La recherche scientifique en Algérie reste à l'état quasi embryonnaire. La preuve ? Seul 1% du PIB est consacré annuellement à ce volet du développement national contre 0,2% il y a quelques années. Cette pitoyable dotation budgétaire traduit à elle seule tout « l'intérêt » porté par les pouvoirs publics à la recherche et l'innovation technologiques. Quid de la recherche dans le domaine juridique et judiciaire ? Cette thématique a fait l'objet d'une journée d'étude organisée hier à l'hôtel El Aurassi par le centre éponyme CRJJ, qui a été créé en septembre 2006 et inauguré il y a tout juste une année, soit en janvier 2008… Le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, qui a brillé hier par son absence, a pourtant précisé dans son allocution lue par un de ses collaborateurs que l'institution de ce centre « est un acquis de la réforme de la justice ». Il était donc inutile de s'interroger sur le bilan bien famélique d'un organisme encore en rodage. Les magistrats et universitaires, qui ont assisté à ce qui s'apparente à une présentation de la fiche technique du CRJJ, ont transformé les débats en « chikayate » (requêtes). Ils ont protesté sur le fait qu'ils ne soient pas associés aux projets de recherche des 16 laboratoires créés jusque-là. Un professeur de Constantine est allé jusqu'à s'interroger sur « l'utilité » de la création de ce genre de centre « alors que les universitaires ne s'intéressent pas à la recherche scientifique ! ». Un autre regrette que tous les fonds dégagés pour la recherche « ne profitent pas aux universitaires ». La succession des requêtes a vite fait réagir la directrice générale de l'Agence nationale de développement de la recherche universitaire (Andru), Mme Hnifa Benchabane, qui s'est exclamée : « On ne va tout de même pas poser les problèmes du ministère de l'Enseignement supérieur ; ici, on discute des sujets qui ont trait à la justice. » Aussi a-t-elle rectifié qu'il n'y avait pas de rétention de l'information de la part de son agence et que tous les renseignements sur les projets de recherche sont disponibles sur son site internet. Un chercheur de Tizi Ouzou a, de son côté, posé le problème de l'absence de juristes spécialisés dans les affaires de biodiversité et d'agriculture. Il a cité le phénomène du « pillage » du patrimoine national qui prend de l'ampleur. Il a donc souhaité voir se créer des équipes de recherche pluridisciplinaires. Un autre professeur d'une université de l'Est a pointé du doigt l'inconsistance du fonds documentaire mis à la disposition du chercheur, notamment celui relatif à la guerre d'Algérie. Il sera vite orienté vers la bibliothèque de… l'ENA par le président de séance où « ce document existe, si ma mémoire est bonne… ». Le discours du ministre insistait sur l'importance de ce centre « encadré par les meilleurs magistrats » dans l'élaboration « des études juridiques dans le sens de l'amélioration des textes législatifs nationaux ». Mais avant d'en arriver là, le CRJJ devra trancher les « meilleures méthodologies scientifiques de nature à promouvoir la recherche juridique et judiciaire ». Et le modèle tunisien de recherche juridique et judiciaire semble inspirer au plus haut point les animateurs du centre. L'expérience de ce pays, qui est loin d'être un exemple à suivre en matière de démocratie et de respect des droits de l'homme, a été déclinée avec une sacrée dose de fierté par Zoheir Skander, directeur général de la même institution en Tunisie. Pendant plus d'une demi-heure, l'invité spécial du CRJJ a retracé les « exploits » de son centre – créé tout de même en 1983 – qui a pu, d'après lui, revoir « 80% du système juridique et judiciaire de son pays ». M. Skander, qui a félicité au passage « la renaissance » du système algérien, a donc fait une offre de service au jeune CRJJ algérien, tout auréolé d'une médaille du mérite national que lui a décernée le président Ben Ali pour « services rendus à la nation ». Tout porte à croire, ce faisant, que le CRJJ sera la copie conforme de son homologue tunisien dans la recherche juridique et judiciaire. Ce n'est pas forcément une bonne nouvelle que de copier un modèle qui a accouché d'un arsenal législatif ayant transformé la Tunisie en un cimetière des droits de l'homme.