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Opération CDL- Henri Maillot
Publié dans El Watan le 08 - 04 - 2006

Mais il avait besoin, à chacune de ses démarches, d'un appui approprié avec des dispositifs interchangeables et il fallait les mettre en place dans les délais les plus courts, car l'occasion unique pouvait se présenter d'un moment à l'autre. Le contact permanent était nécessaire avec Maillot, à Miliana ou lors de ses venues imprévues sur Alger. Nous aurions été heureux si les téléphones portables avaient existé à cette époque. Les points de liaison fixes et permanents ont été assurés à Alger par une famille de cheminots habitant non loin de la caserne (à l'emplacement de l'actuelle Maison de la presse) et à Miliana par un couple de postiers envoyé là-bas en
«vacances». De plus, comme les autorités militaires tardaient à réaliser le transfert d'armes, Henri a dû prendre une lourde décision, celle de «rempiler», c'est-à-dire demander de prolonger son service dans l'armée, avec le risque de faire ouvrir une enquête sur lui et découvrir ses antécédents politiques. Il fallait également repérer les lieux où Henri essayerait de faire venir le camion, à la date et à l'heure et selon un programme dont nous ne serions sûrs qu'au dernier moment, en essayant sous un prétexte crédible d'y amener seulement le chauffeur militaire, sans l'unité d'escorte habituelle. Bachir et moi avons fini par opter pour la forêt de Baïnem. Nous l'avions explorée, en choisissant un endroit à la fois précis, accessible et discret pour éviter les rondes de gardes forestiers et gendarmes. Nous avons ensuite fait visiter le site séparément à Maillot et à l'équipe opérationnelle, pour qu'ils s'y retrouvent sans erreur le moment venu. Dans cette forêt, où éclatait un extraordinaire printemps, j'avais le cœur à la fois serré et gonflé d'espoir, comme si la nature nous encourageait en célébrant la renaissance du pays au milieu des drames humains.
Des difficultés surmontées
Nous avons eu aussi à composer l'équipe d'intervention et la doter de moyens matériels pour neutraliser une résistance éventuelle, transborder le matériel lourd, assurer et protéger son transport vers un premier refuge assez loin de la zone d'opération. Tout cela dans un délai ne dépassant pas deux heures (c'était notre estimation) après lequel l'alerte pour la disparition de Maillot et son chargement risquait d'être donnée. Il fallait penser au remplacement d'un ou deux des membres de l'équipe en cas d'indisponibilité pour maladie ou répression colonialiste. Ainsi, Abdelkader Guerroudj, qui devait en faire partie, fut interpellé quelque temps avant par la DST française puis relâché, ce qui l'a empêché de participer à l'opération par crainte qu'il fasse l'objet d'une surveillance serrée. Il participera plus tard activement à la répartition et à l'acheminement de l'armement récupéré, entre les groupes de CDL, dont il avait la responsabilité à Alger et les unités de l'ALN avec lesquelles les CDL ont fait jonction dans les régions de l'Atlas blidéen et de Chlef (ex-Orléansville), suite aux accords conclus avec le FLN. Il fallait enfin assurer entre les participants des liaisons mobiles et rapides. Des camarades comme Lucette Larribère à Alger, Myriam Ben vers les régions de Blida, Chlef et Miliana s'y sont employées. Malgré cela, nombre de déplacements et contacts durent être assumés par nous directement, pour préserver le maximum de cloisonnement entre les différents acteurs et aussi pour donner son poids politique à une opération où chacun des participants pouvait risquer sa tête. Bachir s'est énormément investi dans les contacts poussés parfois aux moindres détails. Cela n'allait pas sans risques, du fait que nos points de contact, nos moyens de transport et d'hébergement étaient exposés à des aléas par les surveillances policières ou les internements qui s'intensifiaient contre des amis sûrs ou des sympathisants. Suite à un de ces imprévus, nous nous sommes trouvés un soir tous deux entre Chateauneuf et Bouzaréah sans savoir où passer la nuit. Nous avons débarqué au domicile de Lisette Vincent et Yvonne Saillent, qui seront, un peu plus tard, expulsées en France pour leurs activités politiques et syndicales. Elles nous demandèrent pourquoi le parti était si tiède, selon elles, vis-à-vis de la lutte armée. Sans les convaincre, nous nous sommes contentés de répondre que bien des camarades qui le souhaitaient et qui trouvaient une bonne liaison étaient déjà engagés. Quant au parti, il n'était pas obligé de claironner tout ce qu'il faisait. Nous pourrions leur donner plus tard des précisions… Ces problèmes d'hébergement clandestin, déjà difficiles et qui deviendront intenables lors de ce qu'on appellera la «Bataille d'Alger» de 1957, me ramènent de fil en aiguille à des épisodes liés à la jonction ultérieure avec le FLN. J'évoque ici l'un d'entre eux, qui s'avèrera le plus fructueux.
