Pour le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, «ces périls, s'ils survenaient, auraient pour conséquences la perte de vies humaines et la destruction d'installations ayant coûté des dizaines de millions de dollars». Donc, le CIM a décrété unanimement, pour raison d'«intérêt national», que la ville de Hassi Messaoud déménagera hors du périmètre de sécurité. Cela étant, «si la notion de risques majeurs» est une question fondamentale, compte tenu des «dangers et des risques industriels majeurs auxquels des populations entières sont exposées depuis des décennies», il est franchement temps non seulement de la poser dans sa globalité sans restrictions ni localisations fortuites, mais surtout de l'aborder sans calculs politiciens, encore moins s'en servir comme traitement homéopathique d'une spécificité régionale devenue «subitement exigeante» vis-à-vis du pouvoir central. La question de l'exposition des populations aux risques majeurs est une question globale, fruit de la politique nationale d'industrialisation forcenée de la fin des années 1970 et début 1980. Si pour la ville de Hassi Messaoud, le problème semble être pris en charge, et c'est tant mieux, qu'en est-il des autres pôles industriels et pétrochimiques à l'instar de celui d'Arzew ? Depuis quelques mois, différentes entreprises pétrochimiques de la zone industrielle d'Arzew ont enregistré des explosions et des accidents où, pour certaines d'entre elles, il y a eu mort d'hommes. Des explosions en série Au début de juin 2003, l'explosion, en pleine nuit, d'un four au niveau de l'unité ammoniac 2 de l'entreprise Alzofert (groupe Asmidal) a fait deux morts et des dégâts matériels importants. Quelques jours plus tard, un agent d'entretien de l'entreprise de maintenance industrielle (Somiz) décède asphyxié à l'intérieur d'un bac de stockage de l'entreprise GL1/Z qui contenait encore des gaz toxiques. Le même jour, cette fois-ci au niveau du complexe pétrochimique GL2/Z, un autre agent d'entretien trouve la mort après une chute de plusieurs mètres, en tentant d'échapper au déclenchement d'un début d'incendie. Quelques jours plus tard, un incendie vite maîtrisé, suite à un court-circuit dans le réseau électrique, s'est déclaré dans l'atelier de mécanique de l'Institut algérien du pétrole (IAP) qui se trouve lui aussi à l'intérieur de la zone industrielle. Le 16 juillet de la même année, les habitants de la ville d'Arzew ont été surpris par une très forte explosion parvenant de la Camel (GL4-Z), heureusement à l'arrêt en ce moment pour des travaux d'entretien, suite à un retour de gaz lors d'une opération de purge des équipements de l'unité 22. Une fuite de propane dans un turbocompresseur de l'unité GPL a été à l'origine du déclenchement d'un autre incendie. Des sources internes à l'entreprise nous confieront qu'«il aura fallu le déclenchement du plan d'urgence d'aide interentreprises de la zone industrielle d'Arzew pour circonscrire le feu». Le 19 octobre 2003, un incident majeur est survenu au complexe GL-2/Z ; dû à une fuite de gaz dans une bride de la section traitement. Par ricochet, et sous l'impulsion de ce dernier, une fuite de gaz s'est produite au niveau du train 300. L'incendie a nécessité le déclenchement du protocole d'attaque mutuelle (PAM) qui a duré plus de 6 heures, de 1h10 à 7h10, pour circonscrire le feu. Finalement, il a été conclu que la ville d'Arzew a frôlé la catastrophe suite à «un vice caché du joint de la bride du train 300». Le 15 novembre 2003, un autre incident est survenu au complexe GP-2/Z, l'on saura que la cause du sinistre, selon les résultats de l'enquête diligentée au lendemain du sinistre, à une accumulation de résidus. «L'éclatement d'un tube longitudinal de 60 cm suite à un encrassement important au charbon du four B.» Il nous est impossible de restituer toute la chronologie des «incidents majeurs» survenus au niveau de la zone industrielle d'Arzew où, de l'avis de nombreux spécialistes, les villes avoisinantes (Arzew, Bethioua, Aïn El Bya, El Mohgoun) ont frôlé la catastrophe. En tout état de cause, le dernier en date est survenu le samedi 8 janvier 2005, au niveau du complexe Alzofert (groupe Asmidal), lorsque à 00h35, les habitants de la ville d'Arzew ont été pris de panique, suite à l'explosion d'un bac d'huile de l'unité ammoniac 2. L'ampleur de la déflagration a propulsé le bac en question à plusieurs mètres en l'air. Des informations internes à l'entreprise mettent en cause l'introduction d'un nouveau système appelé Digital Control System (DCS) que les agents, faute de formation adéquate à ce nouveau procédé, ne maîtrisent pas. D'ailleurs, un cadre de cette même entreprise nous