Spécialiste de la Corne de l'Afrique, le chercheur Roland Marchal décortique les derniers développements de la scène somalienne et dévoile les défis à relever par le nouvel Exécutif installé à Mogadiscio. Avez-vous été surpris par le retrait des troupes éthiopiennes de Somalie ? Y a-t-il eu des garanties internes ou internationales pour ce retrait ? Le départ des troupes éthiopiennes est une des conditions de l'accord de Djibouti signé en juin 2008. Les USA avaient également manifesté, en septembre, leur volonté de ne plus soutenir un tel effort militaire puisque les négociations avec les insurgés remplissaient les conditions qu'ils y avaient mises. Depuis la fin de l'automne, on a pu constater le renvoi de matériels militaires lourds éthiopiens de Mogadiscio. Donc même si le calendrier initial n'a pas été respecté, Addis-Abeba ne voulait pas et ne pouvait pas rester dans l'impasse actuelle. Cependant, le retrait éthiopien actuel ne dit rien sur les formes d'influence qu'entend maintenir Meles Zenawi (Premier ministre de l'Ethiopie) en Somalie. Il est en effet peu probable qu'il se contente de sécuriser la zone frontalière. On a déjà différentes indications qui suggèrent que l'Ethiopie va d'abord construire une zone de sûreté, une zone tampon, à proximité de sa frontière avec la Somalie et réorganiser les chefs militaires de Mogadiscio stipendiés depuis des années et actuellement invités en Ethiopie. Evidemment, tout le monde attend des indications de la nouvelle Administration américaine sur ce dossier. Quelle est la marge de manœuvre du nouveau président, Cheikh Charif Cheikh Ahmed, face à l'opposition islamiste radicale qui s'est ouvertement déclarée contre lui ? Le nouveau Président bénéficie d'une grande popularité auprès d'une partie importante de la population. La première priorité pour lui est de la conserver en étant capable d'améliorer la vie quotidienne sécuritaire et économique. Certes, il reste une opposition armée qui ne baisse pas les armes et fera feu de tout bois contre lui. Mais il faut savoir que le premier problème du nouveau Président risque d'émaner d'abord de ses alliés, très hétérogènes politiquement et idéologiquement, ainsi que d'une communauté internationale plutôt irréaliste sur l'état du pays. Cheikh Charif va tenter de discuter avec les groupes dissidents et il n'est pas impossible qu'il y gagne quelques ralliements ; il va également mobiliser les oulémas somaliens et étrangers pour faire valider « islamiquement » sa politique. Cela peut réussir s'il répond aux besoins immédiats de la population et des miliciens et conserve une aura nationaliste. Quelles sont les conditions d'un retour à la paix en Somalie ? La réconciliation est devenue un mot creux car la communauté internationale et des entrepreneurs politiques somaliens l'ont utilisé à tout propos. Il faudrait d'abord faire repartir la machine économique car le commerce et les services aideront à rétablir des liens distendus par ces deux années de guerre et permettront de tracer une ligne entre l'ancien et le nouveau quotidien. La violence va diminuer, au moins dans un premier temps, et il faudrait qu'il y ait une alternative à offrir aux combattants (d'où l'importance de l'économie avant l'aide internationale), mais il faudra évidemment plus. L'aide internationale sera disponible peut-être en juin ou juillet, c'est-à-dire trop tard pour réellement avoir un impact politique majeur. Elle peut permettre de structurer au minimum un appareil d'Etat jusqu'à aujourd'hui évanescent et huiler un peu les rouages de la vie politique. Le vrai défi est d'abord le dialogue avec les insurgés afin de les convaincre que la paix est une option réaliste et qu'il n'y a pas de véritable précondition à la reprise du débat sur l'avenir de la Somalie, unifiée ou non. Reste pourtant une interrogation : quelle Somalie émergera d'un tel accord et jusqu'à quel point le nouveau pouvoir reflétera les revendications des groupes marginalisés par la violence des dernières années ?