En principe, la politique ne doit pas pénétrer dans l'université, mais rien qu'à voir les portraits d'un candidat (le chef de l'Etat) sur tous les bus de transport d'étudiants, on voit qu'on est loin du principe. » Amine, étudiant en droit à Ben Aknoun (Alger), ne cache pas son amertume : « D'ailleurs, est-ce qu'un jour l'université a été protégée des politiciens ? » Il réagissait à la dernière technique officielle pour booster la participation à la présidentielle du 9 avril. Liberté avait révélé le 21 février que le ministère de l'Intérieur a envoyé une directive, (n°0252.25), datée du 25 janvier 2009, aux APC stipulant : « Dans le cadre de la préparation du scrutin présidentiel et afin de faciliter l'acte électoral aux étudiants internes, il leur est permis de retirer les formulaires d'inscription sur les listes électorales de la commune de leur lieu de résidence universitaire. » Ces dérogations spéciales pour s'inscrire sur les listes sont des mesures inexistantes dans la loi, sauf pour les Algériens installés à l'étranger et qui peuvent s'inscrire dans leur commune de naissance. La mesure est allée plus loin avec l'installation de bureaux d'inscription dans les cités U. N'allons-nous pas carrément vers la création de bureaux de vote dans les cités U, « afin de faciliter l'acte électoral aux étudiants internes » ? Salima, de Médéa, étudiante en journalisme, et Hafid, d'Oran, étudiant en histoire, rencontrés devant la cité U de Ben Aknoun ont des avis partagés. « Pour ceux qui veulent voter, c'est pratique. Au lieu de retourner chez eux pour voter et en profiter pour rester en famille une semaine, ils gagnent du temps. Bien que, pour ma part, je ne voterai ni dans la cité universitaire ni ailleurs ! », confie Hafid. Salima est plus tranchante : « A l'institut, personne ne parle de cela. Nous venons de finir les examens. C'est cela notre premier souci. Maintenant, je trouve que c'est un peu rigolo qu'on nous laisse manger et dormir n'importe comment dans les cités, pour qu'ensuite ils se réveillent pour nous enregistrer pour les élections. Rien que pour cela, je ne voterai pas ! » « Quelle ingratitude ! », aurait hurlé l'autorité qui se casse la tête pour « faciliter l'acte électoral aux étudiants internes » ! La centenaire Faculté centrale (Alger) : deux étudiantes dans leurs voiles in éclatent de rire lorsqu'on expose le motif de l'entretien. « Les listes électorales ? C'est une blague ? On est même pas en sécurité dans les cités U ! Lorsqu'on entre à 18h à la résidence, des files de voitures stationnent en face et leurs occupants sont là pour racoler ou t'insulter si tu refuses leurs avances. Il y a même des gens qui ont arrêter leurs études depuis longtemps et qui squattent toujours là-bas. Et vous nous parlez de facilités pour le certificat de résidence », explose l'une des deux filles, troisième année en pharmacie, qui est passée très vite de l'humour à la colère. « il faut être vigilant... » « On peut penser que l'initiative est louable, dit Ramzi, de l'Institut des lettres, dans un arabe châtié, mais je crois qu'ils se trompent de priorité. Les étudiants ont été marginalisés de leur propre vie de campus. On n'a pas de vie intellectuelle ou sociale. C'est pour cela que nous nous sentons exclus de la vie publique. » « Allez faire un tour du côté des organisations d'étudiants, par exemple. Et voyez s'ils attirent des gens », lance-t-il. USTHB, « Babez », 40 000 étudiants, « la plus grande université d'Afrique », l'œuvre gigantesque de l'architecte brésilien Oscar Niemeyer : c'est la foire ! Au « village universitaire », sorte de centre social, l'UGEL (Union générale des étudiants libres, d'obédience MSP), organise des expo-ventes pour Ghaza : keffieh, DVD sur le Hamas, autocollants aux couleurs du drapeau palestinien, etc. En face, un stand de vente d'huile aux amandes pour la vigueur virile, d'huile de graines de nigelle, de livrets religieux et juste à côté DVD de manga, logiciels antivirus, bijoux fantaisie, vernis à ongles... Mais on remarque plus d'affluence à quelques dizaines de mètres plus loin, à l'entrée du restaurent universitaire. A-t-on entendu parler des bureaux de listes électorales ? « Moi, je trouve que c'est une bonne chose : je me suis inscrite sur une liste à la cité des filles d'El Alia. C'est pratique et cela nous évite d'aller jusque chez nous et perdre des jours de cours », avoue une militante de l'UGEL, un keffieh noir et blanc lui voilant la tête. « Tant que cela reste dans le cadre de la sensibilisation, on est pour, mais il faut toujours être vigilant par rapport à l'introduction du politique dans l'enceinte universitaire », nuance Kamel, président de la section UNEA (Organisation nationale des étudiants algériens, proche du FLN) à l'USTHB. « Si cela est organisé sans contrainte, sans consignes de vote, alors ça passe ! », poursuit-il, en ajoutant : « De toute manière, c'est aux étudiants de voir : est-ce qu'il s'agit d'une sensibilisation pour la démocratie ou pour autre chose. » Au bout du couloir, qui abrite les organisations d'étudiants, Bachir de l'UNEA (Union nationale des étudiants algériens, FLN) analyse : « C'est louable comme mesure, mais cela reflète plus une peur de l'abstention, car il n'y aura pas d'enjeux. Plusieurs candidats et un seul vainqueur assuré. Et la faiblesse de la participation réduira la légitimité du prochain président. » « Je crois que les autorités vont beaucoup miser sur les milieux étudiants », avance-t-il, et avec un soupir, il ajoute : « On pensait naïvement que c'est l'université qui change la société. Maintenant on s'aperçoit qu'on s'est lourdement trompés. C'est le contraire qui arrive. L'université subit tout ce qui l'entoure. » Elle le subit au point où les vacances ont été programmées à partir du 19 mars, date du début de la campagne électorale. A l'autre bout d'Alger, Amine, notre étudiant en droit à Ben Aknoun, nous livre sa conclusion : « Mais, dites-moi, si on vote, ils augmenteront notre bourse ? » Le montant de la bourse est de 2700 DA (900 DA par mois) tous les trois mois et n'a pas augmenté depuis plus de quinze ans.