Depuis quelques années, le mouvement d'harmonisation comptable a bien progressé. En théorie, il n'y a plus guère que deux systèmes comptables dominants, le système américain (US GAAP) et les normes internationales (IAS/IFRS). De Rabat à Pékin, de Moscou à Johannesburg, les comptables du monde entier s'adaptent aux nouveaux langages comptables et d'audit. Ce changement n'est pas mineur. La généralisation d'un langage comptable universel nécessite anticipation, réflexion, communication et formation. Cette tendance à la mondialisation, dans laquelle l'Algérie s'est résolument engagé, a abouti à l'élaboration d'un nouveau plan comptable national «référencé IFRS», financé par la Banque mondiale, comme pour de nombreux pays. Sa mise en œuvre ne saurait tarder. Les nouveaux référentiels comptables sont plus que jamais d'actualité, en raison de : les accords multilatéraux et bilatéraux (accession à l'OMC, accord d'association avec l'UE, accords de libre échange, etc.) ; la présence de plus en plus nombreuse d'IDE et de partenariats internationaux ; la difficulté de privatiser les entreprises par manque de lisibilité comptable ; la défaillance d'une vigilance comptable qui a accompagné les derniers scandales financiers. Qui a élaboré les normes IAS-IFRS ? Les normes internationales ont été élaborées et publiées par l'International Accounting Standards Committee (IASC – Comité des normes comptables internationales), selon le calendrier suivant : – 1973 : création à Londres de l'IASC. – 1974 à 1986 : recensement des principes comptables. – 1987 à 1994 : comparabilité des Etats financiers des Etats membres de l'IASC. – 1995 à 1999 : apparition d'un nouveau modèle comptable : la juste valeur (the fair value). – 2000 : décision de la Commission européenne d'imposer aux entreprises cotées en bourse le référentiel des normes de l'IASC en 2005. – 2001 : l'IASC devient l'International Accounting Standards Board (IASB- Conseil des normes comptables internationales). L'IASB est actuellement un organisme indépendant composé de 14 membres. Cet organisme représente 140 membres de 103 pays différents. Le rôle du Board est d'émettre de nouvelles normes comptables, les normes International Accounting Standards (IAS-Normes comptables internationales), numérotées de 1 à 41. Mais les normes 3, 4, 5, 6, 9, 13, 25, 15, 22 n'étant plus applicables, 31 normes sont actuellement en vigueur (à titre de comparaison, les normes américaines US GAAP comptent 134 normes). Elles sont accompagnées de 24 Standing Interprétations Committee (SIC) qui sont des commentaires ou interprétations des normes existantes. Comme aux Etats-Unis, le référentiel IAS est doté d'un cadre conceptuel (mode d'emploi) qui définit les principes généraux et les objectifs des normes. A ces normes IAS s'ajoutent la norme IFRS 1 (International Financial Reporting Standars – Normes d'information financière internationales) concernant la première application des normes IFRS, la norme IFRS 2 sur les paiements en actions et assimilés, la norme IFRS 3 sur les regroupements d'entreprises, la norme IFRS 4 sur les contrats d'assurance et la norme IFRS 5 sur les actifs destinés à être cédés. La procédure pour établir une norme suit le procédé appelé «due process» déjà utilisé aux Etats-Unis. Après avoir identifié un sujet et émis un «Exposure Draft», soumis à l'avis du public et des futurs utilisateurs de la norme, le Board vote la norme révisée et finalisée par au moins trois quarts de ses membres. Pour être valables, les normes internationales (IAS) doivent être acceptées par les autorités boursières de nombreux pays. Cette reconnaissance a enfin eu lieu en 2000, lorsque l'International Organisation of Securities Commission (Iosco) représentant 158 organisations boursières à travers le monde, et le Conseil Ecofin (Council of European Economic and Finance ministers), représentant l'Union européenne, ont adopté les normes. Une fois acceptée par tous, l'application généralisée des normes internationales devrait aller dans le sens de la simplification et de la transparence des comptes des entreprises de par le monde. L'impact stratégique des normes IAS-IFRS L'objectif des normes IFRS est d'harmoniser les outils comptables et d'imposer l'utilisation d'un référentiel comptable international commun aux entreprises pour répondre : – à l'intégration régionale et à la mondialisation des marchés et des transactions internationales ; à la nécessité de fournir aux investisseurs, actionnaires et petits porteurs des données transparentes, fiables, compréhensibles, interprétables, normalisées, homogènes et comparables ; à rétablir la crédibilité des comptes, des comptables et des managers, suite aux nombreux scandales financiers dans le monde. Le référentiel IFRS comporte 4 grandes approches fondamentales : – la primauté du bilan sur le compte de résultat ; la généralisation de la notion de juste valeur (full fair value) ; la mesure de la perte de valeur et la dépréciation des actifs (test de dépréciation) ; l'introduction d'un état des performances à la place du compte de résultat. Le référentiel IFRS apporte une nouvelle conception de l'information financière. On passe d'une comptabilité juridique et fiscale à un langage comptable «plus économique» pour investisseurs, actionnaires et créanciers de l'entreprise. Le concept anglo-saxon