De ces repères, devenus exigences morales, juridiques et scientifiques est née la déontologie formulée dans un code d'application restreint puisqu'il ne s'adresse qu'aux membres de la profession. Si d'un point de vue historique, le premier code fut édicté à l'époque sumérienne sous le règne de Hamourabi en Mésopotamie dans l'ancien royaume de Babylone, la déontologie moderne tire sa source tout d'abord de la pensée éthique grecque puis de son enrichissement, au XIIe siècle, en Andalousie, par le spiritualisme de la médecine arabo-musulmane, alors médecine universelle. De Cordoue puis de ses relais de Montpellier et de Salerne, ces principes seront diffusés vers l'Europe du Nord alors en plein obscurantisme causé par les invasions des hordes barbares venues de l'Est de ce continent. Ces idées consignées dans la prière de Maimoune ont fait écrire en 1947 au professeur Portes , alors président du Conseil national de l'ordre des médecins de France qu'ils mettent «particulièrement en évidence le devoir qui s'impose au médecin de mettre à la disposition de ses malades toutes les ressources scientifiques dont il dispose, pour leur assurer des soins d'une parfaite qualité». Et d'ajouter qu'ils ont «l'avantage de prouver que les conceptions déontologiques n'étaient pas propres à l'Ecole hippocratique». «L'imaginaire de l'Occicdent face à l'lslam», selon la fameuse formule de Mohamed Arkoun contribua à l'occultation des idées qui présidèrent à la Renaissance européenne d'autant que pour lutter contre le charlatanisme souvent véhiculé par les corporations, les institutions religieuses qui géraient les hospices marquèrent leurs activités médicales de l'empreinte de la morale chrétienne. Ordres et ethiques C'est au XIXe siècle que les syndicats professionnels, créés après la révolution industrielle pour prendre le relais des corporations et mettre fin à certaines conceptions libertaires héritées des révolutions européennes, (telle la suppression des diplômes prônée au nom de l'égalitarisme) tentèrent de codifier la pratique de médecine. Leurs préoccupations essentielles revendicatives et matérielles ne correspondant pas toujours aux principes de déontologie ils ne purent mener à bien la régulation morale de la profession. Il fallut attendre le milieu du XXe siècle pour assister, en France à la naissance des premiers conseils de l'ordre qui furent chargés de présenter au conseil de l'Etat puis au gouvernement un projet de code de déontologie médicale dont ils tirèrent la quintessence des principes traditionnels et humanistes précédemment évoqués et de la jurisprudence déontologique à laquelle le célèbre arrêt Mercier (1936), donna un coup de fouet. Les trois Conseils de l'ordre (médecine, chirurgie dentaire et pharmacie) issus des institutions héritées en 1962 furent , malgré leur algérianisation, gelés en 1964 puis dissous au nom d'une démarche qui, privilégiant la promotion du secteur public et l'extinction du régime libéral, fit abstraction du caractère spécifique de l'acte médical dont la noblesse de l'objet exige, tous secteurs d'activité confondus, qu'à «la confiance du malade réponde la conscience du praticien». Faute de principes codifiés, les praticiens s'en remirent à leur propre perception des valeurs morales et professionnelles transmises par leurs maîtres. «Accouchement au forceps» Le rétablissement en 1992 des ordres sous la forme de trois sections, coordonnées par un conseil, fut l'aboutissement «d'un accouchement au forceps» dont les conséquences au plan de leur organisation et leur fonctionnement furent, comme nous le verrons, rapidement ressenties. Le Code de déontologie proprement dit, c'est-à-dire, l'ensemble des règles et des usages que tout praticien doit respecter a le mérite de consacrer les principes traditionnels et fondamentaux de la médecine qui visent à permettre aux malades de bénéficier, dans le respect de leur dignité, de soins de qualité. Ces règles intangibles sont susceptibles d'une part, d'applications modulées selon qu'elles s'adressent aux praticiens du secteur libéral ou du secteur public et d'autre part d'obligations dictées par les mutations sociales. Les choses n'étant jamais figées, l'évolution des connaissances, des techniques et de la société, nécessitent, à présent, l'introduction de règles relatives à la biotechnologie, aux principes de précaution et de sécurité à la traçabilité, à la codification de l'utilisation des données à caractère personnel et leur transmission en ligne, à la pharmacovigilance et la matériovigilance aux nouvelles conditions d'exercice (assistanat, sociétés civiles profession…). Cela dit, il faut bien convenir qu'autant cette première partie du décret portant Code de déontologie médicale est remarquable par le souci de ses rédacteurs de respecter les principes fondamentaux de la médecine, autant la seconde partie relative à l'organisation et au fonctionnement des instances ordinales a, par ses dispositions, constitué un frein à leur activité qui souvent a été tributaire du volontarisme et du sacrifice des élus. (Chevauchement de compétences entre les conseils et les sections, découpage territorial des régions qui a posé – à l'exception de celle d'Alger – d'inextricables problèmes du fait des distances prérogatives limitées, procédures de fonctionnement mal ou non définies, etc. Par ailleurs, la suppression des ordres médicaux pendant plus de 30 ans, la marginaIisation de la déontologie qui souvent n'a pas été enseignée, l'absence de tradition et de culture ordinales, ont fait percevoir l'institution