Le Président vient de faire un véritable réquisitoire à l'égard des banques, accusées de bloquer les réformes économiques. Quel est votre avis ? Pour nous, il s'agit d'une interpellation légitime et adressée à tout l'appareil économique. Elle est plus visible pour les banques parce qu'effectivement les banquiers sont appelés à faire un effort plus important. Sauf qu'il faut préciser que dans le secteur du financement, les banques travaillent actuellement dans la discrétion qui leur est connue afin de rénover leur fonction et surtout de mettre, face aux nouvelles sollicitations, des instruments de travail plus appropriés. Vous savez qu'en quatre ans, la demande de financement, focalisée avant sur un seul segment de marché, en l'occurrence les entreprises publiques, s'est éclatée en cinq segments. Il y a les grands projets, de taille importante, pour lesquels plusieurs banques s'allient pour offrir des crédits consortiaux. Puis les grandes entreprises nationales, considérées comme de grands clients qui se développent et qui doivent trouver de nouveaux moyens de financement. D'ailleurs, il faut rappeler que les banques ont joué un rôle important dans la mobilisation de l'épargne existante. En effet, même si celle-ci n'appartient pas aux banques, elles ne peuvent être mobilisées que par leur intermédiaire. Alors, les obligations Air Algérie, Sonelgaz et celles qui vont venir ne sont en fait qu'un travail de financement de ce que nous appelons l'économie de financement non intermédié, du fait qu'il ne s'agit pas des ressources de la banque, mais de celles mobilisées par les services des banques. Le secteur banquier agit de plus en plus pour activer le marché financier… Pourquoi, selon vous, tout le monde, le président de la République et les opérateurs économiques, accuse le secteur bancaire d'être un frein à la réforme économique ? Il y a tout un chantier de travail qui se fait depuis quelques années sur le terrain. Il s'agit du système de paiement dont les effets seront perceptibles vers la fin de l'année en cours et au maximum en début 2006. Pour différentes raisons, ce travail, il est vrai, a pris du retard, dont les responsabilités sont partagées avec d'autres opérateurs, surtout le secteur des télécommunications. Il y a un pacte qui ne dit pas son nom entre les pouvoirs publics – dont le ministère délégué à la Réforme financière est le cœur de ce triptyque, les banques, la Banque d'Algérie – et nos partenaires étrangers pour structurer les plateformes nécessaires à une industrie bancaire de traitement électronique qui métamorphosera complètement notre façon de payer les chèques, de les régler et d'utiliser les cartes bancaires d'ici à 2006. Dans ce domaine, effectivement, les effets ne sont pas visibles, mais il s'agit d'un chantier d'une grande envergure dans la mesure où il touchera les 1200 agences existant sur le territoire nationale et les millions de transactions qui se font sur le marché. Ce qui a nécessité des précautions d'ordre juridique, technologique et organisationnel. Les systèmes d'information sont en train de faire leur mutation pour se préparer à un tel événement. Il est important de signaler qu'une fois en vigueur, nous n'aurons plus le droit à l'attente, ni à l'insécurité des transactions. Nous serons dans un système où le papier sera neutralisé, du fait d'une dématérialisation quasiment totale de la gestion. Nous travaillerons uniquement sur des enregistrements électroniques et la transmission d'images qui exigent un niveau de sécurité très élevé. Maintenant, à propos du chantier relatif aux questions du financement de l'économie, il faut reconnaître que les banques participent chaque année à hauteur de 20 à 25% de leurs portefeuilles. C'est un effort qui est réel et qu'il faut prendre en considération. Déjà pour absorber le retard… Du point de vue économique, il est vrai que nous accusons un retard. Les banques avancent au rythme de leur environnement. Or, on demande un effort supplémentaire à quelqu'un qui peut tirer un peu plus alors qu'il est tenu dans un triptyque qu'il faut respecter. Il faut un seuil minimum de rentabilité des opérations, un respect strict des règles prudentielles et une sécurité de la place financière. Les banques financent, mais doivent veiller à ne pas dépasser un seuil de déchets de dossiers inacceptable. Vous savez que nous venons de sortir d'une opération d'assainissement… Qui a coûté combien au Trésor public ? Le montant est au niveau de celui qui a assaini. Ceci étant, cet assainissement est une facture d'une forme donnée de l'économie. Il y a eu des phases successives, mais maintenant il y a une contractualisation de la relation entre les propriétaires des banques publiques et celles-ci. La sollicitation de financement la plus forte a été enregistrée chez les banques publiques. Les autres sont sur la place financière, mais pas avec autant de demandes. Est-ce parce que les banques privées ne prennent pas autant de risque que celles du secteur public ? Les banques privées ne travaillent que par rapport à une donnée de marché, un seuil de rentabilité et un niveau de prudence. Les banques publiques sont très sollicitées par les propriétaires afin d'aller plus loin, parce que leur réseau est plus important, leur portefeuille plus large et leur