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Les femmes doublement victimes
Un constat alarmant sur Le cancer du sein
Publié dans El Watan le 19 - 01 - 2005

« A des stades très avancés de leur atteinte du cancer, elles arrivent dans leur majorité pour ne pas dire toutes avec des seins ulcéro-bourgeonnants sur-infectés, avec du pus et une odeur nauséabonde », affirme, désolé, le Pr. Chafi, médecin-chef de la clinique gynéco-obstétrique Ste Anne.
Devant cette transformation horrible que fait le cancer de l'un des symboles de la féminité et de la beauté, le praticien ne trouve d'autres choix thérapeutiques que l'ablation du sein. « On voudrait ne plus enlever de seins, qu'on puisse diagnostiquer la tumeur maligne à des stades précoces. Cependant et malheureusement, ce n'est pas encore le cas chez nous », ajoute le Pr. Chafi inquiet devant ce dur état de fait. D'autant plus que l'évolution de la maladie est sans cesse en augmentation, note le praticien.
Une évolution croissante
Une évolution inquiétante, relevée également par d'autres praticiens et épidémiologistes, soutenue par des statistiques enregistrées chaque année. Les derniers chiffres pour la wilaya d'Oran ont répertorié, pour l'année 2003, pas moins de 240 nouveaux cas de cancer du sein diagnostiqués. Pour l'année 2004, la clinique Ste Anne a reçu à elle seule pas moins de 50 nouveaux cas, contre 43 l'année d'avant. Rappelons que cette même clinique, et malgré le manque des moyens matériels, a pris en charge, depuis 1995, plus de 300 femmes atteintes du cancer du sein, sans compter les autres pathologies et cancers féminins traités. La cinquantaine de cas reçus en 2004 par la clinique Ste Anne sont à multiplier puisque que, au niveau de la wilaya d'Oran, le cancer du sein se traite aussi au niveau de la maternité et des deux services de chirurgie générale : les pavillons 10 et 14 du CHUO, mais également au niveau de plus de 16 cliniques privées médico-chirurgicales. Le cancer du sein reste le premier tueur de la femme et le premier l'affectant avec 34,8% de l'ensemble des tumeurs, toutes localisations confondues, suivi du cancer du col utérin, avancent les épidémiologistes. « Les cancers du sein et du col utérin représentent à eux seuls plus de la moitié des cancers chez la femme, soit une fréquence de 51 %. Ces fréquences n'ont cessé d'augmenter d'année en année », rapporte l'analyse du registre du cancer d'Oran pour l'année 2002. Ajoutant que le sein est atteint 2,6 fois plus que le col utérin.
Les jeunes femmes plus vulnérables
L'autre aspect tout aussi inquiétant que l'évolution fait que « le cancer du sein rajeunit ». Les jeunes femmes sont de plus en plus atteintes. La plus jeune patiente du service est à peine âgée de 26ans », relève le Pr. Chafi. En effet, « à part le cancer du sein qui continue à être notifié à des âges plus précoces, les cancers du col utérin, de la thyroïde, de l'estomac et de la vésicule biliaire sont notifiés à des âges plus avancés chez la femme », indique le registre du cancer d'Oran. Ce qui implique qu'avec une atteinte plus précoce, « les chances d'enfanter pour ces jeunes femmes s'amoindrissent, voire deviennent nulles si le diagnostic continue à se faire à des stades avancés de la maladie », souligne notre interlocuteur. Notons que la chance de survie est de 5ans pour une femme traitée du cancer du sein. Si le cap des 5ans est dépassé, la guérison est plus sûre. Cependant et pour augmenter les chances de guérison, « le dépistage doit être précoce, l'ablation du nodule seul doit se faire de manière rapide. Ce qui donne plus d'efficacité au traitement et permet un bon pronostic et donc une bonne guérison. Seulement, il faut préciser que, souvent, le dépistage d'un nodule chez des jeunes femmes risque d'être assimilé par certains praticiens à des tumeurs bénignes et donc le risque d'une sous-estimation de la bonne prise en charge du cas. Une cytoponction appuyée par l'examen clinique et la mammographie permettent le bon diagnostic avant de procéder à l'ablation du nodule », explique le Pr. Chafi. Parmi les multiples facteurs ayant favorisé cette évolution fulgurante du cancer du sein chez nous figure le caractère très particulier de la pathologie dans une société engourdie de tabous et de préjugés. « Les patientes ont plus peur des complications que du cancer lui-même. Elles ont peur d'être amputées du sein, de perdre cette image corporelle intègre de la femme, ce qui les pousse à rejeter l'idée d'être affectées de la maladie en refusant de bénéficier de la prise en charge thérapeutique qui permet leur guérison », reprend notre interlocuteur. Ces femmes sont frustrées de la réaction de leur entourage et surtout de celle du mari et de la belle-famille. « Combien de femmes ont été répudiées et jetées à la rue, loin de leurs enfants, pour rejoindre les rangs des sans-abri, et ce par des maris impitoyables qui ne voient en leurs compagnes que des objets de plaisir », confirme une psychologue.
Le cancer demeure toujours un tabou
L'angoisse d'être répudiées pousse ces femmes doublement victimes par la redoutable maladie et par une société cruelle à refuser l'idée du traitement précoce. Certaines d'entre elles ont recours aux charlatans et aux moyens traditionnels pour espérer une guérison miraculeuse. Dans leur majorité, elles ne parviennent aux services de soins qu'après des mois et des années d'évolution de la tumeur maligne. Et donc à des phases finales et à un état aggravé de la maladie. Il faut savoir qu'un seul gramme du tissu cancéreux du sein de la femme dissémine dans l'organisme 400 000 cellules cancéreuses, et ce chaque jour. Alors qu'il suffit pour la femme d'éviter le pire par une simple palpation de ses seins pour détecter la présence du nodule. Ce nodule, en cas de non-prise en charge, va augmenter de volume, de jour en jour, détruire le sein et s'accoler à la paroi thoracique ou à la peau. En continuant à évoluer, le volume de la tumeur devient énorme et l'extension se fait vers d'autres organes, comme le foie ou le cerveau où la tumeur va se greffer. Devant une situation aussi alarmante, arriver à un diagnostic et à un dépistage précoce du cancer du sein devient une urgence afin de freiner l'évolution fulgurante de cette maladie qui affecte les femmes plus dans leur âme que dans leur corps. « La clef reste de parvenir au traitement conservateur se limitant à enlever la tumeur uniquement, tout en préservant le sein de la femme », conclut le Pr. Chafi.


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