L'homme algérien, par ailleurs, est encouragé non pas à avoir une sexualité débridée, mais à fonder un foyer au plus vite, même si le processus demande une certaine liberté de pratique sexuelle avant de se « fixer », car le processus en question est considéré comme un apprentissage pour l'homme, mais relève d'une totale indécence pour la femme. Beaucoup d'hommes à qui j'ai posé la question suivante : « Comment pouvez-vous avoir un comportement différent de celui que vous adoptiez en Algérie, concernant la sexualité ? », me répondent que les femmes occidentales sont plus accessibles que les femmes algériennes et puis, disent-ils : « Après tout, ce sont elles qui sont portées sur la chose » et la plupart avouent ne pas voir le mal dans ce qu'ils font et que leur « statut » d'homme leur confère cette liberté. C'est pour cette raison que la plupart des hommes franchissent le pas en épousant des Occidentales, contrairement aux femmes qui sont une minorité à aller à l'encontre de la société algérienne, car cela est souvent synonyme de rupture avec la famille d'origine. Azouz Begag, dans son livre L'intégration, dit la chose suivante : « Si le choix exogamique d'un partenaire est rarement un élément de rupture entre le garçon et sa famille, il l'est en revanche souvent pour les filles. » Et qu'en est-il de son comportement face à sa compatriote ? La méfiance de l'homme algérien vis-à-vis de ses compatriotes femmes établies en occident. La femme, une fois détachée de l'emprise sociale, est aux yeux de ces hommes une proie facile et peut faire appel à ses instincts primaires. Elle peut donc tomber facilement dans la débauche, contrairement à lui qui est parfaitement maître de ses sens et de ses émotions. On peut constater ici que le discours érotique, développé par les auteurs des XIe et XIIe siècles, reste d'actualité. Il décrit la femme comme « un être dominé par sa nature animale et par le désir qui la conduit, pour être assouvie, à bafouer toutes les règles sociales et morales », (Fatma Aït Sabbagh, La femme dans l'inconscient musulman, Paris, Albin Michel, 1986, 223 p) C'est ainsi que j'ai constaté que la grande majorité des hommes que j'ai pu rencontrer ont été mariés à des Suissesses ou à des Algériennes qu'ils ont fait venir en Suisse, mais rarement à des Algériennes vivant en Suisse et ayant eu le même parcours de migration qu'eux. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela. La venue de la femme en Occident est forcément synonyme d'émancipation. Ensuite la femme, aux yeux de ces hommes, étant faible et ne pouvant gérer sa nouvelle liberté, peut suivre naturellement « ses instincts primaires », comme nous l'avons mentionné précédemment (le discours érotique des XIe et XIIe siècles). Cette image est omniprésente dans la tête de ces hommes et dans leurs discours : « Nous ne voulons pas que nos femmes copient la femme occidentale », cela sous-entend se libérer des contraintes sociales qui lui sont imposées par les hommes, de peur que ces derniers perdent l'emprise sur elles. Monique Gadant, auteure de Parcours d'une intellectuelle en Algérie et épouse d'un Algérien, témoigne de sa propre expérience : « Dans ma situation d'épouse, tout ce que je vais faire ou ne pas faire, dire, écrire peut se retourner contre moi, mais pire encore, tout ce que je vais faire, dire, écrire sera imputé à mon mari, un homme étant vulnérable par sa femme plus que par tout autre membre de la famille, car tout homme qui se respecte doit dominer, contrôler sa femme. » Et enfin le facteur âge. La femme ne doit pas être « trop » âgée, car il ne faut pas perdre de vue que son rôle essentiel étant de porter des enfants et cela n'est possible que pour une femme jeune et en pleine santé. C'est pour cette raison que les hommes qui décident d'épouser des Algériennes après une dizaine d'années de vie en Occident choisissent de se fier à leurs mamans qui sauraient choisir le meilleur « parti » pour leurs fils. Mais sont-ils heureux pour autant ? Voilà une bien difficile question à laquelle mes interlocuteurs n'ont pu répondre. Peut-être que c'est le seul aspect qui réunit les deux antagonistes : l'homme et la femme algérienne. Sont-ils heureux tous les deux ? La réponse est facile quand il s'agit de parler de la politique algérienne et du « pays » en général. Ils s'accordent tous les deux à dire : « Marre de voir que notre pays est le dernier des derniers, rien ne change chez nous », certains me disent qu'ils ont honte d'emmener leurs amis occidentaux en Algérie : « Qu'est-ce que nous allons leur faire visiter ? Il n'y a rien à voir. » Ils font et refont le monde dans des endroits où ils se retrouvent les week-ends. Les femmes ont plus tendance à choisir les restaurants pour débattre librement de la question politique, mais aussi de leur vie en Occident, des papiers, de la nationalité : les principaux sujets de débats chez les émigrés. Les hommes, quant à eux, préfèrent les cercles masculins, des sortes de microcosmes où ils sont les seuls admis, sans femmes et sans enfants (une reproduction conforme aux endroits qu'ils fréquentaient dans le pays d'origine) et ils débattent du sens de leur vie en Occident, notamment quand cela a un rapport avec l'inégalité des chances au travail et comme cela a été mentionné par Abdelmalek Sayad. Les jeunes émigrés veulent revendiquer leurs droits, mais ils se posent la question suivante : « A quoi sert la revendication de la citoyenneté, quand on n'a pas la nationalité, voire quand on ne veut pas de cette nationalité ? Ou alors, à quoi sert d'avoir une nationalité vide de tout contenu réel, attribut abstrait, purement juridique ? Est-ce que cela change quelque chose à ma condition ? » (Abdelmalek Sayad : L'immigration ou les paradoxes de l'altérité) Des débats sérieux et révélateurs d'une conscience concernant la nécessité d'améliorer la condition des émigrés. Les hommes prennent cela plus à cœur, car beaucoup de gens peuvent dépendre d'un seul homme vivant et travaillant en Occident*. C'est ainsi que ces hommes se trouvent soucieux de leurs conditions qu'ils espèrent améliorer dans un futur très proche. A l'échelle de l'individu, notamment de l'homme algérien, l'argent est un gage de réussite, c'est une preuve de la capacité de l'homme à s'en sortir et à gagner sa vie. C'est en fin de compte une autre démonstration de sa virilité. Cela tournera toujours autour de la question de la virilité. Même si la dimension symbolique de la masculinité reste immuable, la dimension individuelle, quant à elle, comprend quelques changements ou quelques ajustements engendrés par la vie dans le nouvel environnement occidental. Sur le plan théorique, ces hommes montrent une adaptation quasi irréprochable dans le milieu occidental et du point de vue de l'apparence, les Algériens se fondent harmonieusement dans leur nouvel environnement. Ainsi, bien que sur le plan individuel et social, ces hommes montrent un changement influencé par la vie occidentale, toutefois dans le fond, ces hommes s'acharnent à maintenir les limites entre masculinité et féminité, entre traditions ancestrales et vie moderne. * La Suisse par exemple est l'un des plus importants pays sources d'envoi de fonds après des pays comme les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite. En 2001, ce chiffre avait atteint 8,1 milliards de dollars (source FMI, Balance of Payments Yearbook)