Un idéal précis et convaincant, a nourri l'esprit des premiers écrivains éveilleurs des consciences confinées dans la détresse de tout un peuple. L'écrivain algérien, Kaddour M'Hamsadji, a été l'invité d'honneur du Centre culturel algérien de Paris, à l'occasion du débat autour de la littérature algérienne qui marqua, le 16 avril dernier, la Journée du Savoir, «Youm El Ilm». lors duquel il anima une conférence sur la «Littérature algérienne entre hier et aujourd'hui». Il revient pour nous, dans cet entretien, sur certains aspects de cette conférence, mettant l'accent sur l'importance de mieux connaître une production littéraire algérienne qui s'avère, tout compte fait, riche et variée dont les premiers écrits «d'expression française» remontent au début du XXe siècle. Un long travail de recherche attend les spécialistes algériens pour mettre en lumière des écrits oubliés, méconnus ou inconnus de la geste culturelle et littéraire algérienne. L'Expression: Le 16 avril dernier, au Centre culturel algérien de Paris, vous avez donné une conférence sur le thème «La Littérature algérienne entre hier et aujourd'hui, apparences et réalités», et c'était Youm el Ilm, la Journée du Savoir en Algérie. Kaddour M'Hamsadji: C'est exact. Je dois dire que Yasmina Khadra, pardon Mohammed Moulessehoul, le directeur du Centre culturel algérien m'a fait l'honneur de m'inviter pour prononcer cette conférence dont le thème général, je crois, pouvait servir d'introduction à une série de tables rondes sur la littérature algérienne. L'idée principale du CCA a été, ainsi que c'est annoncé dans sa revue Kalila, de programmer durant le 2e trimestre 2009 des écrivains et des universitaires algériens, si j'ose dire, «d'hier et d'aujourd'hui» pour essayer de rappeler quelles étaient les ambitions de cette littérature, de montrer son évolution et de mesurer en quelque sorte son apport à celle d'aujourd'hui... Est-ce un bilan?... Pas du tout. Ça n'est pas l'objet des rencontres programmées. Peut-être, faut-il penser à une réflexion, sans doute provisoire, conduite sur «les états de la littérature algérienne» ou plutôt à ce qu'écrire voulait dire au fil des temps forts de la vie culturelle en Algérie, pour le moment, essentiellement depuis 1930. Dans votre conférence, vous vous êtes limité à évoquer, je vous cite, «La littérature d'écriture française dans les genres roman et poésie écrite par des autochtones». Pourquoi? Il est impossible, dans le temps d'une conférence, d'essayer de traiter totalement le vaste sujet «La littérature algérienne entre hier et aujourd'hui», si même encore on voulait le poursuivre dans un débat entre spécialistes. Au reste, un ouvrage, plusieurs ouvrages, des séminaires ne suffiraient pas à épuiser la question...et c'est tant mieux! Vous avez pris des dates charnières pour faire votre exposé que vous avez sous-titré: «Apparences et réalités». Qu'en est-il exactement? En vérité, j'ai essayé d'entretenir simplement l'auditoire qui m'a fait l'amitié de venir au CCA, d'une certaine idée de la littérature algérienne entre hier et aujourd'hui, à partir de mon expérience personnelle, c'est-à-dire à travers mes observations et les réalités objectives considérées, par moi, comme conséquences de mes rencontres avec des écrivains, des livres, des lecteurs, des éditeurs, des libraires, des distributeurs, tout ce monde autour de l'événement produit par le livre et autour du livre. D'où le sous-titre «Apparences et réalités» du thème de ma conférence. En ce qui concerne «les dates charnières», sans toutefois qu'elles soient des bornes immobiles, elles ont pour effet de situer grossièrement l'apparition et la durée des événements. Pour ainsi dire, j'évoque la période des écrivains coloniaux vers 1930 sous l'étiquette «d'écrivains algérianistes» avec les Robert Rondeau, Louis Lecoq, Louis Bertrand, «l'Ecole d'Alger» avec Jean Grenier, Gabriel Audisio, Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jean Sénac, et ce que l'on a appelé «la littérature des indigènes écrivant en français» ou encore «des musulmans francisés». Parmi ceux-ci, il y a lieu de citer les premiers romanciers Ben Si Ahmed Benchérif (1879-1921) qui a publié en 1920 Ahmed Ben Mostefa, goumier le premier roman algérien, et Abdelkader Fikri de son vrai nom Abdelkader Hadj Hammou (1891-1953) qui a publié en 1925 son fameux roman Zohra, la femme du mineur. Vous avez également parlé des essais romanesques sur l'acculturation et l'assimilation impossible... C'est une littérature qui traite des rapports entre la société asservie, détournée de sa culture, qu'elle représente, et la société coloniale conquérante. Puis c'est les années 40 avec des auteurs qui expriment les choses réelles, décrivent la réalité de la situation de l'Algérie après la Seconde Guerre mondiale. On peut citer Aly El Hammamy qui publie Idris en 1948, Jean Amrouche, Aïssa Zahar, Rabah Zenati, Djamila Debêche et d'autres. Et bientôt apparaît une littérature de prise de conscience dont le nom de Mohammed Dib lui reste attaché avec son grand roman La Grande Maison, et qui, en 1950, prédisait déjà, à peu près ceci «les oeuvres de nos écrivains et nos artistes seront autant d'armes de combat qui serviront à conquérir la liberté». Dans votre conférence au CCA vous avez évoqué une «littérature de prise de conscience». Qu'en est-il au fait? En effet, après la littérature des musulmans francisés, émerge une littérature de prise de conscience du colonisé et de mise en garde à l'adresse du colonisateur qui semble se réjouir du silence populaire. Or, ce silence a un sens puissant et profond, ce n'est pas la soumission. «Peuple algérien dont on avait pris la bonté pour du renoncement», écrivait Henri Kréa (poète et romancier, né en 1933 de mère algérienne). Après la Seconde Guerre mondiale, en effet, des Algériens, des intellectuels algériens qui ont combattu le nazisme dans les rangs de l'armée française réorganisée, ont exprimé la douleur de leurs concitoyens dont la situation politique, économique et sociale est restée inchangée après la victoire des Alliés sur l'Allemagne. La cause juste de la Résistance française contre l'occupation nazie a confirmé d'une certaine façon aux nationalistes algériens, ceux-là mêmes, «les indigènes», qui avaient également contribué, sous le drapeau français, à libérer la France, que l'idée de résistance populaire nationale algérienne, longtemps mûrie au cours des soulèvements historiques précédents, devrait être semée. Alors, l'idée commencera à germer dans les esprits pour devenir «idéal», et le peuple algérien doit se résoudre à objectiver sa volonté de délivrer, quel qu'en soit le prix, leur pays de 132 ans de colonisation. De fait, cet idéal précis et convaincant, a nourri l'esprit des premiers écrivains éveilleurs des consciences confinées dans la détresse de tout un peuple, et Mohammed Dib, avec La Grande Maison (1952) a fait prendre à la littérature algérienne de nouveaux vrais chemins de la liberté.