Tout a commencé dans la nuit du 10 janvier après l'occupation du campus par les étudiants de la faculté des sciences de l'information, soutenus par leurs camarades venus des autres universités d'Algérie. Le recteur a fait appel à la police qui est intervenue et a procédé à l'arrestation de dizaines d'étudiants. Les universités de Tizi Ouzou, de Constantine et de Boumerdès ont observé hier une grève en signe de solidarité. L'occupation, depuis avant-hier, du campus universitaire par des étudiants, a mobilisé la police, les forces anti-émeutes et les agents de la sécurité nationale. Hier matin, seuls les étudiants possédant des cartes de résidence avaient droit d'entrée. Les forces de sécurité ont interdit tout rapprochement de la fac. Après vérification de nos cartes professionnelles, ils ont pourtant laissé passer le photographe et la journaliste de Liberté. “Nous faisons juste notre travail, nous sommes là jusqu'à nouvel ordre”, confie un adjudant-chef, en signalant “certains étudiants qui refusent l'accès de la faculté à leurs camarades”. Pourquoi les policiers dissuadent-ils alors les étudiants et les étudiantes à rejoindre leur salle de cours ? “La décision a été prise seulement maintenant. Ce n'était pas pareil à 8h du matin”, répond le responsable. Nous voulons entrer dans le campus universitaire, nos cartes à la main. Des gardiens nous arrêtent. “Vous n'avez pas le droit de pénétrer ici sans vos ordres de mission. Ce sont les ordres qu'on a reçus”, soutient l'un d'eux, refusant catégoriquement de nous céder le passage. Des étudiants arrivent en courant de l'intérieur de la fac, d'aucuns exigent notre présence dans le campus. Les gardiens restent toujours fermes. La discussion s'engage avec ces derniers dehors, devant le grand portail de la faculté. Un jeune essaye de relater les évènements de la matinée d'hier et de la journée d'avant-hier. Selon lui, le collectif autonome des étudiants d'Alger a organisé lundi une grève illimitée, suivie d'un rassemblement, pour exiger la libération des étudiants qui ont été arrêtés le 13 décembre dernier, à la cité universitaire de Ben Aknoun, dont un étudiant écroué à la prison d'El-Harrach. Une étudiante précise que près d'une quinzaine d'étudiants a été arrêtée ce jour-là ; ils sont accusés d'avoir saccagé les locaux de l'administration de la cité universitaire. Notre premier interlocuteur reprend la parole, pour révéler qu'à la fac des sciences politiques, “les conditions sont aussi lamentables”. “Il n'existe ni foyer, ni restaurant et la bibliothèque est pratiquement vide”, dit-il, non sans rappeler les revendications estudiantines : amélioration de la situation des étudiants, à la fac et à la cité universitaire, sur les plans pédagogique, social et matériel. “Nous avons demandé à l'administration de préparer un dialogue avec la tutelle. Mais le recteur et le doyen ont préféré jouer le jeu des menaces, des intimidations et de l'arbitraire, pour casser notre mouvement”, souligne-t-il. Une violente descente de nuit Tout a commencé dans la nuit du lundi 10 janvier, après l'occupation du campus par les étudiants de la fac, soutenus par leurs camarades venus des autres facultés et universités d'Algérie, pour se solidariser avec eux. Appelés à la rescousse par les responsables du campus, les policiers ont violé l'enceinte universitaire, vers 21h, pour évacuer les contestataires et “ramasser” des étudiants dans leurs véhicules, dont deux jeunes filles et quatre étudiants de Tizi Ouzou. “La brigade anti-émeutes est entrée dans le campus. Les policiers nous ont tabassés, insultés et malmenés. Une étudiante a été blessée au niveau du menton. Ils ont aussi arrêté des étudiants”, témoigne un étudiant de 2e année. Une autre résidente à la cité (se trouvant à l'intérieur du campus) annonce que les policiers les ont frappées “sans distinction”. “Notre seul tort, mes copines et moi, est d'avoir été là debout, à regarder ce qui se passait”, dit-elle. D'autres étudiants se sont exprimés, certains ont révélé avoir réclamé la présence de M. Hadjar, le recteur de l'Université d'Alger. “Nous l'avons rencontré, il y a une vingtaine de jours. Il nous a dit qu'il est un dictateur. Nous voulions qu'il vienne hier (lundi, ndlr), mais il a refusé de se déplacer. Nous l'avons attendu aujourd'hui (mardi, ndlr), mais c'est la police qui est encore venue à sa place”, soutient l'un d'eux. Il indiquera qu'un étudiant a été embarqué par la police, hier matin. Il révélera également que des étudiants sont dans l'incapacité de quitter le campus, parce que “poursuivis par la police”. Nous nous rapprochons de nouveau des gardiens et demandons à voir le doyen. “Il est là-bas”, nous répond l'un d'eux, en désignant un café limitrophe. Nous entrons dans le lieu public. Ledit responsable accepte de se prêter à nos questions, en confirmant dès le départ avoir fait appel aux forces de police. “Je suis le premier responsable de la faculté. J'ai fait appel à la police parce que des étudiants ont fermé le portail aux autres étudiants. Cela est inadmissible ! La police est entrée dans l'enceinte universitaire car des étudiants voulaient passer la nuit, ce qui est illégal”, affirme le doyen. D'après lui, la situation se résume comme suit : “C'est un problème qui s'est passé en dehors de la fac, à la cité universitaire de Ben Aknoun, et les résidents l'ont transféré à la fac”. Plus loin, le responsable précise que “des cours ont eu lieu ce matin et d'autres pas”. Il confirme qu'un étudiant est emprisonné à El-Harrach, alors que d'autres “sont encore recherchés”. “J'ai ouvert un dialogue avec eux, je ne peux pas me mêler des affaires de la justice. Nous allons essayer de les aider, mais il y a des étudiants étrangers à la fac dans cette affaire. Le problème n'est pas le nôtre. Passer la nuit à l'intérieur de la fac…. Moi, j'applique les lois”, dit-il, en laissant entendre que les protestataires n'ont pas voulu l'écouter. “J'ai discuté avec eux, mais, fermer la porte aux gens de l'administration et aux autres étudiants, est un acte de violence. Ils doivent répondre de leurs actes. Ils sont majeurs et vaccinés”, affirme-t-il, en rejetant l'existence d'organisation estudiantine. “Ils n'ont pas d'agrément”, note-t-il. Vers midi, un jeune est arrêté en notre présence, par les policiers chargés de la vérification des cartes. Les étudiants, rassemblés du côté des arrêts de bus, non loin de l'ambassade de l'Arabie Saoudite, commencent à jeter des cailloux contre les forces de l'ordre. Pour bon nombre d'entre eux, “l'action se poursuivra, tant que les 22 étudiants sont arrêtés et que Merzouk Hamitouche est emprisonné”. H. A.