Dans tous les pays, en particulier dans les pays développés, cette demande augmente depuis plus de cinquante ans, sous la conjonction de plusieurs éléments : l'allongement de la durée de vie, les progrès de la médecine qui permettent de soigner aujourd'hui ce que l'on ne savait pas soigner hier, l'exigence accrue de bonne santé, de bonne forme physique et de bien-être par l'ensemble de la population. Dans notre pays, nous n'échappons pas à cette règle, mais en plus l'Algérie est dans une phase de transition épidémiologique, marquée par la persistance des maladies transmissibles (maladies infectieuses de l'enfant, tuberculose, maladies à transmission hydrique, zoonoses) dites maladies de la pauvreté, caractéristiques des pays en développement. A cette situation, s'ajoute l'émergence des maladies non transmissibles, dites maladies de l'opulence (cancers, diabète, affections cardio-vasculaires, rénales, neurologiques et respiratoires chroniques), prédominantes dans les pays développés. Le poids de ces affections, qui nécessitent une prise en charge médicale courte et onéreuse, va s'accentuer avec le vieillissement de la population. Le pays doit assumer ainsi un double fardeau, particulièrement ressenti par les catégories sociales défavorisées, dont la baisse du pouvoir d'achat limite l'accès aux soins. L'augmentation de la demande de soins est donc une tendance de fond qui doit conduire, sauf politique contrariante ou insolvabilité, à une augmentation corrélative des investissements et de l'emploi. Notre préoccupation est de savoir comment arrimer le privé au système actuel, tout en assurant son accessibilité pour nos patients. Le privé ne peut pas sauver le système de santé. Mais une fois planifié et structuré, son apport peut être appréciable. Faisons ce débat pour le choix judicieux d'un système de santé juste et surtout pour la santé de nos patients ! Pas de système de santé à deux vitesses Depuis l'indépendance, le développement du système national de santé, basé dès 1974 sur la gratuité des soins pour tous les citoyens, est totalement déstructuré et inadapté aux mutations économiques et sociales profondes que connaît notre pays. Dans le cadre général des réformes entreprises et de l'application de la contractualisation, la réforme du financement des établissements de santé est certainement un des points essentiels d'une nouvelle approche politique qui se dessine. Elle s'inscrit dans un ensemble de mesures qui peuvent tendre vers l'alignement des règles de fonctionnement du service public hospitalier, vers celles des entreprises privées. – Le rôle de l'Etat Le rôle principal dans l'administration du système de santé revient à l'Etat, garant de l'intérêt public et de l'amélioration de l'état sanitaire de la population. L'Etat peut intervenir directement dans la production ou le financement de soins. Il exerce un contrôle sur les relations entre institutions de financement, professionnels et malades au nom des impératifs sanitaires et économiques généraux. Les établissements hospitaliers public et privé ont pour mission de dispenser les soins avec hébergement. Ils se différencient sur certains points : ainsi, l'enseignement et la recherche font partie des fonctions des hôpitaux publics qui ont par ailleurs, l'obligation d'accueillir tous les malades, en particulier en urgence. Les subventions aideront au besoin à la transformation et la mise à niveau des établissement défaillants. – Un système de tarification unique A prix égal, le secteur privé sera toujours performant. La médecine d'aujourd'hui tend indéniablement vers une réduction des durées de séjours hospitaliers, voire vers des traitements ambulatoires avec une hospitalisation uniquement en cas de complications. Ce qui ne peut que coûter moins cher à la collectivité. L'assurance maladies pourra même favoriser à qualité égale le fournisseur de soins le moins cher et la concurrence éliminera irrémédiablement les mauvais gestionnaires. – Un système convention entre l'assurance et les professionnels de santé Les relations entre la sécurité sociale et les professionnels devront être définies par des conventions, ayant pour objectif de fixer les règles de la distribution et du paiement des services rendus. Elles sont négociées entre les principaux régimes d'assurance maladie et les institutions ou les associations professionnelles reconnues comme représentatifs. D'après ces conventions, les médecins pourront facturer leurs prestations selon les tarifs calculés en fonction de deux éléments : une nomenclature qui classifie les différents services dans les groupes désignés par des lettres-clés et des tarifs négociés pour chacune des lettres-clés. Nous n'échapperons au risque d'une médecine à deux vitesses que si nous savons bien organiser les relations entre les différents acteurs dans les processus de production, de gestion et de consommation de biens et de services médicaux dans un système