Le traitement qu'il a réservé à l'affaire dite «la Bleuïte», avec une narration des faits qui reproduit les doutes et la controverse muette de l'époque (1958), peut en effet se lire comme une critique à l'égard des moyens de riposte préconisés par le commandement du colonel Amirouche. Cette plaie douloureuse dans la mémoire de la révolution, notamment dans la Wilaya III, avait jusque-là été traitée, soit sous l'angle d'une stigmatisation directe des méthodes «autoritaires et cruelles» du colonel, sous la plume encore une fois des ennemis d'hier, soit sur le ton de la justification par les compagnons. Djoudi Attoumi lui, jeune combattant ayant fait partie du poste de commandement (PC) de la même wilaya, relate les douleurs et le ressentiment des troupes devant «les jugements» parfois expéditifs de certains moudjahidine en faisant ressortir tout le dilemme qui était celui des chefs. La plaie de la Bleuïte La Bleuïte est le nom donné, pour rappel, à cet épisode qui a vu les officiers de l'armée française orchestrer une infiltration des troupes de l'ALN après l'écrasement de la Bataille d'Alger en 1958. Les doutes qui ont entouré l'arrestation du lieutenant Salhi dans la région de Bordj Ménaïel sur l'existence de taupes dans les rangs ont été approfondis par les révélations, après interrogatoire, d'une jeune militante du nom de Rosa, selon lesquelles un complot d'envergure a été conçu par les officiers ennemis, à leur tête un certain capitaine Léger, pour saborder de l'intérieur l'armée des moudjahidine. «Amirouche était presque désemparé devant l'ampleur du mal car les responsables l'ont persuadé de la présence d'un complot contre la Révolution. Il décida alors d'un plan de riposte (…)», écrit Attoumi en rapportant que l'installation d'un centre d'interrogatoire dans l'Akfadou, l'arrestation de tous les jeunes en provenance d'Alger et l'interdiction de tout nouveau recrutement ont figuré parmi les mesures prises. «Il y eut des arrestations pêle-mêle au niveau des officiers (…) un vent de panique a soufflé sur la Wilaya III ; la psychose de la Bleuïte s'y était installée pour plusieurs mois. Les états-majors français avaient réussi à semer le doute partout», témoigne l'auteur (p. 162). La responsabilité était telle sur les épaules du colonel Amirouche qu'il décida de prendre à témoins ses compagnons, des non-gradés jusqu'aux officiers, suggère le livre. «Amirouche, devant l'ampleur prise par le phénomène, se décida à provoquer un rassemblement dans l'Akfadou, en août 1958, pour informer les cadres et les djounouds et pour avoir leur avis, peut-être leur soutien(…). Il avait demandé à l'assistance de se prononcer sur le problème car, disait-il, il ne voulait pas être considéré, demain devant l'histoire, comme un criminel de guerre et qu'il leur appartenait à tous (les moudjahidine) de prendre leurs responsabilités.» (p. 163/164). Plus loin, Djoudi Attoumi se demande ce qu'aurait pu faire n'importe quel autre responsable devant la situation. «Devant la gravité de l'affaire, l'ambiguïté des aveux» spontanés «et les dangers qui menaçaient la révolution, qui aurait eu le courage de prendre une position contraire à celle de Amirouche ? Conditionnés tels que nous étions, nous voyions le mal partout. Pour nous, c'est toute la révolution qui était en danger. Autant tout faire pour la sauver». Le visionnaire Selon les recoupements faits par l'auteur, il y aurait eu quelque 400 victimes de cet épisode noir, contredisant ainsi des estimations françaises qui, dans son obsession de faire endosser à Amirouche le rôle de chef impitoyable, avancent le chiffre «fantaisiste» de 3000 victimes. Autre point saillant du livre, du moins pour les générations d'après-guerre, cette déclaration prêtée à Amirouche, comme un mot d'ordre récurrent, selon laquelle le combat des hommes qui ont pris le maquis ne devrait pas s'arrêter avec la déclaration de l'indépendance. Les troupes devaient rester mobilisées dans les montagnes même si les Français étaient boutés dehors. «Ne croyez pas que vous rejoindrez vos familles dès la fin de la guerre. Pendant dix ans, nous resterons dans les montagnes et chaque fois qu'un gouvernement n'œuvrera pas dans l'intérêt du peuple, nous le remplacerons par un autre» (P.211), cite l'auteur en laissant entendre que le chef de la Wilaya III subodorait toutes les luttes acharnées qui devaient s'engager autour du pouvoir une fois l'indépendance acquise. Le livre de Djoudi Attoumi réserve également des chapitres aux différentes étapes du parcours de l'illustre fils de Aïn El Hammam, à ses dons de meneur, d'organisateur et de stratège. En évoquant l'écoute qu'Amirouche développait à l'égard des étudiants, ceux-là mêmes qui représentaient à ses yeux «l'avenir de l'Algérie indépendante», l'auteur défend que le Lion de La Soummam fût loin d'être l'homme hostile à cette frange et aux intellectuels en général, décrits par des sources souvent mal intentionnées, juge-t-il. «Amirouche avait beaucoup de confiance en la jeunesse sur laquelle il fondait tous ses espoirs pour prendre la relève. Il était fier de voir des jeunes Algériens maîtriser la langue française. Il les a pris personnellement en charge et n'a pas manqué de donner des directives les concernant afin qu'ils soient respectés (…)» (p. 235) témoigne cet ancien étudiant. Bio express Djoudi Attoumi est né en 1938 dans l'un des villages perchés sur les montagnes des Aït Oughlis (Sidi Aïch, wilaya de Béjaïa). Ayant fait ses études primaires à l'école de Tighzert à Sidi Aïch, il rejoint Alger en 1952 pour entamer des études commerciales. Militant du MTLD, il monte au maquis en 1956, pour être affecté directement au poste de commandement (PC) de la Wilaya III. Il est promu officier en 1961 par le colonel Mohand Oulhadj. Au cessez-le feu, il est nommé membre d'une sous-commission locale chargée du suivi de l'application des Accords d'Evian. A sa demande, il est démobilisé le 5 août 1962 pour assurer la direction de certains hôpitaux jusqu'en 1985, année où il a été élu à l'Assemblée populaire de la wilaya (APW) de Béjaïa et dont il assurera la présidence jusqu'en 1990. Djoudi Attoumi est licencié en droit et diplômé de l'Ecole nationale de la santé publique de Rennes (France). Journal de guerre d'un combattant de l'ALN en Kabylie est le titre d'un livre qu'il compte prochainement publier. Le Colonel Amirouche, entre légende et histoire Edition à compte d'auteur, 286 pages Alger 2004, 350 DA