comme un appendice supplémentaire et négligeable de l'administration, voire un outil de répression chargé de prélever arbitrairement une cotisation. De ce fait, son fonctionnement a gravement été perturbé par un faible taux de recouvrement des cotisations. Les praticiens du secteur public estiment à juste titre, que leur organisme employeur, auquel ils sont administrativement subordonnés doit les dédommager individuellement – l'inscription étant un acte personnel par lequel on s'engage à respecter les dispositions du code – d'une charge que leurs confrères du secteur libéral ont la possibilité de déduire de leur revenu imposable. Parallèlement, d'autres collègues – principalement du secteur libéral – ont tout simplement préconisé le boycott en raison de querelles de voisinage liées au choix de la ville retenue pour abriter le siège de la région. En définitive, l'expérience accumulée depuis 1998 a certes permis, à travers le développement progressif des activités ordinales, de renouer avec la déontologie mais elle a, en revanche, montré, face aux obstacles et aux difficultés rencontrés sur le terrain, les limites imposées par des textes obsolètes De nouvelles dispositions C'est dans cet esprit qu'en 2002, le Conseil national a dressé des rapports dans lesquels il préconisait, dans le cadre de la loi sanitaire en préparation, la création de trois ordres distincts, dotés de codes propres, constitués en Conseils de wilaya, régionaux et national. Voire, si l'on considère la spécificité de l'exercice de la pharmacie, un seul code – avec certaines dispositions particulières – pour la médecine et la chirurgie dentaire dont les principes sont pratiquement les mêmes, mais des structures indépendantes les unes des autres pour les trois professions. La création de trois ordres n'étant pas une fin en soi, il est clair que le bien-fondé de leur existence et de leur crédibilité en tant que points de contact en direction des pouvoirs publics, des praticiens, des patients et des associations professionnelles dépendent entièrement de leurs prérogatives. Ainsi se trouve posée dans toute son ampleur la question de leurs rapports avec les pouvoirs publics l'autorité sanitaire plus particulièrement. Assurément cette question n'aurait aucune raison d'être si l'on observe que d'une part il revient à cette dernière de définir une politique de santé reposant sur une répartition équitable et qualitative des ressources humaines et matérielles et sur la complémentarité des secteurs d'activité et que d'autre part, il appartient aux ordres de veiller à l'essence de la médecine. En effet, les ordres ne sont ni un contre pouvoir, ni un groupement sectoriel revendicatif, ni une œuvre sociale, ni un tribunal répressif, encore moins un strapontin politique. Leur mission est de veiller aux valeurs morales et professionnelles. Dans ce but ils gèrent «sans être un service public, à tout le moins d'intérêt général, sous leur propre responsabilité et en toute indépendance». Par ailleurs, ils constituent une force de proposition en vue de contribuer à l'adaptation des textes législatifs et réglementaires à l'évolution des conditions d'exercice. Indépendance et neutralité L'octroi de ces prérogatives implique comme dans toute démocratie, qu'ils ne sauraient «se soustraire à la loi, expression de la volonté générale». A ce titre, ils sont soumis au (seul) contrôle des juridictions compétentes et ne relèvent d'aucune tutelle. Sur ce dernier point, il n'est pas superflu de rappeler que si, il n'avait pas été indépendant, le Conseil national n'aurait eu aucune crédibilité pour arbitrer avec succès un conflit entre le ministre de la Santé et un syndicat. C'est dans ce même esprit qu'il convient d'analyser l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat en faveur d'un recours formé par la Section ordinale nationale des pharmaciens contre une décision du ministre de le Santé et que l'ancien premier responsable de ce secteur, respectueux de l'Etat de droit, fit exécuter. Au-delà des systèmes politiques et des conditions socioculturelles l'histoire de ces cinquante dernières années ne manque pas de dérives et manquements à l'éthique professionnelle qui ont éclaboussé tant les administrations sanitaires que les praticiens : scandale des biologistes soviétiques, expérimentations des médecins nazis, affaire du sang contaminé, eugénisme en Suède, essais thérapeutiques dans les pays du Sud, falsification et «bricolage» génétiques en Corée, violation du secret professionnel par le médecin d'un président de la République décédé, dopage des athlètes de haut niveau. Cette approche de la déontologie qui s'inscrit dans l'histoire de la médecine nous amène à souligner que, dans les Etats de droit, au nombre desquels l'Algérie entend, par l'adaptation de ses institutions, se situer, les atteintes aux valeurs morales et professionnelles de la médecine, sont prévenues, étudiées ou,sans préjudice du recours aux voies judiciaires lors d'infractions réprimées par la loi, sanctionnées par des structures ordinales élues librement, en dehors de toute tutelle et contingences matérielles et dont l'indépendance est le gage de leur neutralité vis-à-vis de toutes les parties concernées. C'est pourquoi nous avons cru nécessaire, au crépuscule de notre vie professionnelle et nonobstant la problématique qu'inspire une certaine réserve ordinale, d'exprimer notre souci, d'éviter que d'outil de régulation interne, les Conseils de l'ordre ne deviennent, pour des enjeux étrangers à la déontologie, un instrument de régulation externe.