maîtrise des filières plus grande. Mais elles doivent toujours le faire pour éviter de régénérer des créances non performantes. Leurs propriétaires leur ont fait signer des engagements contractuels afin que ce qui a été assaini ne se reproduise plus. Des lourdeurs existent encore et sont en train d'être prises en charge par les banques qui travaillent sur le niveau des délégations des pouvoirs à leur hiérarchie régionale et locale. Il est important de noter que la sphère réelle n'a pas encore fait sa mutation. L'effort exceptionnel qui est demandé aux banques doit également s'accompagner d'un autre effort exceptionnel pour viabiliser la sphère réelle, qui est encore, faut-il le répéter, immature. Les banques sont en train de travailler sur les procédures internes dans la mesure où elles vont de plus en plus vers une massification des demandes de crédit. Avant, il y avait un portefeuille de banques publiques. Maintenant, il y a des milliers de PME-PMI qui sollicitent ces mêmes banques. Il y a eu, selon l'ANSEJ, plus 62 000 microentreprises qui ont été financées par les banques et le risque est aussi important. Cette même agence a annoncé que les montants de financement ont augmenté de 82% en 2004. Les microentreprises d'aujourd'hui sont les PME-PMI de demain. Vous savez que l'Etat s'est engagé à aider la catégorie des jeunes âgés entre 35 et 50 ans en les accompagnant pour les booster, sans oublier les particuliers qui veulent de plus en plus bénéficier de crédits immobiliers, de consommation ou d'achat de véhicules. Vous parlez de l'année 2006 comme étant une date butoir pour l'achèvement du projet de modernisation du système bancaire. N'y a-t-il pas d'échéances pour la récupération des crédits non encore remboursés ? Les créances non performantes sont des immixtions dans les bonnes créances. C'est une situation qui est aujourd'hui derrière nous. Et il faut rendre hommage à la compréhension des pouvoirs publics qui ont pris la décision d'assainir la situation… Est-ce que les pouvoirs publics comptent les récupérer ? C'est aux pouvoirs publics de se charger des créances qui sont ailleurs. Celles détenues par le secteur privé ou public sont le coût du développement et de l'ajustement économique. Maintenant, il faut que tous les financements nouveaux aient un niveau d'orthodoxie. La sécurité bancaire ne dépend pas uniquement d'un pays. Nous appliquons les règles prudentielles de base 1 et nous nous préparons déjà à d'autres règles de base 2, plus sévères, qui vont s'appliquer dans tous les pays du monde à partir de 2008. Cela ne veut pas dire que les procédures seront plus étouffantes. Les banques sont en train de prendre les précautions pour écrémer et financer ce qui est finançable. Plus leurs portefeuilles sont importants, plus cela leur permettra de ne rejeter que ce qui pourrait demain porter atteinte à leur rentabilité. Aussi bien au niveau des pouvoirs publics qui sont à l'écoute des banques ou encore au niveau du patronat, avec lesquels nous avons eu une discussion lors d'un premier atelier entre techniciens. Nous sommes en train de demander aux sphères réelles de faire en sorte de soutenir le management, la maturation des projets, la viabilisation des entreprises et leur mise à niveau afin de rendre bancable ce qui peut l'être. Il y a donc un double mouvement à opérer. Les banques doivent revoir leurs procédures, moderniser leur gestion interne, élargir leur contact avec la clientèle pour que les ressources financières puissent être injectées. Il faut préciser que nous sommes toujours avec des projets basés sur l'offre et non sur la demande. Je m'explique : lorsqu'un projet est qualifié de garant, souvent les partenaires expliquent plus le produit que la sphère qui l'utilise. Or, le produit n'existe que s'il y a un acheteur. Aujourd'hui, nous sommes effectivement en face de cinq filières qui sont totalement saturées. Avec le patronat, nous avons décidé de faire un travail d'éclairage sur des filières données. C'est-à-dire que, dans une région donnée, par l'éclairage précis d'une institution nationale chargée des statistiques économiques, nous pouvons dire si elle a atteint un seuil de saturation. Il faut qu'en amont de la décision bancaire le promoteur individuel ou entreprise puisse recevoir de la part des institutions chargées du soutien à l'investissement des informations précises sur les filières à investir. Malgré 60% des demandes que reçoivent les banques concernent les transports, les minoteries et l'élevage bovin, il y a un grand manque sur le marché. Il y a un travail à faire aussi bien sur le tissu existant que sur les opportunités ciblées par région. Pourquoi, selon vous, y a-t-il une réticence dans l'ouverture des banques aux apports privés ? Déjà, il faut reconnaître que les banques publiques à grand réseau ont fait un très grand pas en avant et les choses qui se faisaient en un mois avant se font en vingt-quatre heures aujourd'hui. Mais c'est sûr que, demain, ces banques nationales, qui sont devenues des groupes, devront impérativement fonctionner et être gérées en tant que tel. C'est sûr aussi que l'ouverture à des partenaires externes de qualité, de standing et de niveau professionnel international sera d'un apport exceptionnel. Néanmoins, il ne faut pas oublier que