Faute de moyens pour profiter des vacances d'été en dehors de leur localité, ces enfants âgés entre 8 et 13 ans sillonnent, pendant toute la journée, les quelques champs épargnés par les incendies qui ont ravagé une grande partie des forêts cette année. «C'est pour gagner un peu d'argent pour la prochaine rentrée scolaire», nous dira Mouloud, un jeune du village de Bouhoukal. Sur cet axe routier, reliant du côté nord les 22 hameaux de Boumehni (18 000 habitants) au chemin de wilaya allant vers Boghni, sur une distance de 17 km, la circulation automobile est très rare, constate-t-on. Aucun transporteur ne dessert Kentija, Tizi Ameur, Boumadène, des villages de l'arch de Boumheni, affirme notre interlocuteur. Les citoyens de ces villages déshérités sont contraints de parcourir à pied une montée de 45° pour arriver à l'arrêt des fourgons, distant de 3 km du village le plus proche, explique-t-on encore. Ce sont les écoliers qui en souffrent le plus, surtout durant la saison hivernale et en l'absence de moyens au niveau de l'APC de Aïn Zaouïa pouvant assurer le ramassage scolaire convenablement. Cela explique, en partie, l'ampleur de l'échec scolaire qui atteint les 90% au village d'Igharbienne, où des enfants de 6 ans se déplacent à pied sur une distance de 3 km pour aller en classe. Certains d'entre eux ne bénéficient pas de la restauration scolaire. Les problèmes s'accumulent «Nous avons demandé à l'APC de Aïn Zaouïa de nous ouvrir deux salles de cour pour les classes de première et deuxième année primaires, en vain», déclare Saïd, un parent d'élève. L'état lamentable des routes est l'une des raisons évoquées par les transporteurs qui préfèrent assurer les liaisons Draâ El Mizan-Tizi Ouzou ou Draâ El Mizan- Boghni. Cette situation accentue l'enclavement de ces nombreux hameaux de Boumehni qui disposent pour la plupart d'entre eux de pistes non encore bitumées. Des opérations de revêtement ont été lancées depuis quelques mois, mais les travaux de bitumage ont été interrompus par les citoyens. Les représentants de Bouhoukal, un bourg habité par environ 400 habitants, affirment que «le travail est mal fait et ne couvre pas la totalité des accès prévus initialement dans le projet». Nos interlocuteurs mettent à l'index les autorités locales, interpellées à maintes reprises pour trouver une solution à ce problème. De leur part, les responsables locaux se défendent. «Chaque villageois réclame qu'on lui goudronne l'accès qui mène chez lui, alors que nous ne pourrons prendre en charge pour le moment que les routes principales», rétorque l'administrateur de l'APC de Aïn Zaouïa. Pour régler ce problème, le wali de Tizi Ouzou, qui s'est rendu dans la région en juin dernier, avait promis le bitumage de la route dite «principale», avons-nous appris. Celle-ci est longée par une conduite d'alimentation en eau potable, défectueuse à plusieurs endroits. «L'eau ruisselle sur la chaussée depuis trois jours, mais l'Algérienne des eaux (ADE) n'est pas encore venue pour réparer la fuite», nous ont indiqué des jeunes du village d'Ifarhathen. Ces jeunes, chômeurs et sans aucun diplôme pour la plupart, précisent que la conduite en question éclate souvent aux mêmes endroits. Ces pannes à répétition causent ainsi la perte d'importantes quantités d'eau. Les clients de l'ADE n'arrêtent pourtant pas de se plaindre tout au long de l'année du manque flagrant de cette source de vie. «Nous recevons de l'eau une fois par semaine et uniquement durant la nuit de chaque mardi», déclare Akli, un membre du comité du village de Bouhoukal. «Les foyers dans certains quartiers, situés en haut du village, ne peuvent être servis avant les quartiers d'en bas», précise-t-il. Et d'ajouter : «Nous avons demandé vainement aux autorités locales d'inscrire en priorité le projet de construction d'un réservoir d'eau pour l'ensemble des villages de Bouhoukal et Igharbienne ainsi que pour le quartier la Cité.» Pour compenser ce déficit en eau potable, les citoyens de Boumheni s'approvisionnent des différentes sources naturelles existantes dans la région. Le manque d'eau et la vétusté du réseau routier sont loin d'être les seules difficultés auxquelles est confrontée quotidiennement la population de la localité. Les pannes électriques causées par le moindre souffle du vent sont monnaie courante. Les citoyens déclarent que l'éclairage public demeure insuffisant dans des villages situés à quelques centaines de mètres de la triste célèbre forêt de Boumheni, connue pour être le fief des terroristes du GSPC. Exode rural L'inexistence d'un réseau d'assainissement représente un danger permanent pour la santé des villageois. Le souvenir du décès de 6 enfants de Bouhoukal, emportés par la méningite durant les années 1980 à cause des eaux usées, est encore gravé dans les mémoires. «La plupart des villages de Boumheni ont effectué des branchements anarchiques pour se débarrasser des eaux usées», affirme Hamid, la trentaine. Selon lui, aucune étude n'a été réalisée par les services concernés. La contribution de l'Etat se limite à fournir des buses aux citoyens, explique encore notre interlocuteur. Les eaux usées finissent souvent dans les champs et sur la route. L'utilisation des fosses par certains riverains ne règle pas pour autant la question de l'assainissement dans la région. L'absence d'un minimum de commodités à Boumheni accentue son enclavement et contribue à l'exode rural. Des dizaines de familles sont en effet parties s'installer dans la ville de Draâ El Mizan ou à Boghni où les conditions de vie sont meilleures. Pour les jeunes de Boumehni, l'avenir est ailleurs, dans les grandes villes. Le microcrédit pour lancer des projets de développement, ils n'y croient pas. «Pour obtenir des crédits, il faut avoir des appuis au sein des banques qui participent au financement des projets», explique Hamid qui affirme avoir vécu ce genre de difficultés. «Pour chaque document du dossier que j'ai constitué pour ouvrir un poulailler dans le cadre de l'Ansej, il a fallu faire appel à des connaissances au sein des différentes administrations», regrette-t-il. Interrogé sur les problèmes de ses administrés à Boumehni, le chef de daïra de Draâ El Mizan a estimé notre visite inopportune. «Revenez une autre fois, car je ne veux pas m'avancer sur quoi que ce soit pour le moment», se contente-t-il de nous dire. L'administrateur de Aïn Zaouïa, dont le siège communal est sans électricité depuis trois mois en raison d'anciennes factures impayées (près de 90 millions de centimes), nous déclare que ses services font de leur mieux pour régler les problèmes posés. Mais les citoyens qui réclament plus d'attention de la part des pouvoirs publics affirment que leurs doléances ne sont pas prises en charge. A travers une requête datant de mai dernier, le comité de village de Bouhoukal a interpellé le wali de Tizi Ouzou pour «mettre fin à notre calvaire et l'isolement du village dont nous souffrons depuis des années». Mais en attendant, les villageois de Boumheni tentent de s'organiser pour régler certains de leurs problèmes.