Les autorités judiciaires ont rédigé un projet de loi prévoyant d'alléger les peines encourues par les mineurs et qui rend, notamment, plus difficiles les condamnations à mort d'enfants », a annoncé mardi le porte-parole du ministère de la Justice. Cette dépêche, tombée la semaine dernière, concerne l'Iran, 30 ans après sa révolution islamique, mais cela aurait pu arriver en Algérie si la « démocratie tranquille » de Chadli avait suivi son cours normal. L'Algérie a échappé au FIS mais n'a pas échappé à la guerre. Le coût d'une démocratie dévoyée, faussée dès le départ. Qui a permis l'introduction de l'islamisme dans le jeu politique et rendu possible une OPA belliqueuse du FIS sur les institutions ? Trois décennies de gabegie, de corruption et de paupérisation de la société ne pouvaient mener qu'à la montée du mécontentement social, arborant la bannière verte avant de virer au rouge sous l'empire du néo-fondamentalisme religieux. Celui-ci tire ses racines du mouvement des Frères musulmans né en Egypte en 1928. L'Algérie indépendante en importa précisément des enseignants et s'engagea à corps perdu dans l'islamisation de la société en minant l'école dès les années 1970. On apprendra alors aux enfants à se prosterner en classe et à mimer des ablutions au tableau. On semait des graines de kamikazes dans une ferveur officielle. Mais avant cela, les islamistes tentèrent de faire de la politique. L'école algérienne « délégua » Ali Benhadj, enseignant, et la tradition des Frères musulmans trouvait son représentant en Abassi Madani. Le couple infernal était né. Comme tout mouvement fascisant, il fallait qu'une crise survienne pour s'afficher et se présenter comme la voie du changement et de la rupture. Octobre 1988 permit aux islamistes algériens d'afficher leurs kamis immaculés d'abord dans la rue, puis devant les caméras du monde entier. Les événements ont éclaté le 5 octobre. Moins d'une semaine plus tard, le 10 octobre, Ali Benhadj prenait la tête d'une marche à Bab El Oued, qui sera réprimée dans le sang devant la Direction générale de la sûreté nationale. La colère des jeunes était absorbée par la machine islamiste. Honni par la société, miné par les contradictions au sein même du sérail, le pouvoir en place courbe l'échine. Il prépare une nouvelle loi fondamentale sans préparer l'avenir. Contrairement à ce que l'on croit, la Constitution du 23 février 1989 n'interdisait pas aux « associations à caractère politique » la référence à la religion. L'article 40 stipulait : « Le droit de créer des associations à caractère politique est reconnu. Ce droit ne peut toutefois être invoqué pour attenter aux libertés fondamentales, à l'unité nationale, à l'intégrité territoriale, à l'indépendance du pays et à la souveraineté du peuple. » L'ouverture démocratique résumée en trois lignes, offrant une brèche dans laquelle s'engouffrait allègrement le courant islamiste. En matière de respect des « libertés fondamentales », les islamistes se sentaient presque à l'aise devant un régime qui avait, par le passé, jeté en prison des collégiens pour « détention » de l'alphabet tifinagh. Si les intégristes ont assassiné au sabre à la cité universitaire de Ben Aknoun, en novembre 1982, un étudiant taxé de berbériste, c'était avec la bénédiction des autorités. Un pacte de dénégation des libertés dirigé contre les démocrates et les progressistes avait en réalité toujours lié le pouvoir en place à la mouvance islamiste la plus radicale. C'est donc d'un bon œil que le gouvernement avait vu l'émergence d'un courant islamiste structuré, une aubaine politique pour contrecarrer les ambitions des démocrates. Ces derniers, non plus, n'avaient pas tout de suite dénoncé la reconnaissance officielle de l'islam politique. Garde-fous tardifs Créé en mars 1989, le FIS sera agréé en septembre de la même année dans l'indifférence générale. « Une réalité sociale », susurrait-on dans les milieux républicains. Une étrange passivité que les protagonistes d'alors n'expliquent pas encore, vingt ans plus tard. Possible que chaque partie considérait sa propre reconnaissance comme trop fragile ou improbable pour la contester aux autres courants. Les consciences ne se réveillèrent brutalement qu'au soir du 26 décembre 1991, quand le FIS était à mi-chemin du pouvoir. C'est à ce moment seulement que l'opinion et, semble-t-il, le pouvoir, réalisaient que l'introduction des islamistes dans le jeu électoral était mortel. Saïd Sadi déclarait, fin décembre 1991, refuser d'aller à « l'enterrement de l'Algérie ». Après la démission de Chadli et la dissolution de l'APN, en janvier 1992, le PAGS déclarait : « Une crise grave menaçait le pays et la République. La démission du président Chadli est un acte salutaire. L'important aujourd'hui est de prendre conscience de la nécessité d'arrêter le processus électoral en cours et de lever l'hypothèque sur l'avenir du pays. » Le FFS, quant à lui, considérait la rupture du processus électoral comme un « coup d'Etat dans les faits ». Le parti d'Aït Ahmed continue d'adopter la même position qui a été, un temps, partagée par l'actuel président de la République. Rares sont les acteurs politiques qui reconnaissent le tort d'avoir toléré un tel monstre dans le paysage national. Sur le site web du Mouvement démocratique, social et laïc (MDSL), issu du MDS, l'on peut lire : « Au plan politique, il (le PAGS) avait fait l'erreur irréparable de ne pas condamner la légalisation anticonstitutionnelle du FIS par le pouvoir le 6 septembre 1989. Son silence avait couvert la banalisation d'un parti politique qui ne tardera pas à révéler sa nature fasciste en semant le chaos dans le pays et en le plongeant dans un bain de sang. » Sur le site du RCD, dans la rubrique Positions politiques marquantes, le parti de Saïd Sadi rappelle « s'être déclaré, dès sa naissance, pour la séparation des champs politique et religieux et avoir lancé, le 30 décembre 1991, un appel à l'interruption du processus électoral », un appel qui sera « entendu par les citoyens et les plus hautes autorités du pays ». L'une des images « marquantes » de cette période trouble et chargée de périls : le face-à-face Sadi et Abassi Madani à la télévision nationale, dont on se souvient. Le premier promettait de barrer la route du pouvoir au second, mais ce partage du « champ » médiatique illustrait la fausse route que prenait la démocratie en Algérie. Les garde-fous constitutionnels n'arriveront qu'à l'occasion de la Constitution du 28 novembre 1996, après quatre années de guerre livrée par l'insurrection islamiste à la société algérienne. L'article 42 stipule : « Le droit de créer des partis politiques est reconnu et garanti. (…) Dans le respect des dispositions de la présente Constitution, les partis politiques ne peuvent être fondés sur une base religieuse, linguistique, raciale, de sexe, corporatiste ou régionale. Les partis politiques ne peuvent recourir à la propagande partisane portant sur les éléments mentionnés à l'alinéa précédent. (…) Aucun parti politique ne peut recourir à la violence ou à la contrainte, quelles que soient la nature ou les formes de celles-ci ». Un texte destiné à faire barrage à une formation politique dissoute et qui n'a pas permis d'interdire des organisations islamistes encore en activité. L'une d'elles, par un simple changement de son sigle, lui permettant une conformité factice à la Constitution, a pu intégrer l'actuelle Alliance présidentielle.