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Les médecins spécialistes victimes de l'arbitraire
Publié dans El Watan le 31 - 12 - 2005

Chaque année, aussi, les pouvoirs publics en charge du secteur de la santé tentent de contraindre les médecins spécialistes par une série de mesures coercitives et une batterie d'entraves dans leur carrière (service civil…) à rejoindre des postes de travail situés dans des localités éloignées au prétexte de la sempiternelle disparité de distribution des médecins spécialistes entre les wilayas du Nord et du Sud. Chaque année, ces mêmes pouvoirs publics, face à ce déficit de médecins spécialistes, ne proposent aucune solution cohérente et raisonnable inscrite dans le court, moyen ou long termes et sensée offrir aux citoyens une meilleure prise en charge médicale. En fin de compte, on se demande si ces autorités calfeutrées dans leurs beaux salons ne sont pas frappées de myopie politique ou mieux de trachome qui sévit à l'échelle endémique dans nos régions du Sud tant appréciées par nos taciturnes bureaucrates du ministère de la Santé.
Depuis donc plusieurs années, le ministère de la Santé soumets les mêmes «supposées» solutions qui ont échoué par le passé, les reproduit dans le fond et la forme à chaque promotion pour en fin de compte n'aboutir qu'à une nouvelle expression d'un même échec. Face à cet état d'esprit involutif et sclérosant, à ces procédés tirés de l'aire stalinienne, il ne fait aucun doute que nous n'arriverons jamais à nous hisser à un système de santé performant, ou tout au moins semblable à celui des pays émergeants, et cela malgré tous les moyens dont nous disposons. Le problème n'étant pas dans la «poche», mais dans la «tête».
L'Algérie d'aujourd'hui (2003) dispose d'une infrastructure hospitalière qui se compose de 185 secteurs sanitaires, 13 CHU, 32 EHS répartis comme suit :
– 10 en psychiatrie ;
– 5 en rééducation fonctionnelle ;
– 3 en chirurgie cardiaque ;
– 3 en oncologie ;
– 1 en neurochirurgie ;
– 1 en infectiologie ;
– 2 en orthopédie-traumatologie ;
– 2 en ophtalmologie ;
– 2 en gynéco-obstétrique ;
– 2 en pédiatrie ;
– 1 en chirurgie plastique ;
– 1 en urologie.
L'ensemble dispose d'une capacité de lit de 56 969. Ajouté a cela, au cours de l'année 2003, qu'il a été enregistré dans le secteur privé un appoint de 152 cliniques qui se composent en majorité de cliniques médico-chirurgicales, de gynéco-obstétrique et de centre d'hémodialyse. Toute cette infrastructure est composée (au 31 décembre 2003) d'un personnel de santé s'élevant à 199 824 personnes tous corps confondus du secteur public. Le personnel médical représente 26% de l'effectif global. Cet effectif, grâce aux efforts consentis, tend vers une augmentation continue. Cette augmentation concerne essentiellement les médecins spécialistes suivis des médecins généralistes.
Répartition du personnel du secteur de la santé par corps
Le secteur public (CHU, secteur sanitaire, EHS) englobe 29 822 praticiens dont :
* 6866 médecins spécialistes repartis comme suit :
– 44,48% dans les secteurs sanitaires ;
– 41,96% dans les CHU ;
– 13,29% dans les EHS ;
– 0,26% dans les DSP.
* 12 209 médecins généralistes concentrés dans les secteurs sanitaires avec un taux de 92%.
* 5921 praticiens en formation.
L'examen du nombre de médecins spécialistes à travers le territoire national et par région révèle une présence plus importante au Nord en raison d'un plus grand nombre de structures hospitalières dans les régions du nord du pays. 3/4 des infrastructures hospitalières du pays sont situées dans le Nord.