Une piste vers l'unité d'action
Je passais certaines nuits chez mon ami Rabah Kerbouche, médecin, rue Marengo dans La Casbah, ainsi que chez Mohammed Oucharef, chirurgien-dentiste de la rue Bab Azoun et habitant Saint Eugène (Bologhine). L'un et l'autre avaient été vice-présidents de l'AEMAN (l'un comme UDMA, l'autre comme MTLD), lorsqu'en 1949-1950 j'en avais été le président. Je les voyais souvent avant qu'ils ne soient arrêtés et internés quelques semaines plus tard. Au fur et à mesure que les préparatifs de l'opération Maillot progressaient, je pensais qu'à son issue prochaine, ces amis seraient les meilleurs intermédiaires avec le FLN. L'un et l'autre me disaient qu'ils étaient liés à Rebbah Lakhdar, dont j'appris plus tard qu'il était lui-même en contact étroit avec Abbane Ramdane et un des acteurs les plus actifs de la structuration en cours du FLN dans la capitale. Ils me racontaient en détail comment le FLN avait orienté en sous-main la rencontre débat avec Albert Camus au Cercle du Progrès musulman qui avait soulevé la rage des ultra-colonialistes. Ils m'interrogeaient sur l'origine mystérieuse à leurs yeux, des grèves et manifestations de solidarité qui se déroulaient à l'occasion des anniversaires nationaux au cours de la première année de l'action armée. Visiblement, les cercles dirigeants du FLN étaient intrigués par ces mouvements qu'ils n'avaient pas déclenchés et s'inquiétaient d'une éventuelle origine messaliste. Je leur confirmais, pour qu'ils le rapportent à leurs responsables, qu'il n'y avait là rien de mystérieux. Le PCA et l'UGSA (ex-CGT) avaient lancé les appels, ils avaient impulsé et coordonné ces actions. Il ne fallait pas s'étonner que les dockers, les traminots et autres corporations qui en étaient le fer de lance, aient trouvé du répondant dans les populations de jeunes et de commerçants de plus en plus sensibilisées par la nouvelle conjoncture.
Réussite
Vint le jour de l'opération tant attendue. Je n'en relaterai pas ici les détails. Elle se déroula pour l'essentiel, selon les prévisions, sans accrocs importants et ses résultats dépassaient nos espoirs. Bachir était resté en contact à distance avec les acteurs sur le terrain. Quant à moi, j'attendais le retour
d'Henri après l'opération, avant de procéder au changement de sa physionomie, de ses habits et de son allure, dans le refuge des Deux-Moulins (Pointe Pescade) qu'il connaissait et où Bachir habitait le plus souvent durant cette période. Il était calme, paraissait à peine un peu ému, plaisantait sur la lenteur et la maladresse avec laquelle je préparais l'omelette que nous prendrions avant qu'il parte vers le refuge suivant. Bachir nous rejoignit pour les derniers moments avant qu'il quitte le refuge. J'ai accompagné Henri à l'heure et à l'endroit convenus avec le motocycliste qui l'a pris en charge. Emu, je suis resté un moment à regarder s'éloigner les pans noirs d'une soutane de prêtre soulevés par le vent. Je continuais sur le chemin de terre en contrebas de la route de la Corniche pour prendre trois arrêts plus loin le bus vers le centre d'Alger. Je poursuivis à pied de Placet al Aoud (aujourd'hui Sahet Ech chouhada) pour grimper les ruelles de La Casbah. Déjà les diverses forces coloniales grouillaient et fouillaient fébrilement les couffins des passants et des ménagères voilées. La soirée avec mon ami Rabah et un de ses cousins se passa en échanges sur la situation et plaisanteries habituelles, tandis que mon esprit était ailleurs. Au matin, j'étais encore dans mon sac de couchage, Rabah revenait avec deux journaux coloniaux barrés sur toute la première page par la nouvelle du jour en gros titres. A la fois grave et souriant, il me dit : «C'est pour ça que tu es venu ?» «Oui, lui dis-je, maintenant à toi de nous ramener le contact». «D'accord» me dit-il. Je lui ajoute avant de partir : «Je te téléphone dans deux ou trois jours comme client pour une consultation médicale, tu me répondras ‘'Oui ou Non ou Retéléphonez-moi”». Je le quittai et en nous regardant, nous pensions tous deux : pourvu que ce soit oui ! J'en étais fortement convaincu quand je fus frappé partout dans les rues et le bus par une atmosphère inhabituelle : mes compatriotes, les journaux à la main et le visage ouvert, illuminé, comme pour se congratuler, tandis que «les autres» palabraient autour de leurs journaux la mine sombre. Je me souviens des deux autres circonstances où j'avais baigné dans le même climat contrasté et spectaculaire, comme si la confiance et les espoirs en l'avenir venaient brusquement de changer de camp. C'était le 11 novembre 1943, pendant et après le premier défilé du groupe de Scouts musulmans dans les rues principales de Larbaâ et le 8 mai 1954 dans la ville garnison de la Légion étrangère de Sidi Bel Abbès au lendemain de Diên Biên Phu. Un long moment, allant reprendre contact avec Bachir, je laissai à plus tard la froide analyse politique de l'immédiat et le retentissement probable de l'affaire dans les domaines national et international. J'ai pensé à quelque chose de plus profond quoique indissociable de la conjoncture. J'ai pensé à mes camarades qui avaient entrepris cette action. Quel ressort les avait-il poussés à accepter de s'engager comme l'auraient fait beaucoup d'autres comme eux et de leur même statut social si on le leur avait proposé ?
