Entre la littérature, le théâtre et l'enseignement, il a fait le choix du retour au pays. Vous êtes romancier et nouvelliste. Vous n'êtes pas encore connu du grand public, malgré plusieurs publications. Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs algériens ? L'Afrique est vaste, et tous ses écrivains ne sont pas connus du grand public, pour reprendre votre expression. Néanmoins, les stars du ghetto ont aussi leur public, croyez-moi ! J'ai publié à ce jour deux romans aux Editions Dapper à Paris, Canailles et charlatans et Cola cola jazz qui a obtenu en 2003 le Grand Prix Littéraire de l'Afrique Noire. A mon actif, j'ai aussi deux recueil de nouvelles, La gazelle s'agenouille pour pleurer (Le Serpent à Plumes, Paris, 2002) et Un rêve d'Albatros (Gallimard, Paris, 2006), plus une dizaine de pièces de théâtre dont la plus récente, Atterrissage (Ed. Ndzé, Cameroun, 2006), consacré au drame de l'immigration clandestine, et qui a connu un franc succès sur les scènes d'Europe et dans les festivals au sud du Sahara. J'en profite pour vous annoncer la sortie d'un troisième roman, Esclaves, prévue pour avril 2009 aux Editions Jean-Claude Lattès à Paris. Il est consacré à l'histoire de l'esclavage entre le Brésil et le Golfe de Guinée dans la dernière partie du XIX e siècle. Vous êtes aussi universitaire et vous avez enseigné notamment à Bordeaux. Puis, vous avez fait le choix de retourner dans votre pays, le Togo, ce qui est une attitude plutôt surprenante quand on sait la propension de nombreux Africains à quitter le continent… Il faut croire que je ne suis pas un intellectuel africain respectueux de la tradition de ses pairs émigrés ! Depuis 2005, après plusieurs années passées en Europe et aux Etats-Unis, s'est posée à moi la question de l'utilité de mon savoir. C'est personnel, et même si je sais que la promesse du lieu d'origine est une utopie, il m'a semblé nécessaire d'aller jusqu'au bout de la logique du retour. Cela fait deux ans que je suis rentré au Togo. Pour l'instant, je ne regrette pas mon choix. Je crois qu'il est possible de rayonner à partir de chez soi. N'est-ce pas ce que l'on nomme d'un terme de plus en plus galvaudé : le cosmopolitisme ? Il faut juste en avoir réellement la volonté et relativiser les difficultés réelles du retour. Est-ce que, pour vous, la vie quotidienne à Lomé est facile ? Si on la compare à la vie dans les pays occidentaux où j'ai vécus, je dirais sans mentir que la vie au quotidien à Lomé comporte moins de stress. Matériellement, les manques sont criantes, mais la qualité de la vie se situe au niveau de l'engagement constant au service d'une collectivité que l'on peut se choisir. Nous savons que vous tentez d'introduire des textes littéraires algériens au programme de licence et de master à l'université. Quelles sont les réactions des étudiants togolais par rapport à cette innovation ? Les rapports avec les étudiants sont aussi différents que la vie à Lomé. Leur écoute est telle que vous prenez très vite la mesure de l'importance de l'acte de transmission. Les textes littéraires du Maghreb sont utilisés dans cette intention-là : ouvrir la conscience continentale de futurs cadres ou enseignants, chez qui beaucoup de préjugés subsistent encore sur ce qu'est l'Afrique tout court et ce qu'elle représente réellement. Revenons à vos écrits. Quelles sont les principales thématiques de votre production littéraire ? Difficile à dire. L'humour et la sexualité sont omniprésents dans mes textes, mais ce ne sont pas des thématiques, n'est-ce pas ? Disons que j'aime bien questionner les mutations de l'identité de l'Africain et interroger l'histoire ancienne pour comprendre les errements politiques d'aujourd'hui. Cola cola jazz et Esclaves sont assez représentatifs de cette démarche. Le premier creuse la question du métissage et de l'héritage, tandis que le second explore la complexité du fait esclavagiste et ses influences sur la mentalité des habitants du Golfe de Guinée aujourd'hui. De qui sommes-nous réellement les enfants et qui a effectivement vendu qui ? On ne sort pas indemne de ces interrogations-là. Pouvez-vous nous dire comment vos romans et nouvelles sont reçus au Togo-même, en tant qu'écrivain du pays ? Beaucoup de Togolais me connaissent, même s'ils ne lisent pas toujours mes livres pour diverses raisons dont certaines sont structurelles. En fait, c'est le théâtre qui m'a révélé à mes compatriotes, durant les années de la dictature, et ils gardent encore de moi