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Du débarquement allié de novembre 1942 au 8 Mai 1945 (2e partie)
Publié dans El Watan le 06 - 09 - 2005

Le 10 juin, un additif au Manifeste est joint pour le présenter comme «Projet de réformes faisant suite au Manifeste du peuple algérien musulman». Il est précisé :
«A la fin des hostilités, l'Algérie sera érigée en Etat algérien doté d'une constitution propre qui sera élaborée par une Assemblée algérienne constituante élue au suffrage universel par tous les habitnats de l'Algérie.» Cette formulation vient de l'ENA et du PPA ; aussi Messali donne son accord mais en réservant sa signature tant qu'il n'a pas recouvré la liberté. Il restait en effet assigné à résidence. Pour tenir compte d'une suggestion d'Augustin Berque qui était encore directeur des affaires musulmanes, une concession est faite en parlant de «la reconnaissance de l'autonomie politique de l'Algérie en tant que nation souveraine avec droit de regard de la France et assistance militaire des alliés en cas de conflit». Mais le Comité français de libération nationale pratique l'évitement avant de faire retour aux mesures de force au nom de l'unité française. La Commission d'étude est renouvelée. Six ordonnances du 6 août 1943 prétendent améliorer la situation des musulmans en matière d'accession à la fonction publique, d'augmentation des soldes, de «naturalisation» pour dire le plein exercice de la citoyenneté française en renonçant au statut musulman, et pour les grands propriétaires, de présidences des Sociétés indigènes de prévoyance. C'est une fin de non-recevoir comme le refus d'accorder audience à Ferhat Abbas. Aussi à la réouverture des délégations financières le 22 septembre 1943, les signataires demandent-ils une réponse au Manifeste. Le général Catroux dissout aussitôt les sections arabe et kabyle et envoie en résidence forcée Ferhat Abbas et Abdelkader Sayah qui s'était joint, grand propriétaire couvert de décoration, car ci-devant grand ami de la France, c'est-à-dire collaborateur du Gouvernement général. Ils ne seront libérés que le 2 décembre 1943. En novembre 1943, avait été mise en place à Alger, l'Assemblée consultative provisoire de la République française ; de Gaulle effaçait Giraud. Il faut analyser l'ambivalence du discours que le général de Gaulle prononce à Constantine le 12 décembre 1943. Il paraît annoncer une ouverture visant à «l'amélioration absolue et relative des conditions de vie des masses algériennes», mais s'en tient à circonscrire l'avenir politique. La citoyenneté française dans le statut personnel est attribuée à «plusieurs milliers de musulmans français d'Algérie» ; la représentation est élargie dans les assemblées locales et les postes multipliés dans l'administration. Ce n'est jamais qu'appliquer le projet Blum-Viollette. Le 14 décembre est instituée, une commission de 12 personnalités, 6 Français musulmans et
6 citoyens français, dont 3 métropolitains, pour préparer un programme de réformes politiques, sociales et économiques en faveur des musulmans français. Jusqu'en juillet 1944, cette commission entendra assez longuement des repésentants de partis et d'institutions qui remettront leurs mémoires, au demeurant fort intéressants pour fixer les positions coloniales et les aspirations nationales. La préservation de l'Algérie française est réaffirmée par une ordonnance capitale, celle du 7 mars 1944. Son grand titre de gloire est de mettre fin aux «dispositions d'exception» applicables aux sujets musulmans ; c'est, enfin, abolir le code de l'indigénat. L'égalité civile était proclamée comme la citoyenneté promise à tous, ce qui va donner beaucoup de travail aux juristes pour argumenter de l'égalité en droit dans la perpétuation de la discrimination de statut personnel et de collège électoral. En effet, la pleine citoyenneté française est accordée à seize catégories de musulmans conservant donc leur statut musulman ; anciens officiers de l'armée française et sous-officiers décorés de la croix de guerre, titulaires de diplômes à partir du brevet élémentaire et des brevets de langue arabe et berbère, fonctionnaires et agents communaux, aghas et caïds, anciens élus, membres des conseils syndicaux, des conseils d'administration des sociétés indigènes de prévoyance, car l'appelation d'indigène a la vie dure. Bref, de l'ordre de 65 000 électeurs toujours désignés comme musulmans, sont versés au grand collège avec ceux que l'on appelle encore «Européens».
Pour l'heure, les électeurs musulmans simplement promis à la citoyenneté française, ne participent qu'aux collèges électoraux musulmans des assemblées locales selon les quotas de représentation élargis. On comprend les slogans que tracent sur les murs, les partisans du Manifeste «Citoyens français ? Non ! Citoyens algériens, oui !». Rejetant le projet d'un parti prétendant à un Front constitutionnel algérien sur le modèle d'un parti destourien que défendent Ferhat Abbas et les notables, Messali s'accorde sur la formation d'un mouvement de masses : l'association des amis du Manifeste et de la Liberté (AML) est créée le
14 mars 1944. Parallèlement, se reconstitue le mouvement des Scouts musulmans, rétabli légalement en août 1943 ; il devient autant dire le mouvement de jeunesse des AML ; en décembre 1944, le mouvement refuse de s'appeler scouts musulmans «français» et de prêter serment à Dieu et à la France.
