Dans la liste illimitée des crimes atroces commis par le colonialisme français contre le peuple algérien, il en est un abominable – qu'il est difficile, voire impossible d'oublier ou de pardonner : la condamnation à mort et l'exécution d'adolescents encore mineurs. Non une fois, mais des dizaines de fois, non par erreur, mais délibérément, en falsifiant dans certains cas, la date de naissance du mineur. Pour essayer de comprendre, l'incompréhensible – l'assassinat d'enfants par le « pays des droits de l'homme » – il faut se rappeler comment fonctionnaient l'ordre et la justice coloniaux. Les policiers et les soldats pouvaient tuer autant d'Algériens qu'ils voulaient. Ils en ont le droit, ce sont des agents de l'Etat français. Par contre, l'Algérien qui prend une arme pour se défendre – seul ou au sein d'un mouvement de libération – est un hors-la-loi, et s'il tue un seul Français, militaire ou civil, il devient un vulgaire assassin que les juges français s'empresseront de condamner à mort et d'envoyer à la guillotine. Que cet Algérien condamné à mort soit mineur importe peu. C'est un assassin et il sera exécuté. Que des lois françaises et des lois internationales entérinées par la France interdisent de juger des mineurs comme des adultes et de les faire exécuter ne gêne personne, n'émeut aucune conscience. La sainte-coalition de l'Algérie-française de droit divin a le bras long, il s'étend du garde champêtre au président de la République française, et, elle est prête à violer toutes les lois du monde pour garder « son » Algérie. Tout en présentant au monde le leurre imperturbable, de la « légalité républicaine ». Face à ce déni de justice sournois, les résistants algériens majeurs ou mineurs étaient condamnés – à mort – d'avance. Pour les mineurs, on usera de quelques expédients pour sauver les apparences, comme falsifier la date de naissance du mineur, ou le priver de son avocat au moment où il doit présenter un pourvoi en cassation ou une demande de grâce. Mais même ces deux derniers recours étaient souvent voués à l'échec : les juges coloniaux (notamment ceux du Tribunal permanent des forces armées) ne connaissaient qu'un verdict pour les Algériens – la peine de mort. Et, les présidents de la République de l'époque semblent ignorer la signification du mot « grâce ». Ainsi, René Coty, de novembre 1954 au 7 janvier 1959, n'a jamais accordé de grâce à un Algérien. De Gaulle, lui-même, a refusé la grâce des condamnés à mort algériens dont des mineurs, malgré l'intercession de plusieurs personnalités internationales éminentes. Rien d'étonnant à cela puisque les présidents de la République française ont toujours été les derniers remparts de la politique jusqu'au-boutiste des fanatiques de l'Algérie française. Il reste que la France a fait assassiner, sous couvert et au mépris de la loi, des dizaines de jeunes Algériens mineurs. Nous donnons, ci-dessous, quelques noms de jeunes patriotes victimes de la barbarie du colonialisme français. - Laid Ahmed Ould Mohamed 18 ans. Jeune fidaï (combattant en milieu urbain) activant à Maghnia (Tlemcen), il fut accusé d'un attentat commis contre un cinéma fréquenté par des soldats français. Condamné à mort, il fut guillotiné le 3 juillet 1956 à la prison civile d'Oran. Pour justifier cette exécution, son acte de naissance a été falsifié dans le but de rapprocher son âge de son acte de l'âge de majorité. - Nour-Eddine Saâdoun, 17 ans, élève au lycée franco-musulman de Ben Aknoun (actuel lycée Amara Rachid), il fut exécuté sans jugement à Cherchell au village Tizirine, le 29 novembre 1956, avec son frère et son cousin, et plusieurs membres des familles du village qui avaient des enfants au maquis. Et Benmokadem, dit Dziri fut égorgé et le corps a été retrouvé sans tête. Cette tuerie, qui a fait 11 morts, fusillés ou égorgés, est l'œuvre du 22ème régiment d'infanterie de l'armée coloniale aidée par la milice locale. 3 - Rahal Boualem 19 ans, il a été guillotiné le 20 juin 1957 à la prison de Serkadji (Alger). Son acte de naissance a été falsifié pour le faire vieillir de 10 mois et rendre son exécution possible, sur l'acte d'origine il est né le 26.12.1937, sur l'acte falsifié il est né le 26.2.1937. - Ferradj Makhlouf, 18 ans (né présumé en 1939), jeune travailleur, originaire de Palestro (Lakhdaria), il fut condamné à mort le 26 mars 1956 et guillotiné le 22 juin 1957 à Serkadji. 2 - Lakhlifi Abderahmane 19 ans (né en 1941) : accusé d'avoir organisé, le 20 septembre 1958, une attaque contre un commissariat de police de Bellecour (France), qui a fait sept blessés, dont deux sous-brigadiers. Il est jugé par le Tribunal permanent des forces armées de Lyon et condamné à mort le 12 janvier 1960. Une mort programmée, on l'a privé de son avocat Me A. Benabdallah, du barreau de Paris, lors de sa comparution et lors de la présentation du recours en grâce au général De Gaulle, président de la République. Avant son exécution survint l'imprévu : une erreur de procédure rendit publique, trois jours auparavant, la date de son exécution. Aussitôt alertées par son avocat, des personnalités de stature internationale (Nikita Khroutchev, Sa Majesté Mohamed V, la princesse Grace de Monaco…) demandent la grâce du jeune homme à De Gaulle. Mais De Gaulle, sourd à ces appels, décida de « laisser la justice suivre son cours ». Abderahmane Lakhlifi fut guillotiné le 30 juillet 1960 à la prison de Fort-Mont-Luc (Lyon). Priver un accusé algérien de l'assistance de son avocat aux moments cruciaux de la procédure judiciaire est une pratique scélérate souvent utilisée par la maffia haineuse qui régentait la justice coloniale française. Et les protestations de l'avocat et l'appel des personnalités ne servaient à rien. L'accusé est pris en charge par un avocat commis d'office qui se montra, dans le meilleur des cas, indifférent à la cause de son client. Outre Abderrahmane Lakhlifi, plusieurs autres condamnés à mort algériens ont été victimes de cette violation caractérisée de leurs droits : - Makhlouf Abdelkader, guillotiné le 5 août 1960 à la prison de Fort-Mont-Luc (Lyon). Il a été privé de son avocat, remplacé par un avocat commis d'office. Son recours en grâce fut rejeté. - Seddiki Ali et Tirouche Mohamed : accusés d'avoir tué un indicateur de police, le 5 août 1958 à Saint Pierre de Vouvray, près d'Evreux (France). Ils furent torturés et incarcérés à la prison de la Santé (Paris). Le Tribunal des forces armées les condamne à mort le 4 mai 1960, en l'absence de leur avocat Me A. Benabdallah, interdit de prétoire par une décision arbitraire du tribunal, leurs recours en grâce furent évidemment rejetés. Seddiki Ali et Mohamed Tirouche furent exécutés le 27 août 1960 à la prison de la Santé (Paris). Maître A. Benabdallah a alerté le comité international de la Croix-Rouge (C.I.C.R) sur le sort de ses clients et 17 autres Algériens furent condamnés à mort sans bénéficier de l'assistance d'un avocat.