Choisir entre les valeurs du passé et celles de l'avenir est un risque de perdre les deux. Je préfère donc choisir les deux ! » Marseille. De notre envoyé spécial En prononçant cette phrase sur un ton sentencieux, le président du Conseil économique et social français, Jacques Dermagne, venait de rompre brusquement avec son obligation de réserve. C'était mercredi dernier au siège du Conseil de région à Marseille, à la clôture de la session conjointe entre le CNES et le CESE. Durant trois jours d'un intense et obstiné travail de mémoire entrepris par le CNES algérien, sous l'impulsion de son président, Mohamed Seghir Babès, la délégation française s'est recroquevillée dans sa carapace. Aux coups de boutoir oratoires des experts du Cnes sur la nécessité de solder le lourd passif colonial pour entrevoir un avenir en « binôme », leurs homologues français, droits dans leurs bottes, refusaient de regarder dans le rétroviseur de l'histoire. Alain Gérard Slama, qu'on dit envoyé spécial de l'Elysée, s'est chargé de lire une histoire à dormir debout sur de prétendues « souffrances de part et d'autre ». Il n'en fallait plus pour « allumer » les débats et susciter de vives réactions algériennes. Le coup de gueule de Bensaci A commencer par Mohamed Seghir Babès, qui a donné ex cathedra un cours d'histoire à son auditoire français au Palais des nations, bien agrémenté de subtiles références aux idéaux de la révolutions française. Calé dans son fauteuil, Jacques Dermagne était visiblement gêné de ne pas assumer publiquement et diplomatiquement ce qui lui semblait être une conviction personnelle. Et ce fut donc à l'issue des travaux à Marseille qu'il a eu ce courage de « comprendre » séance tenante la préoccupation algérienne sur la nécessité d'une immersion dans un passé douloureux pour extirper les épines des blessures encore sanguinolentes qui handicapent le couple franco-algérien. Jacques Dermagne s'est donc résolu à ce devoir de mémoire et s'est engagé à accompagner la démarche de son homologue Babès dont il a salué « la grande générosité intellectuelle ». Il a montré subtilement sa disponibilité à œuvrer à la levée de l'hypothèque historique pour ouvrir grandes les portes d'une coopération pour le meilleur et pour le pire, parce que débarrassée des a priori si prégnants en France. Concrètement, les deux institutions ont signé un mémorandum d'entente à Alger qui servira de plateforme de discussions futures sur des thèmes en relation avec leurs domaines d'intervention. C'est le résultat le plus palpable d'une session inédite consacrée à l'économie et qui a pris le risque de parler diplomatie. Force est de relever que ce n'était pas un coup d'épée dans l'eau. Le CNES et, à un moindre degré, le CESE ont eu ce mérite d'avoir prouvé qu'il est illusoire d'imaginer une coopération économique dépassionnée entre l'Algérie et la France tant qu'il n'y aurait pas de solde de tout compte. Zaïm Bensaci, président du Conseil consultatif pour la promotion des PME, a parfaitement résumé à Marseille la frilosité française à l'égard de l'Algérie. « Pourquoi avez-vous décidé d'implanter l'usine Renault au Maroc alors que l'Algérie offre un marché de 3 millions de véhicules ! » tonnera-t-il, mettant mal à l'aise le président Dermagne qui s'impatientait de mettre fin au débat. M. Bensaci a battu en brèche le paradigme français de la coopération fondée sur la sous-traitance et la « co-traitance ». « Ce que nous voulons c'est un partenariat avec les entreprises françaises et un compagnonnage industriel entre nos PME ! », expliquera-t-il dans son coup de gueule sur cette coopération « déséquilibrée ». C'est dire qu'à Marseille, les experts du CNES ont joué cartes sur table. Aux politiques de faire le reste.