Rapporté à la population générale répartie à hauteur de 80% dans le nord du pays (qui représente seulement 20% du territoire), concentrée à 81% dans les agglomérations urbaines et habitant à 65% les agglomérations chefs-lieux (grandes villes), la couverture des médecins spécialistes est, certes, quantitativement plus importante au Nord, mais reste insuffisante au regard de la concentration et de la densité de la population dans la région nord du pays. Néanmoins, signalons que la couverture médicale spécialiste et généraliste dans l'ensemble des wilayas et régions, y compris le grand Sud est satisfaisante soit, en moyenne, un médecin pour 889 habitants.
Cette moyenne se situe entre une valeur maximale d'un médecin pour 294 habitants dans la wilaya d'Alger (ce qui signifierait que la prise en charge médicale au niveau de la wilaya d'Alger est meilleure. Or, il n'en ai rien, ce qui veut dire que la santé ne se résume pas seulement au médecin) et une valeur minimale d'un médecin pour 2664 habitants dans la wilaya de Djelfa. La structure du corps médical par wilaya doit être interprétée non seulement sur le nombre de la population, mais aussi sur l'étendue de la superficie de la wilaya. Ainsi, la wilaya de Tamanrasset, qui compte 188 804 habitants, a un ratio médecin par habitant de un médecin pour 1946 habitants avec la plus faible concentration d'habitants par km2 sur une superficie qui est supérieure à toute les régions nord du pays, est, centre et ouest réunies.
Comparant, la wilaya de Sétif, métropole du nord-est du pays, à celle de Béchar, située en région sud-est, la wilaya de Béchar dispose d'un médecin pour 1055 habitants et celle de Sétif d'un médecin pour 1151 habitants, on constate que la couverture médicale est égale à quelques degrés près, pourtant l'une est au Nord et l'autre au Sud.
La proportion de médecins généralistes dans l'ensemble du personnel médical répartis dans les régions nord, est, centre et ouest du pays tourne autour de 38%, alors qu'elle se situe à hauteur de 50% dans les régions sud du pays.
La situation est donc loin d'être dramatique. Actuellement, toutes les politiques rigoureuses de santé tentent en premier de contenir les dépenses excessives et non justifiées grevant le budget de la sécurité sociale et ont comme objectif d'offrir la meilleure qualité de soin tout en résorbant le déficit de la sécurité sociale afin d'assurer des investissements réguliers dans le domaine de la santé. Cela implique de donner aux médecins généralistes une place prépondérante dans l'échiquier de la santé. La France, qui dispose d'un des plus performants systèmes de santé avec une médecine de pointe accessible à tous et une protection sociale qui couvre toute la population française, recommande dans sa politique de reforme de la santé de placer le médecin généraliste au cœur du dispositif des soins en préconisant de concentrer dans les grandes agglomérations et chefs-lieux les services spécialisés et les services de pointe. Ainsi, le malade consulte en premier son médecin généraliste ou médecin traitant qui l'adresse en cas de nécessité à son confrère spécialiste. Parmi ces statistiques, la plus intéressante est bien l'analyse au cours de l'année 2003 de l'activité opératoire à froid et en urgence, réalisée sur tout le territoire national.
463 926 actes chirurgicaux ont été effectués au cours de l'année 2003.
– Type d'actes Nombre Pourcentage
opératoirs
– A froid 359 290 83,23%
– En urgence 77 636 17,77%
– Total 436 926 100%
Répartition en pourcentage et par spécialités des actes opératoires
33% de l'ensemble des actes chirurgicaux sont réalisés par la chirurgie générale puis par la gynéco-obstétrique, s'en suit en troisième position l'orthopédie traumatologie.
Répartition en pourcentage des actes opératoires par régions
A l'échelle régionale, la lecture des chiffres montre bien que la région centre réalise près de la moitié des actes chirurgicaux en raison de la disponibilité du plateau technique indispensable pour tout acte chirurgical, tandis que le sud du pays, avec une population qui ne dépasse pas celle de la wilaya d'Alger, réalise 7,73% des actes.
Quant à la mortalité, le nombre de décès enregistré en milieu hospitalier en 2003 est de 46 685. Le pourcentage de décès le plus important est enregistré dans le Nord et non dans le Sud. Le pourcentage des décès enregistrés dans les régions sud-est et ouest n'équivaut pas et n'atteint pas le pourcentage de décès d'aucune des régions du Nord. Le Nord surpeuplé est donc mal soigné.
