Si les djebels pouvaient se souvenir... ils nous raconteraient l'histoire de ces anonymes qui prirent les armes contre une machine de guerre, dont ils ne mesuraient pas toujours la puissance de feu. Abdeldjabar Benmadani faisait partie de cette multitude que l'oppression coloniale a poussée, un jour, à bout de ce qu'elle pouvait endurer. Petit de taille, vif, le front volontaire, le regard scrutateur, courte moustache barrant le visage, il ne laissait pas indifférent : c'était Si Abdeldjabar. On ne lui connaissait pas de nom de guerre, il luttait à visage découvert. Visière de casquette relevée sur le front, ceinturon serré sur tenue de combat, pataugas et jambes légèrement arquées lui donnaient une démarche féline. Et ce ne pouvait être qu'une deuxième nature acquise lors des longues marches escarpées. Ceci est un souvenir d'adolescent au recouvrement de l'indépendance. L'homme de Meimouna, dans l'Atlas saharien central, était plus que ça. Lors du séminaire sur la résistance oasienne tenue, sous l'égide de l'association Machaâl Echahid le 15 mai 2008 à Bou Saâda, alité déjà, Si Abdeldjabar, fut glorieusement évoqué par le commandant Amor Sakhri du commandement de la Wilaya Vi historique. Homme d'exception, disait-il, son courage n'avait d'égal que sa foi en la cause qu'il défendait. Le narrateur, connu pour ne nourrir aucune sensiblerie, ne cachait pas son admiration toujours vive pour ce subalterne hors pair. Il rapportait à l'assistance présente un fait d'armes que peu de personnes pouvaient imaginer, c'était le combat inégal du groupe de 11 éléments de l'ALN mené par le défunt contre une escadrille d'avions de chasse. Le groupe ne disposait que d'armes légères et d'un fusil mitrailleur FM Bar. Il n'a été déploré au cours de l'accrochage qu'une seule victime civile. En dépit des stigmates du temps qui passe, El Hadj Thameur Bachiri, qui n'a perdu aucune plage mémorielle dans sa lucidité, évoque son compagnon d'armes avec fierté et condescendance. Il dit de lui, je cite : « Abdeldjebar Benmadani né en 1930 à Oued Chair dans les Ouled Khaled, non loin de Djebil Thameur, là où Si El Haouès et Si Amirouche tombèrent au champ d'honneur un certain printemps de 1959, a pris le maquis à l'âge de 26 ans à Meimouna au djebel Messaâd. Il participa à des dizaines d'accrochages, dont neuf d'entre eux au seul djebel Boukhil. Il avait un trait particulier au combat, il s'enroulait la tête d'un chèche kaki, manière à lui peut-être d'entrevoir son martyre en bon musulman. Sa dernière grande bataille et la nôtre fut celle d'El Kerma et de Djreibie dans le Boukhil les 17 et 18 septembre 1961. Menée sous le commandement direct de Si Mohamed Chaâbani, elle dura quatre huit longues heures. Toutes les armes de l'ennemi : infanterie, forces aéroportées, blindés et aviation y prenaient part. Les forces coloniales sur les dents parvenaient de Biskra, de Djelfa, de Bou Saâda et de M'sila. Le commandement militaire français, à qui parvenait l'information selon laquelle toutes les forces de la Wilaya VI étaient regroupées ce jour-là à El Kerma, pensait en finir avec l'ALN du Sud. L'Armée de libération nationale n'alignait contre cette armada que 400 éléments, soit un peu moins de 4 katibas (compagnies). Nos pertes s'élevaient après le décrochage à dix chouhada. Si Abdeldjabar, que Dieu ait son âme, aimait l'odeur de la poudre ; il était toujours en tête de la katiba. » Au lendemain de l'indépendance et jusqu'à sa retraite, le nom de Si Abdeldjabar se confondait avec l'acronyme O.N.M. Il fut tour à tour responsable de kasma, de nahia des moudjahidine et membre du Conseil national de cette même organisation. Miné par la maladie, il quittait la vie civile pour s'éteindre à la veille du Mawlid Ennabaoui de l'année 1430 hégirienne. Accompagné à sa dernière demeure, en ce pluvieux jeudi 5 mars 2009, par ses compagnons d'hier encore vivants, pliant sous le poids de l'âge, et une foule nombreuse, le défunt aura dignement représenté sa génération trempée dans la résistance au fait colonial. Le mois de mars n'est-il pas le mois des chouhada ?