La question des droits des femmes semble diviser la société en deux courants bien distincts : l'un opposé ou réticent, l'autre favorable ou plus ou moins favorable. Ainsi, 16% de la population s'est exprimée pour l'égalité, alors qu'en 2000, lors d'une enquête similaire, cette population représentait 27%. Les réfractaires ont eux aussi évolué. Ils sont passés de 10% en 2000 à 23% en 2008. Des chiffres inattendus rendus publics hier, lors d'une rencontre tenue à l'Institut national de la santé publique (INSP), devant un parterre de spécialistes et de quelques représentants du mouvement associatif. Réalisées par le Centre d'information et de documentation sur les droits des femmes et des enfants (Cidef), avec le soutien de l'Agence de coopération technique espagnole, menées par le bureau d'études Ecotechnics, les deux enquêtes – l'une consacrée aux adultes de plus de 18 ans (2036 personnes) et l'autre aux adolescents (799 âgés entre 14 et 17 ans) – ont été menées dans dix régions du pays. Présentés par la responsable de l'étude, Mme Imane Hayef Ighilahriz, les résultats ont suscité à la fois de l'inquiétude et de l'optimisme, démontrant ainsi les paradoxes qui caractérisent la société algérienne et qui appellent à des réflexions profondes pour leur prise en charge. Une soixantaine de questions relatives à l'égalité ont été posées aux adultes, une quarantaine d'autres sur les droits des enfants aux adolescents, ainsi qu'un sondage sur le port du hidjab et sur les droits des enfants adoptés sous le régime de la kafala ont constitué la base de cette étude, dont les résultats ont été comparés à ceux de la même enquête (sans celle des adolescents) réalisée en 2000 par le collectif 95 Maghreb Egalité, pour voir l'évolution de l'adhésion des Algériens aux valeurs égalitaires et à toutes les problématiques qui y sont liées. Ainsi, il s'avère que les Algériens, qu'ils soient adultes ou adolescents, adoptent des positions plus ou moins proches en ce qui concerne l'égalité. Trois adolescents sur 10 et 3 adultes sur 10 sont favorables au travail des femmes. Par contre, 16% des adolescentes et 32% des adolescents se sont déclarés contre la participation active de la femme à la vie publique. Si les comportements des jeunes garçons se calquent sur ceux des adultes hommes, les adolescentes sont moins hostiles au travail que leurs aînées (16% contre 25%). Elles représentent 51% de la catégorie moyennement favorable, alors que les plus âgées du même avis représentent 42%. Les enquêteurs expliquent que ces adolescentes se réfugient dans la position médiane entre les pour et les contre, en attendant un contexte ou un rapport de force au sein de la société pour basculer dans l'un ou l'autre camp. L'enquête montre qu'un quart des pères et la moitié des mères souhaiteraient que leur fille, même mariée, travaille et que 4 célibataires sur 10 sont favorables au travail de leur future épouse. Les personnes opposées au travail de leurs filles représentent la catégorie la plus faible avec 19% des hommes (les pères) et 9% des femmes (les mères). Les femmes célibataires sont partagées entre une moitié qui est pour et une autre qui est contre ou émet des conditions, alors que celles qui s'y opposent ne constituent que 17% des personnes interrogées. En outre, 74% des femmes favorables au travail ont exprimé leur souhait de continuer leur activité après le mariage. Néanmoins, cette attente n'est pas la même chez leur futur conjoint, puisque pas moins de 45% des hommes célibataires refusent que leur future épouse travaille, contre 37% qui sont pour et 18% qui acceptent mais avec des conditions. Dans la catégorie des hommes favorables au travail féminin, 70% aimeraient que leur future épouse travaille et 1% seulement s'y oppose. Au chapitre du droit des femmes d'être éligibles, adolescents et adultes se rejoignent. Un tiers de chaque catégorie est contre l'élection d'une femme aux postes de maire, députée et présidente de la République et un autre tiers est favorable. C'est-à-dire qu'il y a autant d'Algériens qui sont pour l'élection d'une femme que ceux qui s'y opposent fermement. Ce qui constitue un recul par rapport à l'enquête de 2000 qui avait révélé que 70% des Algériens (60% des hommes et 81% des femmes) étaient disposés à élire une femme au poste de maire. Cette proportion a baissé pour atteindre 53% (38% d'hommes et 67% de femmes). En 2000, 70% des Algériens se disaient prêts à élire une femme au poste de député (61% d'hommes et 80% de femmes) ; 8 ans après, ce taux passe à 53% (39% d'hommes et 68% de femmes). Les 55% d'Algériens (41% d'hommes et 69% de femmes) qui se sont exprimés pour l'élection d'une femme président de la République, en 2000, ne représentent que 36%, dont 24% d'hommes et 48% de femmes. Les hommes apparaissent plus réfractaires à l'élection des femmes aux postes de responsabilité que la gent féminine. Ainsi, 48% des adolescentes sont