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Empreinte
Publié dans El Watan le 06 - 01 - 2005

En faisant «bouger» les choses, les hommes et les stéréotypes, la littérature donne une lecture de l'inconscient et du conscient collectifs à travers la remise en cause des faits sociaux les plus têtus et les plus répandus chez tous les peuples. C'est cela la subversion de la littérature.
Les grands écrivains du XXe siècle se sont acharnés à pénétrer dans l'homme, parfois par effraction, souvent contre vents et marées et contre la répression sauvage des tenants de la stagnation, qu'ils soient politiques ou intellectuels. Ils ont ainsi procédé à une mise à nu et à une restitution de la vraie vie dans le texte dérangeant.
Ces écrivains ont été dénoncés par la classe politique, d'abord, et par leurs propres pairs, ensuite, parce qu'ils cassaient les tabous et les stéréotypes banalisés jusqu'à la nausée. Ils ont créé ainsi une contre-sociologie, chargé le texte de vie et de vitalité. Sans pour autant se prendre au sérieux, sans devenir des pédagogues ou des donneurs de leçons. Car, pour eux, toute littérature est ludique, jeu de construction et de déconstruction. Mais un jeu basé sur la violence inhérente à toute société. Le jeu n'est-il pas une forme de violence ? Une guerre ?
C'est pourquoi, chez ces mêmes écrivains contemporains, l'Histoire est prégnante, obsessive. Dans leurs livres, il y a un questionnement permanent de l'Histoire, car elle est une préoccupation de l'humain et qu'elle fonctionne toujours dans la violence. Elle n'avance que par les guerres ! Ce qui est remarquable, c'est que tous ces écrivains qui ont créé une nouvelle manière d'écriture ont été témoins d'une guerre. Une guerre civile ou religieuse ou interétatique. Ils l'ont combattue ou ils y ont participé avec dégoût. L'œuvre de Faulkner est imprégnée de la guerre de sécession entre le Sud, d'où il était originaire, et le Nord pour qui il avait beaucoup d'aversion. Ses romans ne disent que la douleur et la déchirure sudistes qui ont vu la faillite de sa famille aristocratique et esclavagiste.
Même s'il était profondément pacifiste, Faulkner traîne dans ses textes la nostalgie du passé et le goût amer de la défaite.
Le roman de Joyce Ulysse n'évoque fondamentalement que la guerre civile et religieuse en Irlande qui a fait tant de victimes et qui perdure à nos jours. Même si l'auteur de ce Grand Œuvre a tout fait pour camoufler et recouvrir cette histoire nationale et en traiter le thème avec beaucoup d'ironie.
Chez Louis-Ferdinand Céline, ce sont la Première Guerre mondiale et ses millions de morts qui sont au centre de ses romans. Blessé grièvement et trépané lui-même, il dira l'horreur de la guerre qu'il laissera se déverser dans Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit.
Tous les romans de Malraux, particulièrement La Condition humaine, ont évoqué les guerres en Chine et dans toute l'Asie. Le nouveau roman français est né de la Seconde Guerre mondiale grâce, en particulier, à Robbe-Grillet et Claude Simon. Les Gommes, chez le premier, et La Route des Flandres, chez le second, ont bouleversé l'écriture traditionnelle à cause d'une charge émotionnelle insupportable qui devait excéder le texte.
En Algérie, Mohammed Dib et Kateb Yacine sont issus directement de la guerre de Libération nationale, dans sa période de gestation ou dans sa période de réalisation. L'Incendie ou Nedjma sont des chefs-d'œuvre de l'universel douloureux.
Donc, le XXe siècle, qui a été le siècle des guerres par excellence, a donné cette nouvelle littérature, nouvelle dans sa forme et dans sa thématique, qui a remis en cause les non-dits et les falsifications grossiers de l'Histoire officielle, voire de l'Histoire des historiens souvent obsédés par leur allégeance au système en place et par leur pseudo-objectivité, en réalité introuvable.
Ce nouveau roman, au contraire, a injecté la subjectivité comme élément essentiel dans la lecture de l'Histoire vraie, sensible et émouvante.
Une lecture de l'humain, à travers les péripéties du monde. D'autant plus que cette notion de la subjectivité a été introduite par le grand Ibn Khaldoun, au XIVe siècle dans sa géniale Moqadima qu'on peut lire à la manière d'un roman… fabuleux et impeccable. Car il a vécu plusieurs guerres et assisté à la fin de l'âge d'or musulman.


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