trois histoires, le film déshabille un système sans âme et des règles absurdes. Il y a d'abord, l'incroyable récit de Stella (jouée par Letizia Sedrick), l'Ethiopienne qui a marché pieds nus à partir du désert libyen, traversé la Méditerranée pour atterrir dans une Rome au cœur froid. Ici, sans carte de séjour, on ne peut rien faire. Stella se contente de petits boulots pour survivre avant de rencontrer Joseph qui va l'embarquer dans sa misère. Avec peu d'argent, ils tentent de faire vivre leur fille, trouver de quoi manger et louer un gîte. Chassés par la municipalité d'une maison collective, Stella et sa famille trouveront refuge dans une voiture ! « J'ai tout perdu. Mes effets ont été saisis. Je n'ai même pas de quoi me changer » raconte-t-elle. Dans ce film, il n'y a pas dialogue, rien que la narration. Entre les trois récits, des images crues : des femmes qui se prostituent à la lisière des forêts, des jeunes qui mendient en bordure de route, des migrants qui vivent au milieu de détritus, des clochards qui traînent leur tristesse comme des boulets sur les trottoirs. Les passants ? Ils n'ont rien vu ! Ensuite, il y a cette histoire de Nina (rôle interprété par Ornella Mutti), la Roumaine. Elle a fui son village et sa misère et a débarqué à Vérone au milieu d'une nuit glaciale. Elle ne sait pas comment dire le mot gare en italien. Elle veut rejoindre sa belle-sœur à Rome. Cette ville n'est-elle pas éternelle ? Par chance, Nina se fait aider par des filles roumaines pour trouver un travail. « Je dois envoyer de l'argent à mon mari et à ma fille. Sans moi, ils seront morts », se plaint-elle. Le quête n'est pas facile. Pas de papiers, pas d'existence ! Nina trouve enfin un travail de femme de ménage dans une famille des beaux quartiers. Une drôle de famille : une dame de 92 ans et sa fille de 62 ans. Nina ne doit pas sortir de la maison pour éviter d'être dénoncée par les voisins. L'Italie a été mise en accusation par les organisations des droits humains pour « l'exploitation » par des petites entreprises et des particuliers des migrants clandestins. Ceux-ci doivent accepter leur situation et se taire pour échapper à l'expulsion. Péniblement, Nina est restée 30 mois cloîtrée dans une immense maison qui ne reçoit aucun invité. « J'ai compris que ces deux femmes étaient complètement seules », a conclu Nina. La solitude des personnes âgées, abandonnées par leurs enfants, est un autre problème de l'Italie moderne, autant que celui de l'hiver démographique qui concerne toute l'Europe. La solitude a transformé Nina, elle n'est même pas consolée par le retour de son époux qui est venu la sauver de sa tombe de luxe. Et puis, il y a cette autre histoire, celle de Giuliano (campé par un Massimo Ranieri au meilleur de son art), un marchand de fruits et légumes, heureux d'une vie paisible entre le marché et la maison parentale. A plus de 40 ans, il est attaché à sa mère. « Elle est capable de me chercher dans toute la ville », confie-t-il. Aussi, la mort de sa mère est une catastrophe pour lui. Comme un malheur n'arrive jamais seul, le décès est suivi d'une expulsion de la maison. Abattu, l'homme va errer dans une ville qu'il ne reconnaît plus. « Hiver comme été, de jour comme de nuit, je vais prendre le tram », dit-il. Même Italien de souche, on peut être rejeté comme un citron pressé par une société avide d'argent. Francesco Maselli, qui avait secoué le parti communiste italien par son film Le Suspect (Il Sospetto) sorti en 1975, jette une lumière crue sur la sixième puissance économique du monde (le PIB italien tourne autour de 1800 milliards de dollars par an). Une puissance qui mange ses enfants et ceux des autres, d'où ce numéro zéro qui donne son titre au long métrage. C'est le niveau de l'humanisme atteint dans certaines métropoles du Nord prises dans les tourmentes de la vitesse et rattrapées par la crise née d'une débauche d'argent. Civico Zero est le genre de film qui ne plaît pas à Berlusconi ni aux réseaux qu'il incarne. Berslusconi aurait tant aimé que tous les étrangers rentrent chez eux...