de «juste valeur» (valeur actuelle du marché) s'est imposé aux principes des coûts historiques et de prudence. Les calculs des immobilisations et des bases amortissables changent. Pour les professionnels, il s'agit d'une véritable révolution du métier de comptable, un nouveau tableau de bord pour piloter la gestion d'entreprise. C'est un changement culturel et stratégique considérable, et pas seulement un simple retraitement de données financières. Il ne concerne pas seulement la comptabilité, mais a aussi des impacts majeurs sur le management, les systèmes d'information et la communication financière. Les principaux critères mis en avant sont la simplicité des normes la transparence de leur élaboration, leur réalisme et leur «bon sens». Le passage aux normes IFRS nécessite un gros effort en formation, et commande des mesures de préparation et d'anticipation, car cette remise à niveau s'avère longue et présente des difficultés techniques. Le principe révolutionnaire de la juste valeur Les normes IFRS permettent de délivrer une information financière qui s'attache, entre autres, à refléter la valeur du marché. La notion de «coût historique» (coût à la date d'acquisition), qui a prévalu jusqu'ici est remplacé pour certains actifs et passifs par la notion de «juste valeur», qui se traduit par la comptabilisation d'un bien à sa valeur actuelle du marché. Ces différences de conception vont avoir un impact significatif sur les différents postes du bilan et du compte de résultat des sociétés. Les critères de comptabilisation des immobilisations incorporelles (IAS 16) sont plus strictes. Par exemple, les sociétés ne peuvent plus inscrire à l'actif du bilan leurs parts de marché. Par contre, elles doivent y inclure leurs frais de recherche et de développement. L'amortissement des écarts d'acquisition «goodwill» n'est plus autorisé : l'écart entre le coût d'acquisition et la juste valeur des actifs et passifs identifiables de la société reprise ne sera plus amorti. Il sera évalué à chaque clôture d'exercice avec un test de dépréciation. Le «goodwill» est la différence entre ce que vaut effectivement une entreprise sur le marché et sa valeur comptable. Il se compose d'éléments immatériels, tels que l'image de marque, la confiance des clients, la notoriété, la force de position sur le marché, la capacité de l'entreprise à générer des profits et donc des dividendes dans le futur, et qui ne figurent pas à son bilan traditionnellement. Une grande partie des instruments financiers est évaluée à sa juste valeur, à chaque clôture, et la comptabilisation des variations de juste valeur de ces instruments financiers s'effectue soit en résultats, soit en capitaux propres. Les changements de comptabilisation des contrats de location et des provisions, la ventilation des immobilisations par composants, etc., entraînent un bouleversement de la définition des amortissements. L'abandon des durées fiscales en matière d'amortissement au profit des durées d'utilisation effective ainsi que la réévaluation à chaque exercice des valeurs résiduelles font que l'amortissement doit refléter le rythme selon lequel les avantages économiques liés à l'actif sont consommés par l'entreprise, et non plus l'«historicité». Les banques, le fisc et les experts dans la tourmente Les nouvelles normes imposent la mise en place d'une information financière maîtrisée et transparente. Toutes les définitions des différentes valeurs d'une immobilisation (valeur résiduelle, valeur nette comptable, valeur actuelle, valeur vénale, valeur d'usage) sont reconsidérées par les IAS-IFRS. Il va falloir réapprendre à lire le compte de résultat et le bilan. La conversion des immobilisations aux nouvelles normes comptables va mobiliser les banques, le fisc, les experts-comptables, et nécessiter leur adaptation à de nouvelles pratiques : – modification des procédures d'enregistrement comptable des factures d'immobilisation, entretien, réparation, contrats de location, etc. ; reconstitution de la base des immobilisations et des amortissements ; réaménagement des instruments d'analyse de gestion ; révision des systèmes d'information ; traitement des indices de dépréciation lors des arrêtés de comptes. Outre leur nouvelle obligation de «réapprendre» à lire les bilans des entreprises, les banques sont elles-mêmes concernées par plusieurs sujets délicats qu'introduisent les normes IAS-IFRS. Il s'agit principalement de la juste valeur des crédits émis, l'épargne réglementée et la valorisation des instruments financiers. Pour se mettre à jour, les métiers de comptables et de banquiers requièrent des formations ad hoc sans perdre de temps. Loin de constituer un handicap supplémentaire pour le processus de privatisation, le passage aux normes IAS-IFRS constitue une formidable opportunité de revaloriser le patrimoine des entreprises privatisables, pour éviter leur bradage si souvent dénoncé par les syndicats. L'aisance financière de l'Etat autorise le système économique à prendre le temps nécessaire à la réévaluation du patrimoine des entreprises privatisables et au toilettage des bilans. La corporation des experts-comptables, longtemps divisée et marginalisée dans le processus de réformes et de privatisation, tient maintenant une opportunité de se faire entendre et de se mettre sérieusement à l'ouvrage. Par Saâd Lounès