l'économie fonctionne à deux vitesses. Il faut donc que la vitesse réelle soit au moins égale à celle de la banque. C'est ce que les banques publiques ont fait pendant des années en finançant des opérations d'importation de produits de consommation au détriment des projets d'investissement ? Les opérations d'importation ne pèsent pas sur les portefeuilles, mais sur le marché. Plus elles augmentent pour inonder le marché, plus les entreprises nationales accompagnées par les banques auront du mal à écouler leurs produits et vont se retrouver ainsi dans une situation de non-remboursement. Les banques pensent qu'avec l'ouverture et le contrôle de la qualité le marché sera plus rationalisé et les entreprises mieux portées. On ne peut pas financer le long terme par le court terme. Les banques ont été jusqu'à participer à hauteur de 25 à 30% de leur portefeuille dans des investissements ou des opérations qui s'assimilent à de l'investissement. En conclusion, il faut que la sphère réelle soit boostée à un rythme beaucoup plus important qu'elle ne l'est maintenant. C'est pour cela que je dis que l'accélération des réformes bancaires est le fruit de l'effort de cette réforme. Mais l'effort exceptionnel du financement de l'économie est aussi en fonction du rythme de la sphère réelle. Le soutien aux nouveaux investisseurs doit être au-delà de simples orientations générales, il doit se porter sur des filières, sur les régions, sur les produits… Tout cet effort n'est-il pas confronté aux mentalités bureaucratiques desquelles se plaignent souvent les opérateurs ? Il y a des banques qui ont voulu aller trop rapidement. Elles ont donné des crédits de façon un peu trop laxiste, mais en opposition aux règles professionnelles, et le marché les a sanctionnées. Il est vrai qu'il y a un problème de réactivité des grandes banques publiques, celles qui ont de grands réseaux. Pour y faire face, elles sont en train de revoir les délégations de pouvoir au niveau régional. Elles ont fait un investissement extrêmement important dans le système d'information interne pour que la prise de risque ne soit pas segmentée, mais centralisée. Est-ce que cette prise de conscience est la conséquence des nombreuses faillites des banques privées ? C'est par rapport surtout à ce qui est lié au portefeuille. Beaucoup de projets privés ou publics qui sont pris en charge ont un niveau de déchet important, c'est-à-dire non bancables. Il faut donc faire la sélection rapide, sur un ensemble de projets, de ceux qui sont les meilleurs et qui ne doivent pas attendre le traitement des autres. Le système d'information mis en place est actuellement capable d'étudier le risque et de prendre la décision qu'il faut. Il y a 62 000 projets de microentreprise financés en quatre ans et leurs bénéficiaires peuvent parler de ces changements. Mais ils parlent aussi d'entraves rencontrées lors de la procédure… Il y a de bons projets qui ont mis deux mois et il y a des projets moyens qui mettent beaucoup plus de temps. Pour avoir un terrain, un registre de commerce, il faut du temps. Et la banque est au cœur de beaucoup d'administrations qui ne peuvent attendre. Il faudra aussi qu'il y ait plus de garanties. Pour cela, il faut que l'appareil judiciaire réponde plus rapidement. Avant d'arriver à la justice, nous avons eu des cas où la banque n'a même pas vérifié l'existence ou la valeur vénale des biens hypothéqués en contrepartie d'un crédit… Au contraire, les banques ont même pris sur elles d'accepter des promesses d'hypothèque. Vous savez qu'il y a une crise de titres de propriété dans notre pays. Il y a des régions entières où le demandeur a une promesse d'hypothèque en attendant que le titre de propriété soit disponible pour des considérations que vous connaissez. Les banques ont pris un sur-risque. Elles sont en train d'innover pour faciliter l'octroi des crédits en acceptant même des hypothèques terrain concédé. Il faut maintenant passer de la vitesse annuelle 12 à 15% à une vitesse de 25 à 30%. Nous sommes dans une bien meilleure situation qu'avant. Qu'est-ce qui explique l'échec d'une bonne partie des banques privées ? Quand il s'agit d'acheter et de vendre un risque, il faut un minimum de professionnalisme. Prendre des ressources et en même temps faire en sorte qu'elles soient rentables et sans risque n'est pas chose aisée. Cela demande une technicité et des années pour connaître d'abord le marché. Est-ce le secret de la réussite des banques étrangères installées en Algérie ? L'économie dans son ensemble est passée à une vitesse supérieure. C'est avec cette dynamique d'interpellations mutuelles entre les parties concernées, même avec les craquements et les confrontations, que nous pouvons faire avancer les choses. Le Président a également reproché à la Banque d'Algérie de ne pas faire travailler l'argent actuellement en réserve. Quel est votre avis sur ce sujet ? Il y a une institution qui est chargée de la politique monétaire. Et les instruments de cette politique, que sont les banques, doivent être rénovés, voire évoluer vers un marché de liquidité à long et moyen terme. Cette politique doit permettre au marché financier d'évoluer selon le rythme qui lui est imposé par l'environnement. C'est vrai qu'il y a encore à faire dans le domaine des banques.