Répartition des décès par région
Face à toutes ces questions et chiffres qui nous interpellent et sans trop s'attarder ni puiser dans le fait qu'il est humainement inconcevable d'obliger un médecin spécialiste, sans pour autant lui offrir de motivation financière conséquente, à s'installer sous la contrainte dans une localité dépourvue de moyens humains nécessaires pour exercer son métier, pourquoi la tutelle n'a jamais pensé ni proposé d'autres alternatives ?
Un système de «parrainage», de «compagnonnage» ou de «jumelage», appelons-le comme on le souhaite, entre secteurs sanitaires du Nord et du Sud, pourrait être une approche intéressante à étudier. Envisager, par exemple, que le secteur sanitaire B de la wilaya d'Alger soit conventionné ou parraine un secteur sanitaire B, de même dimension, situé dans la wilaya de Béchar. Comme nous l'avons vu, ces secteurs sanitaires du sud du pays disposent de médecins généralistes suffisants pour assurer la consultation d'orientation, de sélection du malade candidat à une intervention chirurgicale, ainsi que celle du suivi post-opératoire. Plusieurs formules peuvent être envisagées de manière décentralisée. Chaque trimestre, une équipe pluridisciplinaire spécialisée, comprenant maître assistant, médecin spécialiste, spécialiste en formation, infirmier diplômé d'Etat, instrumentiste, réanimateur et anesthésiste, se déplacerait pour prodiguer des soins spécialisés. L'organisation de cette activité serait assurée conjointement par les deux secteurs sanitaires, ce qui entraînerait en aval une dynamique qui favoriserait les échanges entre les deux institutions ; l'organisation de semaine de formation continue pour le personnel médical et paramédical encadré par des enseignants du Nord. Des stages pratiques de formation de courte durée pourraient être donnés dans l'enceinte même du secteur sanitaire du Nord au personnel médical et paramédical du secteur sanitaire du Sud. Toute cette dynamique va créer des liens, va permettre d'améliorer la qualité des prestations des soins, va créer une convivialité dans le travail qui est plus que nécessaire dans notre domaine pour assurer la meilleure prise en charge possible pour les malades.
Les médecins spécialistes en formation «résidents» seraient alors plus aptes, si ils le désirent à la fin de leur cursus, à s'installer dans ces établissements connaissant mieux le personnel, la méthodologie de travail et la population de la région, au lieu de ce qui est proposé maintenant et que l'on peut symboliser par «lâcher les seuls en plein désert sans boussole». Par la suite, et avec l'avènement de toutes ces nouvelles technologies de l'information et de la communication des réseaux intranet, un système de vidéo-conférence permettant de donner un avis spécialisé à distance ou de dispenser des cours à distance pourrait voir le jour.
Le système de jumelage permettrait, sans aucun doute, un désenclavement de ces régions. Plusieurs options peuvent être proposées aussi aux équipes qui se déplaceraient : comptabiliser chaque campagne comme point dans le dossier de carrière du médecin ou de l'infirmier, des primes symboliques pour le déplacement, un avantage dans l'étude du dossier de candidature pour la mission médicale du Hadj, etc. Cependant, au-delà de tout cela, ce sera sûrement le meilleur moyen, voire le seul que l'on peut envisager à court terme pour offrir aux patients des régions éloignées une qualité de soins qui allie tout à la fois la solidarité agissante entre tous les Algériens et une médecine moderne de pointe. Voilà une idée parmi tant d'autres qui n'a pas d'autre ambition que celle de suggérer le débat. En retenant que c'est de notre capacité à tirer partie de nos expériences passées et des expériences innovantes des autres ces dernières décennies, à assembler toutes nos énergies et à être toujours créatifs et imaginatifs, que résident les clés du succès de notre politique de la santé, car, en définitif, seuls ceux qui n'ont jamais compris ce que signifie la médecine et la santé peuvent continuer dans cette voie sans issue.


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