Mais bon... Elbess aklek (reprends tes esprits), la dernière pièce de Youcef Taouint du Mouvement théâtral de Koléa (MTK), mise en scène par le jeune Nabil Asli, présentée par le Club de théâtre, lundi après-midi à la salle El Mouggar à Alger, ouvre un débat sur cette thématique, mais cède à la tentation de fouiller dans les poches étroites de la morale. Nabil Asli, comédien à l'origine, s'en défend : « Je suis contre le théâtre qui donne des leçons. Je ne suis pas concerné par ce qui se passait dans les années 1970, ce théâtre qui disait ce qui était bon et ce qui était mauvais. Nous sommes en 2009 et nous voulons nous exprimer par le langage d'aujourd'hui », dit-il, lors d'une discussion qui a suivi la présentation de la pièce. La trame de l'histoire est simple : dans une usine en ruines deux personnes se rencontrent, l'ignorant, joué par Debri Djameleddine, et le savant, campé par Keroui Fethi. L'un est là depuis des lustres. « Je ne sais pas comment sortir de là ! », crie-t-il. Un tremblement de terre a détruit les lieux. Et voilà que débarque le scientifique revenu au pays pour gérer un laboratoire non encore construit. Dans l'attente, il doit gérer l'usine démolie par le séisme. Le savant, sans le sou et affamé, se met presque à genoux devant l'homme sans culture, mais riche d'un couffin pour pourvoir... manger. « Oh, le savant affamé, le savant mendiant », se moque l'ignorant. « A Dortmund, ils voulaient me faire une statue pour célébrer mes exploits », dit l'homme instruit. « Use de ta science pour nous faire sortir de là », ajoute l'autre qui évoque son « altesse » l'âne. « Chez nous, l'âne est célébré, l'âne à une histoire. On a même mangé sa viande », lance-t-il. Pour aller dans le sens de son compagnon, le scientifique raconte l'histoire du scorpion écrasé par l'éléphant qui voulait traverser une rivière et qui s'était mis sur le dos d'une tortue pour le faire. « Le scorpion a mordu la tortue malgré sa promesse. Et il dit que quand il voit la viande, il ne peut pas s'empêcher de le faire », explique-t-il. D'une image à une autre, la pièce évolue avec une intrigue flottante qui évoque le vécu de l'Algérie en puisant, parfois péniblement, sur le symbole, l'anecdote et la poésie populaire. Pour casser le rythme, les deux comédiens jouent à la corrida, chantent du chaâbi, poursuivent l'envol d'un aigle prédateur, écoutent la radio et rêvent de la voix céleste d'une femme... L'ombre de Bertolt Brecht n'est pas loin. Le décor, imaginé par le jeune Ben Himi, est simple marqué d'un gris noir envahissant : une fontaine sèche, une chaise, un couffin et un cartable... La scénographie reste toujours ce ventre mou du théâtre algérien, la musique couvre parfois la voix des comédiens. Nabil Asli, qui se revendique du théâtre d'aujourd'hui, veut pousser à la réflexion sans porter des messages. Une intervenante a souligné que le théâtre met en avant « la critique sociale », mais n'a pas les mêmes mots des politiciens. « Cet art doit éveiller », dit-elle. « Nous voulions souligner la situation désastreuse des intellectuels en Algérie, forcés de courir chaque jour pour vivre et pour répondre à leurs besoins », explique Nabil Asli qui revendique « la rupture » avec les méthodes esthétiques du passé. « J'ai un autre style, une autre vision », appuie-t-il, presque rebelle mais irrité par quelques critiques. Youcef Taouint, qui a déjà écrit les pièces d'El Hayla (récompensée au festival d'été de Tunis en 2007) et de Paradoxe, reste fidèle à sa ligne, celle de tisser des histoires à partir d'un vécu qui dépasse déjà la fiction. Il ne cède pas au romantisme kistch qui prend plume sur certaines planches. Youcef Taouint et le MTK résistent aux vents contraires avec un rare courage au moment où « les autorités locales » de Mostaganem s'apprêtent à détruire un monument, un symbole, le théâtre El Moudja de la plage Salamandre, sous un prétexte ridicule. Voilà un autre scandale qui se nourrit déjà du silence...