Bien des grands compositeurs de musique classique ont à leur actif une 9e symphonie. C'est le cas par exemple de Bruckner ou de Mahler. Pour le grand public il n'y a cependant qu'une seule Neuvième symphonie, c'est celle de Ludwig Van Beethoven. Un excellent documentaire diffusé sur Arte a étudié cette œuvre sur le versant politique, c'est-à-dire du point de l'instrumentalisation qu'ont voulu en faire des systèmes idéologiques totalement opposés. Lorsque Beethoven écrit la Neuvième il est au summum de la maturité humaine et artistique. C'est un titan, un colosse intellectuel dont la sensibilité est tournée vers la grande odyssée de l'homme, son semblable. Il y a des raisons à cela : Beethoven réalise cette œuvre splendide alors qu'il est sous l'emprise de la surdité. Il ressent son mal comme une injustice, mais il veut aller au bout de sa destinée. Beethoven est alors un génie en activité : il réussit tout ce qu'il entreprend, mais c'est au prix d'un travail de l'esprit et du corps. C'est un champion hors catégorie de l'harmonie et du contrepoint dont le style influencera plus tard Tchaikovski et Berlioz. Richard Wagner, G.Rossini, écrasés par la force inégalée de Beethoven, se sentiront un peu plus petits que leur devancier. Beethoven, c'est bien sûr autre chose que Mozart, même s'il y a une filiation ténue entre les deux. Quelle extraordinaire connaissance de la musique chez l'un et chez l'autre. Chez Beethoven cela dépassait le savoir- faire technique. Il n'aura pas la grâce époustouflante d'Amadeus avec La flûte enchantée. Par contre, il le dépasse dans la visée philosophique si admirable de la Neuvième, ce chant sublime qui décline la liberté. On apprend dans le documentaire consacré à la Neuvième que Beethoven était franc-maçon, membre de la loge des Illuministes. Le compositeur cultivait d'une certaine manière un engagement dans son époque. Il avait eu maille à partir avec les évènements de son temps, notamment ceux de la guerre. On connaît cet épisode de la vie du compositeur écrivant, à Vienne, la 5e symphonie lorsque les canons tonnent sous ses fenêtres. C'était l'armée de Napoléon qui envahissait la ville. Le parcours humain de Beethoven se retrouve alors dans sa musique, plus particulièrement encore dans la Neuvième qui a fasciné des générations d'êtres à travers les âges. La profondeur de cette œuvre magnifique a incité - c'est le thème du documentaire d'Arte - à vouloir le récupérer. Lénine, sous le ravissement de la Neuvième, songea à en faire l'hymne de la Révolution. Hitler, lorsqu'il conquit le pouvoir, s'acharna à faire de Beethoven le chantre de l'Allemagne nazie. Il trouva en Richard Strauss, le compositeur, un zélateur, de sa propagande raciste. Pour un oui ou pour un non, Strauss faisait jouer la Neuvième en l'associant à la personne ou aux actes d'Hitler. L'anniversaire du dictateur nazi était fêté aux sons de la Neuvième. Grandiloquent et ridicule, Mussolini, allié fasciste d'Hitler, ne voulut pas faire moins en constituant des orchestres monumentaux de centaines de musiciens pour exécuter le chef-d'œuvre de Beethoven. L'Europe, l'Amérique et même le Japon en guerre, la Chine de Mao Tse Toung se disputèrent le privilège d'utiliser la Neuvième à des fins de propagande outrancière.L e grand baryton afro-américain Paul Robson ne put faire autrement que chanter l'œuvre pour la gloire de l'Allemagne communiste. En fait, la Neuvième appartenait à tous les régimes et à aucun d'entre eux à la fois. Elle est plus largement, dans son credo de liberté et de paix, le patrimoine partagé de toute l'humanité. Le compositeur n'aurait pas eu d'autre volonté que celle-là au regard du message fraternel que contient la Neuvième. Rossini a résumé un tel sentiment en déclarant qu'il était prêt à effacer toute la musique à l'exception de la Neuvième de Beethoven. Bien des années plus tard, ce sont d'autres générations qui se réapproprient le génial compositeur allemand. Chuck Berry, inventant l'un des plus splendides gimmicks de l'histoire de la guitare et du rock, crée le magistral Roll over Beethoven. Le compositeur, ayant ceci de commun avec Mozart, poursuit son bout de chemin, le monde lui devant le tribut de la reconnaissance en ayant fait, de longue date, l'un des représentants emblématiques du génie créateur qui échappe aux velléités de confiscation.