Dans le mouvement ouvrier, l'inconscience patriotique française
De 1943 à 1945, nous sommes au point de divergence entre mouvement ouvrier et mouvement national. C'est le temps d'hyperbole de l'assimilationnisme entre nation française et nation algérienne quand ce dernier terme reste prononcé en ce nouvel avatar socialiste et communiste de dire indifféremment français d'Algérie et Algériens. Au printemps 1943, les gaullistes de combat avaient multiplié, dans les grandes villes, les croix de Lorraine sur les murs et les inscriptions au nom du général de Gaulle, le chef de la France libre. Le 2 mai 1943, 5000 personnes se rassemblent devant la Grande Poste d'Alger au nom de la France libre. En juin 1943, les différentes composantes de la Résistance se regroupent dans une fédération de la France combattante. Les gaullistes de combat acceptent des transfuges du parti social français ralliés à la France libre derrière Charles Vallin ; le PPF s'est, autant dire, évanoui sur place en Algérie. Les gaullistes vont être submergés par le nombre, en mineur celui des adhérents de la SFIO en reconstitution et plus largement celui des anciens partisans du Front populaire. Principalement des communistes et de leurs associations connexes : jeunes pris sous l'égide de l'Union démocratique, avec des filles, et bientôt une union des femmes ; la CGT, qui est membre de la France combattante, donne la puissance de masse.
Avec le concours des députés communistes libérés, les revenants des camps sahariens, c'est le PC, en l'occurrence le PCF, qui bat campagne. Les orateurs communistes passent de ville en ville ; l'instituteur député Etienne Fajon et le philosophe Roger Garaudy font une véritable campagne de meetings dans l'été 1943. Le 1er juillet 1943, le PC lance l'hebdomadaire Liberté, dont Roger Garaudy est directeur jusqu'en octobre 1944. Les cortèges et les drapeaux français gagnent les rues le 14 juillet 1943, submergeant dans leurs vagues, les croix de Lorraine. Ces foules sont «européennes» ; à peine quelques groupes mêlés de syndicalistes algériens.
Le 1er juillet 1943, le n°1 de Liberté avance deux mots d'ordre : «Au service du peuple» et «Union dans l'action» ; en fait le seul objectif tient dans la formule : «Tout pour la victoire contre la coalition hitlérienne». La voie politique est ainsi contenue dans l'avènement de la France libre ; la demande est d'égalité dans la citoyenneté française en préconisant «l'attribution à tous les Algériens de tous les droits civiques». Certes la formulation se dédouble en proclamant sans cesse «l'Union du peuple de France et du peuple d'Algérie». Paul Cabalerro, promu secrétaire à l'organisation du PCA, peut écrire après la conférence régionale tenue à Hussein Dey, dans le n°6 de Liberté (5 août 1943) :
«La libération de la France… donnera au peuple de France et au peuple d'Algérie, la liberté, l'égalité, la fraternité.» Dans le discours de clôture de cette conférence, le dirigeant communiste français, Waldeck Rochet, un des 27 députés libérés, fait applaudir
«la lutte confondue» des peuples d'Algérie et de France. Cette mobilisation appartient à la stratégie d'ensemble du mouvement communiste d'obédience soviétique. A la suite de la conférence des PC d'Afrique du Nord du 30 novembre 1943, la déclaration commune appelle à développer les moyens de guerre, la politique de châtiment des traîtres et d'«union la plus large entre la France et l'Empire». Le domaine colonial est préservé ou réservé à la France. Tous ceux qui mettent en cause cette union avec la France sinon dans la France, les «pseudonationalistes», travaillent au service de l'ennemi. Cette position est savamment exposée, en particulier par Amar Ouzegane, premier secrétaire du PCA, et donc principal porte-parole, mis en avant comme figure de dirigeant algérien. Devant la commission des réformes, s'il laisse l'avenir, dans l'union, à la future assemblée nationale française, il soutient : «Pour l'instant, les réformes musulmanes doivent s'accomplir sous le signe de la victoire contre l'hitlérisme et avec le souci de tout faire pour participer à l'effort de guerre.» Certes, il faut répondre aux revendications économiques immédiates pour précisément assurer cette participation musulmane à la guerre. C'est le moment où la conception de la nation algérienne en formation exposée par Maurice Thorez devient la pierre de touche d'orthodoxie communiste. Amar Ouzegane de déclarer : «L'Algérie était une nation en formation, dont le peuple sera un amalgame original d'éléments d'origine européenne, arabe ou berbère qui se seront fondus au point de former une race nouvelle ; mais cette nation n'a pas encore atteint sa maturité.» Cette subordination à la libération de la France se traduit dans une version de pédagogie primaire dans la brochure du «cours de formation» du PCA. «La défaite des exploiteurs du peuple de France entraînera la chute de leurs soutiens, exploiteurs du peuple de l'Algérie.» Les petits colons sont considérés comme patriotes ; les attaques se tournent contre «les cent seigneurs» de la Grande propriété en Algérie, et tout autant sinon plus contre ceux qui «veulent séparer l'Algérie de la France nouvelle». Cette dénonciation du nationalisme algérien est servi par l'argument qui vise les
Etats-Unis : «L'indépendance est impossible à concevoir dans l'état économique présent de l'Algérie autrement que comme un passage sous une domination différente.»