confiera tristement : «Nous ne maîtrisons plus rien. Allah yestar.» Si pour la ville de Hassi Messaoud des mesures radicales ont été prises, notamment celles contenues dans l'instruction n°5 et la décision n° 6 du chef du gouvernement datées du 4 décembre 2004 relatives à la mise en place d'un plan d'action à court et moyen termes pour le transfert de la ville de Hassi Messaoud, le pôle industriel d'Arzew, qui s'étend sur une superficie de 2500 ha et avec ses 18 000 employés, ses trois complexes de GNL (GL1/Z qui produit 17,3 millions de mètres cubes, GL2/Z,17,5 millions de mètres cubes et enfin GL4/Z, 2,4 millions de mètres cubes), ses deux complexes de GPL (le complexe GP1/Z avec ses 7,2 millions de tonnes et le GP2/Z, 2,5 millions de tonnes), une raffinerie d'une capacité de 48 000 barils/jour, le complexe d'engrais ammoniacaux (2000 t/jour), une usine d'hélium, un centre de conditionnement d'hélium, un complexe méthanol et de résine synthétique d'une capacité de 100 000 t/an, un complexe de production de gaz industriel et d'autres usines annexes, a un impact stratégique et névralgique indéniable sur l'économie nationale. Cependant, cette industrialisation, qui a été initialement conçue comme un facteur privilégié de développement économique national, n'a pas assuré le développement socioéconomique de la région de façon harmonieuse. L'industrialisation massive et la logique économique ont imposé de profondes mutations au détriment d'une politique d'aménagement du territoire rationnelle et cohérente. Néanmoins, ce pôle industriel diffère fondamentalement du concept traditionnel de zone industrielle aussi bien par sa nature que par sa fonction. Il n'y a pas de limite nette entre les aires réservées aux usines et celles qui restent publiques. Il comprend un ensemble d'infrastructures spécifiques communes qui lient les usines entre elles. Tout incident, tout accident et toute perturbation entraînent instantanément des conséquences directes sur les autres usines. Ce qui pose incontestablement l'impérative nécessité d'un périmètre de sécurité. Suite à cette série noire d'explosions et d'incendies en tout genre, une psychose et une peur panique s'est, insidieusement, installée parmi les habitants de la ville qui commencent sérieusement à redouter une véritable catastrophe, et ce n'est un secret pour personne, car même des documents internes à la zone industrielle d'Arzew attestent clairement que «la dispersion des vapeurs de gaz en cas de déversement créera des surfaces de pollution de gaz de l'ordre de 5800 m. L'impact de ces émanations atteindra la totalité des communes d'Arzew, d'El Mahgoun, de Aïn El-Bya, de Bethioua et la totalité des villages de Sonatrach. Si un des complexes est touché, il peut avoir des répercussions immédiates sur le complexe le plus proche et ainsi de suite, avec comme conséquence la destruction pure et simple de l'environnement immédiat et des populations limitrophes. La dispersion des vapeurs de gaz, en cas de déversement, créera des zones de pollution de l'ordre de 2700 m de rayon à partir du complexe GL4/Z, pour le complexe GP2/Z, l'impact atteindra la totalité des quatre communes sus-citées et la totalité des villages de Sonatrach.» La ville d'Arzew est édifiée dans une cuvette et, à ce jour, elle ne dispose que d'une seule voie d'accès ? Des populations assises sur un volcan Dans la nuit de lundi 10 au mardi 11 janvier 2005, vers 23 h30, une fausse alerte à la bombe au niveau de la zone industrielle d'Arzew a déclenché une panique générale chez les responsables qui ont tout fait pour confiner l'information au niveau de la zone. Le complexe GNL1 a été aussitôt fermé et les travailleurs empêchés de rejoindre leurs postes respectifs pour effectuer la fouille des installations. A dire que des mains occultes cultivent, secrètement, une véritable névrose expérimentale grandeur nature. En sus des incidents et autres explosions liées aux dysfonctionnements des installations, car devenues vétustes, de nombreux villages de Sonatrach, Haï Es Salam notamment, des écoles primaires, des cités à forte concentration humaines et même un lycée sont construits sur l'itinéraire de passage d'un pipeline de gaz naturel à Bethioua. Le comble dans toute cette «tragédie qui ne dit pas son nom», les pouvoirs publics ont attribué officiellement des titres de cession de baraques, aux travailleurs, installés à l'intérieur même du périmètre de sécurité. En tout état de cause, en attendant, la panique s'empare chaque jour un peu plus des 120 000 habitants de la région qui se demandent, en toute légitimité, «jusqu'à quand nos décideurs se cacheront-ils derrière le mektoub et la fatalité divine ?»