La force des faibles et des exploités
Aucun de ceux qui avaient été sollicités n'a exprimé de réticence, ils se sentaient honorés de la confiance mise en eux. Je voyais presque chaque matin l'un d'entre eux, homme de grand courage physique et moral et qui avait une des tâches les plus exposées. Un jour d'intenses préparatifs, il avait oublié un détail et il m'avoua, les larmes aux yeux, qu'il passait des nuits blanches au chevet de son fils atteint de crises d'asthme persistantes ; la nuit précédente avait été plus grave. Quand je le mis à l'aise pour lui dire qu'on pouvait sans grand problème le remplacer, il se redressa comme si j'avais porté atteinte à son honneur. «J'avais seulement besoin de partager ça avec toi ; ma femme comprend bien aussi et elle tient le coup». Il m'a fait penser à tout le peuple, qui les mains nues, était tout de même en première ligne, les hommes, les femmes et les enfants innombrables et sans fusil mais sans qui aucun fusil n'aurait pu parler.
Les camarades engagés là n'étaient pas des guerriers et l'opération, tout en étant une opération de guerre, était avant tout une bataille politique et de valeurs morales, comme le furent en définitive la guerre d'indépendance et son issue. A l'exception de Abdelkader Guerroudj, un des cadres de l'organisation dont la présence concrète était nécessaire dans les préparatifs, ils étaient tous d'origine européenne et le choix dans ce cas précis était pour ainsi dire naturel pour plusieurs raisons. La plupart des camarades musulmans de la capitale ayant le profil pour ce genre d'action étaient soit au maquis soit en préparation pour y aller ou engagés dans d'autres activités à ne pas décloisonner. Par ailleurs, les camarades algériens d'origine européenne, comme cela se vérifia au cours de l'opération, passaient plus facilement que leurs camarades musulmans à travers les mailles répressives et les contrôles d'identité. De plus, si les choses avaient mal tourné pour eux ou elles, et ce ne fut heureusement pas le cas, ils et elles auraient démontré à des opinions intoxiquées en France et dans le monde que l'insurrection algérienne n'était pas le produit du fanatisme religieux ou d'une haine raciale, mais une revendication de liberté et de justice qu'ils partageaient eux aussi.
Pour quelles raisons absurdes et injustes aurait-il fallu écarter des tâches pour lesquelles ils étaient aptes et volontaires, ces artisans, enseignants, ménagères, retraités, ouvriers, entrepreneurs, militants syndicaux, mères et pères de famille, qui avaient déjà montré dans l'action sociale et politique une fermeté, un attachement à toute épreuve à l'esprit de fraternité et de justice sociale dans un pays qu'ils ressentaient aussi le leur ? La force des causes légitimes est du côté de ceux qui jouent l'union contre la division. C'est un critère qui ne trompe pas, j'en ai eu mainte fois l'expérience, tant parmi les musulmans que les Européens dans l'Algérie d'avant 1962, ou dans quelque autre pays que ce soit. Dans le combat national comme dans le combat social, ce n'est pas la couleur du tissu qui compte, mais sa qualité. Pour les moments et les actes difficiles, on peut compter sur ce genre d'hommes et de femmes honnêtes, bien plus que sur les James Bond vrais ou de façade, ou sur les chevaliers des passions identitaires et les agitateurs de préjugés et ressentiments xénophobes. Un demi-siècle plus tard, l'action et le souvenir de ces hommes et femmes de l'héroïsme ordinaire, le plus répandu et le plus précieux des héroïsmes, paraissent nous avoir donné une leçon pour les déchirements de l'Algérie d'aujourd'hui. C'est la leçon que beaucoup de nos salariés ou chômeurs, «zoufria» ou intellectuels, gens honnêtes de toutes conditions sociales comprennent quand ils pensent et disent : «Le pays et le système que j'aime, auxquels j'aspire et qui méritent que je les défende, sont ceux où je peux gagner mon pain et respirer en toute liberté et dignité».


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