l'image du dramaturge contestataire. Seulement, j'ai évolué, j'ai porté la contestation sur le terrain de l'esthétique, ce qui n'est pas toujours évident à comprendre. Vous êtes un jeune écrivain et, à ce titre, une question simple : qu'est-ce qui vous pousse à écrire, à vouloir vous exprimer. Est-ce la volonté de vouloir changer les choses, au Togo par exemple ? Changer, est-ce créer de nouvelles valeurs ? Si oui, j'ai le choix des armes : la politique ou la religion ! Non, mes ambitions comme écrivain sont plus ambiguës. J'écris à la fois pour moi, pour honorer un don artistique qui me dépasse, et surtout pour participer à une double tradition littéraire, nationale et internationale. Etre artiste, indépendamment de la discipline, c'est vivre sous tension permanente, entre un sentiment d'inutilité et une envie d'être utile en procurant un plaisir difficile à quantifier. Bref, au bout du compte, je ne sais pas avec certitude pourquoi j'écris. Nous nous trouvons à Casablanca, à l'occasion de cette rencontre sur le thème du « devenir des littératures africaines ». Quel est votre point de vue sur cette question ? L'avenir des littératures africaines n'est pas la préoccupation des écrivains mais des critiques. Mais on peut raisonnablement émettre l'hypothèse que les critiques ne posent pas les questions pour rien. Où voulez-vous en venir ? En fait, à la question des langues car l'Afrique est riche de ce point de vue. Pourquoi écrivez-vous en français ? Est-ce un choix délibéré ? J'écris en français parce que j'ai découvert la littérature à travers cette langue. Mais je rêve d'arriver à la même maîtrise de ma langue maternelle pour proposer une autre tradition de lecture. Je suis d'accord avec votre sous-entendu. Il y a effectivement une autre tradition littéraire à inventer dans les langues africaines. Depuis Ngugi, Kateb Yacine, Rachid Boudjedra ou Boubacar Boris Diop, peu d'écrivains africains francophones ont le courage ou l'envie d'investir ce chantier, et les arguments pour fuir le débat sont souvent lamentables. L'écriture est un exercice ardu. Utilisez-vous justement la tradition orale togolaise dans la structure de vos récits ou alors allez-vous plus loin dans la conception de ce qu'on nomme la narratologie et dans la recherche stylistique ? Pour raconter, je choisis mes outils selon des critères que j'affine au fur et à mesure que j'avance dans la conception et l'écriture de mes romans. Les éléments de l'oralité (traditionnelle et urbaine) peuvent voisiner avec les influences de la narratologie moderne. En réalité, tout dépend de la nature des personnages et des objectifs que je me fixe, texte par texte. Il est si difficile d'inventer des formes nouvelles en littérature et chacun pratique son bricolage avec plus ou moins de bonheur. Quels sont vos souhaits les plus forts pour la remise en marche de la culture africaine ? Que sa force vitale, qui ne s'est jamais démentie au cours de l'histoire de l'humanité, accompagne et stimule la renaissance du continent. Si, à nous, elle a pu servir à quelque chose, nos héritiers en auront bien besoin. Repères : Kangni Alem né à Lomé, la capitale du Togo, en 1966. Sa présence littéraire s'exprime sur plusieurs registres. Romancier, nouvelliste, dramaturge, traducteur, il est également critique littéraire et a enseigné successivement à l'Université de Wisconsin-Madison aux Etats-Unis et à celle de Bordeaux-III. En 1997, il s'install en France et depuis 2005, il vit au Togo où il enseigne à l'Université de Lomé et séjourne souvent en France. Il est le fondateur de l'Atelier Théâtre de Lomé qui s'est attelé à diffuser un répertoire dramaturgique africain et universel. Dans cette structure, ont été mis en scène Wole Soyinka, Bertolt Brecht, Kossi Efoui, Raymond Cousse, Sony Labou Tansi et Ionesco. En tant que comédien, il a joué sous la direction de plusieurs metteurs en scène de théâtre, notamment Jacques Nichet dans La tragédie du roi Christophe d'Aimé Césaire, représentée en 1996 au 50e Festival d'Avignon. Il est l'auteur de plusieurs pièces de théâtre : Chemins de Croix, théâtre, La Saga des rois, Nuit de cristal, Atterrissage. Son écriture romanesque comprend deux titres qui ont signalé une vision et un style littéraire particuliers : Coca cola Jazz publié chez Dapper en 2002, Un rêve d'Albatros édité par Gallimard en 2006. Il a été le lauréat du Grand Prix Littéraire d'Afrique Noire en 2003. Son troisième roman, Esclaves, doit paraître en France, en avril prochain.