La deuxième journée de la session conjointe entre le CNES algérien et le CESE français a fait resurgir les vieux démons de la relation algéro-française, trop marquée par l'histoire. Et pour cause, l'enjeu d'une relation apaisée entre les deux pays a donné lieu à une interprétation aux accents polémiques entre les deux délégations. Hier en tout cas, on a eu le loisir de constater les deux approches duales durant les débats. Alors que les experts du conseil français s'attardaient sur la nécessité de fouetter la coopération bilatérale via des programmes de jumelage de villes ou d'universités pour jeter les passerelles et entrevoir un avenir meilleur en laissant « le temps faire les choses », Mohamed Seghir Babès a tôt fait de recadrer le débat, voire de le concentrer sur la problématique de la mémoire. « Nous devons interpeller la mémoire commune qui, de mon point de vue, est indépassable. Si on laisse les choses se faire à travers les générations, on ne pourra pas concevoir une relation apaisée dès lors que ce seraient sûrement les fragments douloureux de la mémoire commune qui resurgiront », a expliqué le président du CNES. Cette mise au point est intervenue à la fin du débat qui allait se terminer sur des conclusions plus terre à terre. M. Babès s'est donc fait un point d'honneur de rouvrir la « boîte noire » de l'histoire pour la soumettre à débat, avant de reparler de l'avenir qui pourrait déboucher sur, pourquoi pas, l'adhésion effective de l'Algérie à la francophonie. Tels étaient justement le souhait et les suggestions maintes fois réitérés par la délégation française. Un souhait motivé, entre autres, par le fait que l'Algérie est le premier pays francophone au monde après la France. Mais visiblement, cela n'a pas suffi pour titiller l'ego du président du CNES qui a enfilé le costume du diplomate pour dire à ses interlocuteurs ce qu'ils ne s'attendaient pas à entendre en pareille circonstance. Et la boîte noire de la mémoire commune s'est transformée en boîte de Pandore, cristallisée par la mine défaite du président du CESE, pas du tout à l'aise au côté du tonitruant Babès. La tenue de cette inédite session conjointe des deux institutions, qui devait aboutir, du moins espérait-on, à un rapprochement des idées et à une plateforme d'entente de la société civile pour fouetter les raisons d'Etat, a vite révélé des arrière-pensées non point politiques. La devise française qui postule « oublions le passé pour entrevoir l'avenir » a subi une contre-offensive algérienne qui défend exactement le contraire, c'est-à-dire « solder le passé pour apaiser l'avenir ». A la fin de la séance matinale d'hier, il était loisible de sentir la tension et de prendre toute la mesure de cette vision dialectique de la relation entre l'Algérie et la France. Cela donne assurément un avant-goût de ce que seront les débats, aujourd'hui, de l'autre côté de la Méditerranée, à Marseille. Il est d'ores et déjà acquis que la déclaration finale de la session conjointe donnera lieu à de belles joutes oratoires, comme on en a souvent écouté dès qu'il s'est agi de la passionnante et passionnée relation entre la France et l'Algérie. Et tel que c'est parti, tout porte à croire que le rapprochement algéro-français par le bas, c'est-à-dire avec la société civile, risque de subir les dommages collatéraux de la longue nuit coloniale.