En fait, les questions des libertés de la femme sont un enjeu majeur d'ordre public qui bouillonne en latence tant que les registres de la politique ne cessent de les refouler. Ainsi, le débat sur les mouvements féministes en Algérie, posé dans sa rétrospective, parle de deux critères majoritaires : d'une part, l'engagement associatif en faveur de la reconnaissance institutionnelle et constitutionnelle des droits de la femme et l'émancipation sociale de la femme des jougs des traditions souvent jugées rétrogrades d'autre part. Le croisement s'opère d'ailleurs dans les deux sens. En effet, d'un côté les revendications féministes sont abordées comme des questions juridico-politiques : l'environnement juridique régissant le statut de la femme et de la citoyenneté comme le code de la famille et les libertés individuelles. D'un autre côté, ces revendications sont aussi présentées comme des questions socioreligieuses : l'ordre social et informel sur les constructions culturelles et religieuses autour de la femme comme l'honneur, la charia… Le croisement s'opère dans les soubassements canoniques de la loi de République ou celle de la formalisation juridique d'un système social inégalitaire. Cette remarque se vérifie dans le recours du législateur à une version accommodée de la loi divine ou le recours du sexiste à un article complaisant du code de la famille. C'est aujourd'hui au nom de la défense de l'égalité entre hommes et femmes que nous nous éloignons des poncifs de la victimisation des femmes pour proposer des alternatives. Le temps n'est-il pas venu pour repenser l'engagement en faveur de la liberté pleine et effective de la femme pour interroger d'une manière transversale les constructions idéologiques autour de cette question et les réalités multiples qu'est la condition féminine ? Autrement dit, il s'agit de repenser les articulations entre les questions d'actualité et d'histoire souvent occultées ou méconnues qui sont à l'origine du fondement d'un ordre sociopolitique inégalitaire qui trouve son expression juridique dans le code de la famille. En effet, l'interrogation des fondements théoriques et politiques du système inégalitaire est très importante dans la mesure où c'est bien souvent au nom du féminisme ou au nom de l'authenticité que sont défendues les politiques sexistes. Une première partie des engagements théoriques impliquerait d'abord la mise à plat des partis pris en faveur des schémas libérateurs à l'occidentale. En effet, de nombreuses visions de type historiciste universaliste consiste à dire que le parcours de féminisme ayant été accompli en Occident est la seule roue de l'histoire et qu'il doit être nécessairement entrepris partout ailleurs pour accéder à la seule démocratie authentique et la seule modernité qui vaille. Or, ces prétentions universalisantes de la modernité occidentale laïcisée occultent très souvent le fait qu'elles sont le résultat de leurs conditions locales et spécifiques. Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas de refuser en bloc l'apport des mouvements féministes occidentaux, il ne s'agit pas non plus de les prôner en bloc. En effet, les mouvements féministes se différencient et s'expliquent en fonction de l'histoire particulière des Etats européens. Il est bien entendu que la liberté et l'équité ne s'octroient pas et ne se décrètent pas. Ces valeurs sont le résultat de la formalisation et de la maturation d'un processus lent et sinueux construit dans et par la société. Ce processus marque inévitablement l'acceptation par la société de la nouvelle construction sociale et politique du statut de la femme. Les discriminations positives, l'égalité des chances et la parité sont autant d'outils à reconsidérer en fonction du contexte local dans les politiques de justice et de réparation dans toutes les sphères de la société (emploi, école, entreprise, institutions, médias, sport…) Une deuxième partie des engagements théoriques impliquerait un audit de l'engagement associatif en faveur de la reconnaissance institutionnelle et constitutionnelle de l'égalité des sexes. La citoyenneté au féminin est associée à la défense des libertés individuelles et à la conquête de droits nouveaux. Il est vrai qu'une lourde tendance du mouvement féministe s'est orientée vers la conquête de ces droits civils sans les accompagner de la revendication des droits politiques. A ce propos, les divergences politiques et idéologiques des figures proues du mouvement féministe ont poussé les acteurs vers des prises de positions différentes, voir contradictoires sur l'analyse de la situation et la nature du système en place. Les activistes et les militantes qui se sont intéressées au problème de l'appartenance à l'Etat et aux institutions sont devenues des politiques ou des bureaucrates, les autres qui sont préoccupées de la cause elle-même sont devenues des militantes dégénérées, sans liens organiques avec les organisations féministes en activité. Le combat légitime pour l'émancipation de la femme dans lequel s'engagent de petits groupes de militantes a subi lui aussi des répressions de tout genre depuis l'arrêt du processus démocratique en janvier 1992. La conditionnalité imposée au féminisme d'appuyer les tenants de l'éradication et d'adhérer à la sacro-sainte lutte contre le terrorisme a miné le mouvement de l'intérieur. C'est ainsi qu'il faut comprendre qu'au stade actuel des choses, une forte tendance de l'engagement pour la condition féminine n'est plus seulement un combat pour l'émancipation de la femme mais aussi contre le pouvoir arbitraire. Dès lors, le combat pour l'émancipation de la femme est devenu inséparable du combat pour l'émancipation de la société entière, de quel diktat que ce soit. C'est peut-être l'une des raisons pour laquelle les femmes qui ont investi en masses des secteurs comme l'enseignement, la santé et la justice préféraient adhérer aux mots d'ordre corporatistes ou politiques que pour les causes féministes, préférant ainsi des bricolages palliatifs face aux contraintes structurelles. Les mouvements féministes ne sont pas définitivement essoufflés. De la même manière qu'ils ont trouvé plusieurs formes d'organisation et de fonctionnement aux lendemains des ouvertures politiques vers la fin des années 1980, ces mouvements reviendront dès que les conditions minimales pour l'organisation normale et le fonctionnement démocratique de la société civile seraient réunis. Quoique même sous des conditions discutables et souvent déplorables, les mouvements féministes ont réussi à porter quelques messages en profondeur dans la société. Porter un message assaini sur fond de violences, d'amalgames et de manipulations relève de l'exploit. Cela dit, en dehors des aspects politiques et juridiques, la condition de la femme a laissé des marques profondes, très souvent douloureuses, dans l'imaginaire national. Il est peut-être temps de sortir la culture féminine de la sphère domestique dans laquelle elle a toujours vécu vers la sphère nationale et régionale. Au plan de l'anthropologique contemporaine, il n'existe pas de politique qui vise à réhabiliter la culture vécue féminine et la transformer en culture savante. Il y a urgence pour un travail de mémoire, de recherche et de restauration de modes de vie basés sur la solidarité et l'humanité. La femme n'est pas définissable seulement par des activités canalisables vers la folklorisation. La femme n'est pas un objet pour touristes ou sexistes, longtemps associée aux tâches ménagères, danses traditionnelles, artisanat et arts culinaires… Le mouvement féministe se doit de retrouver «l'élan vital» de notre société. Aussi, les mouvements féministes doivent faire la part des choses entre l'engagement associatif et les activités festives. Même si les côtés festifs sont nécessaires, ils ne sont ni exclusifs ni indispensables. Au cadeaux du 8 mars, les fleurs et les chocolats ne sont pas des mesures politiques.