unifié. Un mode de tarification unique et sans distinction entre les secteurs privé et public sera le seul garant de l'accessibilité des soins à tous. La place du privé ou un privé bien à sa place ? La médecine privée en cabinet dite aussi médecine de ville n'a jamais disparu du paysage de notre pays. Les cliniques privées aussi ne datent pas d'hier. Elles existaient déjà en 1962. Pratiquement disparues en 1976, elles se développent de nouveau à la faveur des lois de 1988 grâce à une approche pragmatique des décideurs de l'époque. Le secteur privé, libéré des contraintes administratives et financières, assaini et bien intégré dans notre système de santé ne peut qu'augmenter l'offre de soins, créer des emplois, sans coûter le moindre sou à la collectivité ou au budget de l'Etat. Quoi qu'en dise la presse et qu'en pensent les décideurs, le secteur privé souffre beaucoup plus de la désorganisation des services hospitaliers publics, que l'inverse. Une clinique qui ne remplit pas ses lits fait faillite, un hôpital qui ne remplit pas les siens continue ! Certes, des dysfonctionnements importants existent dans le secteur privé. Ils sont bien identifiés et peuvent être très rapidement résolus par le dialogue et la concertation, mais certainement ni par la contrainte ou la sanction, ni par l'inflation de règlements et de circulaires établis par une administration tatillonne et le plus souvent très éloignée des réalités sur le terrain. Le coût de la santé D'autres contraintes bureaucratiques, l'absence de structures de représentation du secteur privé et le manque de dialogue avec la tutelle n'ont pas permis encore l'émergence d'un véritable «projet d'entreprise clinique privée» muni d'une vision de développement à long terme. Et pourtant, la plupart des cliniques sont réalisées aux meilleurs standards internationaux et offrent un choix de spécialités très pointues : la cardiologie interventionnelle, la vidéo-chirurgie et d'autres techniques se pratiquent chaque jour à Oran et ailleurs dans notre pays. Nous pouvons même devenir exportateurs de soins, à l'image de notre voisine la Tunisie et rien ne nous manque : bien de nos structures sont souvent de meilleur standing et peuvent offrir des compétences élevées du personnel médical, une qualité d'accueil… Beaucoup de confrères de très haut niveau, expatriés à l'étranger, déplorent toujours l'absence de vision claire de développement du secteur privé et n'attendent que le signal politique et économique fort pour rejoindre leur pays, au même titre que les investisseurs potentiels. Les cliniques fonctionnent pour la plupart très en-deçà de leurs capacités réelles tant humaines que matérielles : de grandes compétences sur place ne sont pas suffisamment exploitées et des plateaux techniques très modernes fonctionnent au ralenti faute de clientèle solvable suffisante et d'absence de couverture sociale des patients, alors qu'elles suivent de très près les progrès technologiques. Tous les dysfonctionnements constatés actuellement dans le privé disparaîtront avec la contractualisation et le conventionnement : la classification des établissements, le remboursement des soins, l'accréditation des plateaux techniques verra la fin des cliniques obsolètes, la pratique de la chirurgie dans les arrière-cuisines des cabinets médicaux, voire de l'exercice illégal de la médecine. Seules la qualification et la compétence seront prises en considération par les organismes payeurs. Il n'y aura plus de place alors au bakchich et à l'informel. Beaucoup s'accordent à dire aussi que la santé ne peut être considérée comme un bien marchand : je suis de ceux qui le pensent. Mais encore faut-il bien se comprendre : l'affirmer veut seulement dire que les services de santé ne doit pas répondre à une logique de marché obéissant aux règles de l'offre et de la demande. «La santé n'a pas de prix mais a un coût.» C'est même devenu banal de le répéter, mais l'affirmer c'est déjà reconnaître que nous devons maintenant apprendre à compter et à gérer. L'offre de soins dans le secteur privé est importante, la disponibilité des spécialités permanente, les besoins de santé immenses, mais la demande en soins rétrécit faute de pouvoir d'achat des patients et d'absence de couverture sociale. Aucun pays au monde ne peut se permettre d'ignorer et de continuer à marginaliser un secteur privé national qui peut offrir à terme une capacité d'hospitalisation de 10 000 lits de standing universel ayant nécessité des années de réalisation dans un environnement souvent hostile fonctionnant avec des compétences nationales de haut niveau et réalisés sur investissement propre sans rien coûter à l'Etat. Les experts algériens les plus optimistes reconnaissent volontiers que le système de santé en Algérie est en crise : les dépenses de la santé auraient connu un excédent de 100% en 5 années entre 1999 et 2005. Tout ceci suppose un changement radical des comportements : D'une par,t des Algériens qui ont pris depuis longtemps l'habitude de tout attendre du système de santé de l'Etat, sans rien vouloir payer en plus. Ils acceptent par contre, et sans aucun état d'âme, de dépenser sans cesse davantage pour leurs loisirs, leurs cérémonies fastueuses, leur voiture, leur portable, leur parabole. Pourquoi ne feraient-ils pas de même pour la santé ? Et d'autre part, des autorités de santé ainsi que des syndicats dont l'objectif constant est le renforcement du service public et de l'étatisme. Il leur faudra donc accepter l'introduction d'une logique de gestion libérale au sein de l'hôpital. Il leur faudra également admettre le développement du secteur privé. C'est certainement là que réside la principale difficulté. Un très important effort de communication et d'explication sera nécessaire. Il y va de la sauvegarde de notre santé. Il faut réfléchir à la manière de sortir du cercle actuel, sans remettre en cause les principaux acquis du système de santé. Cela ne peut se faire que par une approche radicalement différente, et par une remise en cause profonde des comportements. On pourrait par exemple essayer de classer les soins entre : – le surconfort qui devrait être à la charge intégrale des patients ; – les grands risques qui, en tout état de cause, doivent être pris en charge par la collectivité ; – les petits risques, qui moyennant certaines modalités, seraient supportés par les patients. – Le surconfort n'existe pas à l'hôpital, car il est contraire au principe de l'égalité d'accès aux soins. Le surconfort, dans ce cas, c'est l'assurance d'être opéré par le chirurgien de son choix. Cette demande existe, mais elle est combattue par l'administration. Elle a aussi ouvert la voie à l'informel. – Les grands risques restent bien entendu couverts par l'assurance maladie. – Les petits risques pourraient être supportés par les patients comme de petits sinistres inférieurs à une franchise. Il y a cependant deux difficultés à régler : Comment fixer la barre et à quel niveau et comment trouver les modalités pratiques pour assister ceux qui n'ont pas les moyens de supporter cette charge ?«La couverture maladie universelle» (CMU), instaurée depuis peu en France par une récente réforme de la protection sociale peut être un excellent moyen et garantit à toute personne, quelle que soit sa situation, une protection contre le risque maladie par rattachement à un régime obligatoire d'assurance maladie et constituer une base minimum de protection de toute la population. On pourrait appeler cela «un package minimum commun». Elle concerne toute personne qui ne bénéficie pas de droits à un régime obligatoire sur la base de son activité professionnelle ou d'un critère assimilé. Elle permet aux chômeurs, aux titulaires du filet social comme chez nous et aux plus démunis de bénéficier d'une prise en charge financière de leurs soins. Les cotisations y afférentes seront à la charge de l'Etat, donc de la collectivité et de la solidarité nationale. L'affiliation à ce régime peut être obligatoire à partir de l'âge de 16 ans. Les grands chantiers de la réforme Des événements majeurs se sont déroulés ces derniers temps et ne semblent pas avoir retenu l'attention des médias et des professionnels de la santé et encore moins de la population. L'installation à quelques jours d'intervalle de la commission de la nomenclature, de la tarification, puis celle de la grande commission interministérielle en charge de la contractualisation sont les vrais chantiers de la réforme hospitalière qui semble enfin se dessiner de façon concrète. A la condition que la phase d'entrée en application soit d'une durée raisonnable et ne s'éternise pas des années encore. Pourtant, l'information est de taille : l'unification des tarifs des soins dans un système de santé unifié, l'engagement de la prise en charge des assurés sociaux par les organismes de sécurité sociale et par l'assurance maladie et la prise en charge des démunis par le ministère de la Solidarité nationale sont des décisions très courageuses et consolident des acquis sociaux qui vont dans le sens de notre système social et de nos valeurs d'entraide et de solidarité. Le vrai débat sera donc dans la mise en œuvre de cette stratégie et de sa faisabilité, le grand problème demeurant celui des hommes et non pas celui des moyens. «Il n'y a de richesse que l'homme», a dit B. Huxley. Monsieur le ministre de la Santé ne s'y est pas trompé lorsqu'il insiste sur «… la nécessité d'associer la volonté politique et managériale pour faire sortir le secteur de la santé du marasme». Sources et bibliographie sommaire : – Le système de santé en France – Le système de santé en Suède – Le système de santé américain – Le système de santé en Algérie – Economie de la santé, Mme Oufréha – OPU – Alger – Assises nationales de la santé – Alger, 1998 – Rapport de la Banque mondiale – Juin 2000 – P. Carrere, colloque, octobre 2002.