dans la catégorie des plus favorables à l'élection des femmes contre 21% de leurs camarades garçons. Même chose chez les adultes avec 46% contre 23%. Par ailleurs, la moitié des adultes comme des adolescents conçoivent le mariage d'une Algérienne avec un étranger, mais à condition qu'il soit musulman. En revanche, 2 adolescents sur 10 et 1 adulte sur 10 l'accepte sans condition. L'héritage égalitaire et l'abolition de la polygamie L'avis des Algériens sur la polygamie et l'héritage montre une évolution assez particulière. Le partage égalitaire de l'héritage entre homme et femme semble faire son chemin dans notre société puisque 6 adolescents sur 10 (76%) et 5 adultes sur 10 (59%) sont favorables. Parmi cette catégorie, les femmes et les adolescentes constituent une forte proportion. Du côté des hommes, 38% des adultes et 50% des adolescents sont pour l'égalité du partage. Pour ce qui est de la polygamie, les adolescents (filles et garçons) sont les plus favorables à sa suppression que les adultes, soit 6 adolescents sur 10 (57%) et 5 adultes sur 10 (47%). Les enquêteurs estiment que ce chiffre aurait pu atteindre les 61% de la population adulte si l'on compte celle qui est favorable à la suppression et les adolescentes qui concentrent le plus d'avis favorables. Ainsi, 59% des femmes et 76% des adolescents mais en précisant que « c'est la religion qui permet la polygamie », expliquant que l'argument religieux est cité par 10% des adolescents et 14% des adultes (beaucoup plus par les hommes que par les femmes) pour justifier le refus de l'abolition. La moitié des femmes mariées sont contre la suppression de la polygamie, 91% d'entre elles refusent que leurs maris prennent une seconde épouse, contre 9% seulement qui acceptent. Un tiers des femmes célibataires est disposé à convoler en justes noces avec un homme marié, même si c'est sous condition. Les hommes qui aimeraient avoir plusieurs épouses représentent quand à eux 17% de la population (soit 2 millions d'hommes environ). Parmi les 35% des hommes favorables à la suppression de la polygamie, 6% ne sont pas gênés par l'idée de vivre en polygame contre 22% de ceux qui sont contre l'abolition. Pour ce qui est de la tutelle des enfants dans un couple, 7 adolescents sur 10 (74%) et 6 adultes sur 10 (64%) souhaitent une tutelle conjointe (mère et père) contre 35% des adultes et 26% des adolescents qui considèrent que cette tutelle revient au père. En 2000, les Algériens favorables à une tutelle conjointe représentaient 75% (66% d'hommes et 83% des femmes). Abordant la question du droit des femmes au divorce, l'enquête révèle que 61% d'adolescents et 64% d'adultes estiment que la polygamie et la violence exercées par l'époux sont un motif raisonnable de demande de divorce par l'épouse, et seulement 11% d'adolescents et 5% d'adultes considèrent l'interdiction du travail ou des études par l'époux comme étant un motif de divorce. En 2000, 78% (79% d'hommes et 77% de femmes) et 63% d'Algériens considéraient non raisonnable qu'une femme demande le divorce parce que son mari lui interdit de travailler ou d'étudier. En 2008, cette proportion a atteint 89% (90% d'hommes et 88% de femmes) pour le travail et 82% pour les études. Pour ce qui est de la garde des enfants une fois remariée, 70% d'adolescents et 65% d'adultes affirment qu'elle ne doit pas la perdre, contre 30% d'adolescents et 35% d'adultes qui s'y opposent. Les interdits L'enquête a montré qu'à l'âge adulte, les interdits familiaux touchent 4 femmes sur 10 (39%), 1 homme sur 10 et 9 adolescents sur 10 (sans distinction de sexe). Les interdits les plus fréquents sont en général, pour les adolescents, la fréquentation du sexe opposé et la liberté de mouvement et d'habillement chez les adultes. Les adolescentes et les femmes adultes subissent les mêmes interdits : restriction sur la liberté de se mouvoir à l'extérieur de l'espace privé et le contrôle de leur corps. L'obligation du port du hidjab (voile) est alors largement évoquée par les personnes interrogées. Une obligation qui s'est durcie par rapport à l'année 2000, indique l'enquête, puisque 4 adolescentes sur 10 affirment avoir été obligées de porter le hidjab et 4 adolescents sur 10 disent subir l'interdiction de parler aux filles. La violence 26 adolescents sur 100 ont affirmé avoir été victimes de violences. Un quart d'entre eux (26 sur 100) ont été victimes de violence familiale au cours des 12 derniers mois ; chez les femmes cette proportion est de 7 sur 100, soit 755 000 femmes. Plus de la moitié (53%) ont été violentées une fois, 20% deux fois et 27% plusieurs fois. L'auteur a été le plus souvent le mari (dans 38% des cas) ou le frère (24% des cas), la mère (22% des cas) et le père (11% des cas). 26% d'adolescents, soit 1 sur 4 ou 600 000 cas, ont été victimes de violence physique au sein de la famille. Les auteurs sont le père (5 cas sur 10) ou la mère (4 cas sur 10).