Choc, stupeur et désarroi. Dans la station de bus de transport universitaire près de l'Institut des sciences politiques et de l'information de Ben Aknoun (ex-ITFC), les étudiants étaient désemparés. Le regard fixé sur la carcasse calcinée du bus qu'on pouvait apercevoir au loin près de l'autoroute, ils disent qu'ils auraient pu, eux aussi, se trouver dans le « Cous » reliant Tafourah à Bouzaréah. Les cours n'ont pas été assurés hier à la faculté de Ben Aknoun. Dès le début de l'après-midi, les étudiants se sont précipités pour rejoindre leur domicile. « Alors que nous étions venus pour chercher le savoir, nous risquons aujourd'hui de nous retrouver à la morgue. Je pense surtout à ces parents qui ont envoyé leurs enfants faire leurs études et qui les récupèrent dans des cercueils. Beaucoup d'étudiants ont plié bagage aujourd'hui. La capitale politique du pays devient très dangereuse », nous dit Sarah, le visage encadré par un khimar. Elle ajoute : « Nous savons qui sont derrière ces attentats. Qu'on arrête de badiner avec Al Qaïda et le GSPC. Ils ne doivent pas mettre cela sur le dos de l'Islam. » Elle met en exergue le problème de la sécurité dans les campus universitaires. « Il n'y a pas de sécurité. Il n'y a qu'à voir cette station de bus pour s'en convaincre. N'importe qui peut monter dans le bus. L'on devrait placer un agent de sécurité dans chaque bus. Il n'y a qu'un seul agent dans une station et il est plus absorbé par son café que par la sécurité des étudiants. Ils ne font pas leur travail convenablement. Ils ne vérifient même pas les cartes des étudiants qui montent dans les bus », s'indigne-t-elle. Dans cet arrêt de bus pour étudiants, les spéculations vont bon train. Beaucoup disent « douter » des liens entre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et l'organisation de Ben Laden. Certains vont même jusqu'à assener que « ces attentats ne sont que les retentissements d'une lutte de clans au sommet de l'Etat », que « les Etats-Unis sont les vrais artisans de ces bombes » ou que c'est une manifestation contre la visite de Sarkozy en Algérie. « S'ils sont de vrais hommes, qu'ils se battent frontalement et ne nous mêlent pas à tout ça. Nous subissons les contrecoups des querelles des autorités. Il y a d'un côté les supporters d'un troisième mandat de Bouteflika et, de l'autre, ceux qui y sont opposés. Et c'est le pauvre peuple qui paye les frais. La preuve de ce que je raconte est la récente polémique selon laquelle Saïd Sadi était à l'origine des attentats de Batna », affirme, sûr de lui, Zoheir, étudiant en quatrième année à l'université de droit. Il enchaîne : « Regardez le nombre de barrages de police qu'il y a dans les lieux du crime. Il est clair qu'on est en train de creuser la tombe de Bouteflika. En Algérie il n'y a plus de terrorisme, il ne reste plus que la maffia. » Son copain, Hakim, lui aussi en quatrième année de droit, n'adhère pas à cette thèse. « Ce sont les Etats-Unis qui, au Pentagone, font et défont le monde. Qui a créé Al Qaïda ? Ce n'est là qu'un cachet conçu par la CIA. En toile de fond de ces attentats, il y a la volonté d'installer une base militaire américaine en Algérie et avoir la mainmise sur nos richesses souterraines. Ça se passe comme ça au Liban, en Irak et au Qatar », lance-t-il. Et à un autre étudiant de s'indigner : « Celui qui a fait ça n'est pas un homme. Pour moi, ces attentats sont liés aux récentes élections et à la visite de Sarkozy. Ils n'ont pas le droit de toucher aux étudiants. Où sont leurs intérêts ? Quant à nous, on s'accroche à Dieu. » Il raconte : « J'étais à la faculté de droit de Ben Aknoun lorsque le bruit de l'explosion a retenti. Nous avons fait le mur pour sauver les blessés. Il y avait surtout des femmes et des enfants. » L'université de Ben Aknoun, déjà chamboulée par l'appel à la grève de l'UNJA, s'est réveillée hier groggy. « Nous avions les problèmes de la maigre bourse universitaire, le piètre niveau de l'université, l'insalubrité des cités universitaires. La bombe a confirmé que l'Algérie n'est plus un pays digne de ce nom », nous dit Amine, étudiant à l'Institut national de la planification et des statistiques (INPS). Et à un autre de souligner : « Je suis bien décidé à passer le 11e jour de chaque mois au bled. »