Elbess aaklek (reviens à la raison), la dernière production du Mouvement théâtral de Koléa, a été donnée dimanche dernier à la salle El Mouggar dans le cadre du club de théâtre hebdomadaire organisé par l'Office national de la culture et de l'information (ONCI). Devant un public nombreux, le rideau se lève pour dévoiler un lieu perdu, complètement saccagé, un séisme venant de frapper brutalement la ville. Un son assourdissant emplit la salle. Sur scène, deux jeunes hommes, rescapés de la catastrophe. L'un, un intellectuel, en costume, bien mis, l'autre a une allure délabrée et un couffin de provisions à la main. Les circonstances ont fait se rencontrer les deux personnages, complètement différents, dans la même situation et le même lieu. Ils sont seuls et affamés. Ils se disputent le peu de nourriture que contient le couffin. La personnalité de l'intellectuel, cultivé et ayant le sens du savoir-vivre, tranche avec celle de l'homme au couffin, un être simple qui ne connaît rien à la science ni à la littérature. Son seul souci dans la vie est de vivre. Mais, coincés dans ce coin perdu, les deux sinistrés tentent de se soutenir pour mieux supporter leur détresse. Ils rient aux larmes pour oublier leur triste situation. Mais quand la faim creuse les ventres, les esprits s'aliènent. Les compagnons de malheur deviennent ennemis. Le savoir-vivre de l'un et la placidité de l'autre volent en éclats et apparaît dès lors l'homme dans toute sa nudité, avec ses penchants, ses sentiments et ses comportements les plus «animal». La pièce s'efforce en fait de disséquer les relations humaines et leur évolution dans des circonstances dramatiques. Le premier personnage se retrouve dans un cauchemar et perd ses repères. Sa culture et son savoir-vivre ne lui servent à rien. Il se pose même des questions sur leur utilité. Ce n'est pas le cas de son vis-à-vis qui, lui, reste égal à lui-même. Mieux, il se sent fort, riche et en sécurité grâce à son couffin empli de victuailles. Il va même jusqu'à tenter d'expliquer à son compagnon comment fonctionne la société avant de lui lancer un «Elbess aaklek», une manière subtile de lui dire «soit raisonnable et comprend». L'intellectuel, ne supportant pas d'être pris à partie de manière aussi ironique, lui réplique : «Elbess aaklek enta». Il ne comprend pas, lui qui est sûr de tout savoir, qu'il puisse se retrouver dans une situation aussi absurde, où les ignorants occupent des positions de force au moment où les intellectuels pédalent dans la semoule et rament à contre-courant. Pendant que les deux personnages se jugent et se jaugent, un âne passe et se repaît de la nourriture. C'est le drame. Les deux hommes s'accusent mutuellement et s'échangent menaces et lazzis. Le public applaudit. Le metteur en scène Nabil Asli, qui est à sa première expérience dans le domaine de la mise en scène, dira qu'il n'a pas voulu donner des leçons dans sa pièce. «Personnellement, je trouve que le théâtre est fait pour divertir les gens et non les accabler de messages cachés», ajoutera-t-il. Cette déclaration déclenchera un débat houleux dans la salle, entre les partisans d'un théâtre «pédagogue» et les défenseurs d'un théâtre de divertissement. Par ailleurs, le scénario, signé Youssef Taouinet, n'a guère fait preuve d'imagination, même s'il a bien réussi à adapter la réalité de la situation algérienne sur scène. Concernant le séisme dans la pièce, le metteur en scène, en l'absence du scénariste, dira qu'il «représente la décennie noire de l'Algérie». En somme, Elbess aaklek n'est autre qu'un récit de vie quotidienne porté sur la scène, de manière quelque peu faible. Les comédiens ont brillé dans leur interprétation mais pas dans l'occupation de l'espace scénique. On notera également quelques lacunes au niveau de la scénographie qui s'est contentée d'un décor épuré alors que plus de créativité était permis. W. S.