La présence des communistes français, députés libérés de Maison-Carrée et cadres sortis des camps, rend la prépondérance du PCF immédiate et ostensible ; foncièrement elle relève du dispositif d'organisation communiste depuis Moscou qui reconduit en fait le régime de l'internationale communiste, dont on vient de prononcer la dissolution, confiant les partis des colonies aux soins du parti communiste métropolitain. Ainsi, ci-devant représentant français à l'exécutif de l'internationale, André Marty arrive à Alger le 12 octobre 1943 ; il efface la présence de l'ancien instructeur du PCF qui était Maurice Deloison ; il préside ce qui s'appelle la délégation du Comité central du PCF et commande la recomposition des organes de direction, d'agitation et de propagande (l'agit-prop d'autrefois) du PCA, jusqu'au choix des secrétaires, rédactrices, dactylos et personnel des bureaux, la partie féminine des partis. Caractériel, André Marty a ses têtes, mais ses coups de gueule et d'autoritarisme ne sont que des applications brutales de la ligne et des changements de ligne.
Les dirigeants communistes français regagneront Paris avec le transfert du gouvernement provisoire de la République française et le général de Gaulle à la fin août 1944. Les courroies de transmission et les chargés de tutelle mis en place depuis 1943 restent en fonction. Ancien instituteur devenu permanent du PCF, Léon Feix devient délégué du PCF pour l'Afrique du Nord ; Elie Mignot, passé par l'Algérie au temps du Front populaire, sera ordinairement son répondant à Paris. En dehors d'André Marty toujours responsable, avec le retour d'URSS de Maurice Thorez, Laurent Casanova qui tient son cabinet, fort d'être Algérien au sens colonial du terme, s'occupera aussi de «la question algérienne». André Marty s'est appuyé à Alger sur le couple Neveu, faisant de Raymond Neveu le secrétaire de la région d'Alger et d'Henriette Neveu la directrice de Liberté succédant à Roger Garaudy.
Au moment du départ pour la France des dirigeants du PCF, la conférence centrale du PCA des 23-24 septembre 1944 recompose sa direction. Parmi les dirigeants «européens», le premier rôle revient à Paul Caballero comme secrétaire à l'organisation ; mobilisé pour la campagne d'Italie de l'armée française d'Afrique du Nord, il est suppléé par André Moine qui redeviendra à son retour, son second, et restera le principal intermédiaire dans les relations entre PCA et PCF jusqu'à l'heure de la guerre de libération. Les autres membres «européens» de la direction tiennent leur place de leur activisme et leur responsabilité à la CGT, notamment Nicolas Zannettacci, Elie Angonin et Raymond Navarro.
C'est le syndicalisme qui fait la force active du communisme et sa voie d'entraînement de travailleurs algériens. Aux côtés du vétéran Mohammed Marouf, Ahmed Mammoudi est politiquement aguerri ; il sera voué à la députation avant d'être écarté. L'Algérien promu au premier rang du secrétariat général est Amar Ouzegane, le plus brillant et porté à se mettre à la pointe extrême des joutes, laissant en retrait Larbi Bouhali. Les communistes français, clame-t-il à cette conférence de septembre 1944, sont «nos éducateurs et nos guides», en célébrant plus encore l'Union à la France. Cette réorganisation et ces promotions sélectives à la direction mettaient à l'écart ceux qui comme Georges Raffini, Maurice Laban, Mohamed Kateb et Lisette Vincent avec des Aspagnols, avaient été les éléments actifs de la clandestinité de 1940 à 1942, portant les mots d'ordre d'indépendance dans la lutte sociale. C'est ce qu'il fallait taire puisque allant rétroactivement à l'encontre de la nouvelle orientation ; le rôle de Thomas Ibanez était effacé d'autant que le parti prenait prétexte pour le rejeter de la rumeur l'accusant d'avoir cédé à la police dans le montage du procès des 61 de février-mars 1942, dont il fut cependant le principal accusé condamné à mort, de simples imprudences de parole, semble-t-il.
Pour les socialistes SFIO, l'unité française va de soi puisque instruits à l'école républicaine. L'assimilation française passe par l'école et le syndicat, celui des enseignants principalement, pour aboutir à la citoyenneté française qui est censée être universelle, puisque née de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de la Révolution de 1789. Après le débarquement du 8 novembre 1942, la reprise de la SFIO fut hésitante. Ala fin avril 1943, le secrétaire de la fédération d'Alger avoue ne pouvoir compter que «sur une poignée de camarades qui n'ont pas perdu le contact… En tout, une vingtaine…». Dans l'Oranie, l'influence de l'ancien député Marius Dubois se fait encore sentir. (A suivre)


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