Comment a germé dans votre esprit l'idée de réaliser le documentaire Vent de sable : le Sahara des essais nucléaires, à Reggane ? Je vais vous étonner, je ne savais même pas qu'il y a eu des expériences atomiques à Reggane. Je savais que la France possédait la bombe atomique, mais je ne me posais pas la question. Parce que je vivais et que j'ai fait mes études en Algérie. Je n'ai jamais entendu parler de cela. Ce n'est qu'au milieu des années 1990, en lisant un article du Canard Enchaîné, que j'ai appris que l'on avait procédé à des essais atomiques à Reggane, en Algérie. J'étais interloqué et surpris. Et puis, c'est à l'issue d'un reportage et un magazine pour France 3 sur les vétérans de Reggane que je me suis rendu sur place. Une sorte de repérage. Après, j'ai commencé à travailler sur un vrai film documentaire sur les essais nucléaires à Reggane. Quel est le nouveau regard porté par votre documentaire sur les essais nucléaires à Reggane ? J'ai voulu aller sur place enquêter comme un anthropologue. Aussi, pour la pertinence du documentaire, je me suis rendu à Reggane avec un expert pour les besoins des analyses scientifiques. Aussi, avons-nous visité les quatre points zéro du polygone de Hamoudia à côté de Reggane où nous avons analysé et mesuré le résidus et autres éléments. Une explosion nucléaire, ça libère 300 radio-éléments, des éléments radioactifs. Certains ont une durée de vie de quelques minutes mais d'autres des milliers d'années. Et notamment le plutonium qu'on a trouvé. Il faut 42 000 ans pour que la zone de Reggane soit décontaminée. Une zone radioactive demeure un danger permanent... Le danger se situe à différents niveaux. Il fallait que les Français fassent une enquête d'impact avant d'installer un centre d'expérimentation atomique, alors qu'il se trouve à proximité d'une population et autres habitations. C'est aussi une région où le vent de sable est endémique. Une migration transportant des particules radioactives sur 5 à 600 km et se déposant sur la végétation, contaminant les humains et les animaux. Ou tout simplement inhalées dans l'air. La deuxième erreur, les Français sont partis sans démanteler ni sécuriser les sites radioactifs. Jusqu'à maintenant, à titre d'exemple, on recycle le cuivre de la région de Reggane qui est ultra radioactif pour la confection d'articles artisanaux. Des humains ont dû périr dans cet essai atomique ? Si vous voulez mon avis, je me suis intéressé à cette question centrale. Cependant, je n'ai pas trouvé de témoignages fiables et pertinents. Ce n'est pas avéré. Les essais nucléaires comportent tellement de problèmes qu'on n'a pas besoin de rajouter l'invraisemblable. Les effets sont tellement désastreux ! Je pense que le plus urgent, c'est de commencer à travailler sur place, constituer des commissions d'experts, évaluer les dégâts, proposer des solutions... Il s'agit de commissions indépendantes, médicales, des historiens, des juristes, des experts en armement nucléaire. Et non pas de commissions émanant des Etats. Est-ce qu'il y a eu une volonté de la part de la France en matière d'indemnisation des personnes contaminées par la radioactivité ? Le problème, c'est que la France est au Moyen-Age de la transparence. Les Etats-Unis, dès 1914, avaient ouvert les archives en les déclassifiant. On vous sort tous les dossiers sur les essais nucléaires si vous faites une recherche sur les essais nucléaires. En France, c'est le black-out total. La première chose à faire, c'est la levée du secret- Défense. Pour réaliser ce documentaire, on a dû faire du porte-à-porte pour retrouver les personnes ayant travaillé à Reggane. Il faut élaborer un état des lieux sanitaire et écologique, dégager un bilan de situation et demander réparation quant aux dommages collatéraux. Un dédommagement. Il faut que les sites soient réhabilités. Les Britanniques l'ont fait en Australie, les Américains aussi, pourquoi pas les Français ?