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Prélude aux accords PCA-FLN
4 Avril 1956 : Opération C. D. L-Henri Maillot
Publié dans El Watan le 06 - 04 - 2006

Les faits que j'évoque concernent la capture, il y a cinquante ans, le 4 avril 1956, d'un chargement d'armes et de munitions de l'armée colonialiste française, au profit de la Résistance algérienne et de son bras armé l'ALN . A l'occasion d'autres dates anniversaires dans les semaines et mois prochains, j'aborderai le contexte politique de cette action et ses suites, notamment l'évolution des rapports entre le FLN et le PCA, avant et après le Congrès de la Soummam.
Les préparatifs ont concerné, avec Henri Maillot, un noyau de participants directs et indirects d'une quinzaine d'hommes et femmes, militants actifs ou sympathisants. Ils ont duré environ trois mois. C'est en décembre 1955 que se sont nouées les informations et les circonstances qui nous ont décidés à cette opération. Un membre du Comité central de notre parti « Oudaï » pour ses amis, qui par modestie et malgré moi n'a pas souhaité que son nom soit cité), était tout juste revenu d'une tâche qui lui avait été confiée en Europe par le PCA depuis deux ans. N'étant pas Algérois, il fut hébergé pour quelques jours à El Madania (ex-Clos Salembier) chez les parents de Henri Maillot. Il attendait de rencontrer les dirigeants du PCA, avant de rejoindre sa ville natale, où il assumera avec succès la direction clandestine de son organisation régionale dans la Résistance durant toute la guerre. Henri arrive à ce moment en permission chez ses parents. A Oudaï qu'il connaît depuis longtemps, il fait part de sa situation de rappelé dans l'armée française avec le grade d'aspirant à Miliana, ainsi que de son ardent désir de faire « quelque chose ». Cela ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd, et Oudaï rapportera leurs échanges à sa rencontre avec Larbi Bouhali, premier secrétaire du PCA et Bachir Hadj Ali. Fallait-il confier à Henri un travail politique et de propagande dans l'armée, comme le faisaient d'autres communistes algériens ou français civils ou militaires, qui diffusaient clandestinement « La Voix du Soldat », organe du réseau anti-guerre coloniale ? C'était trop peu par rapport à ce que souhaitait notre camarade et surtout aux possibilités qui pouvaient s'ouvrir à un moment où, comme nous le disait un militant, tout jeune Algérien rêvait de voir chaque objet traînant dans la rue se transformer en arme.
Les soubassements d'une initiative
Sous l'apparence d'un hasard, ce concours de circonstances et la décision qui en a découlée étaient le résultat d'un travail politique remontant à plusieurs années. En fait, le PCA venait de rappeler Oudaï de Budapest (Hongrie) où il animait depuis 1953 l'émission en arabe classique et populaire de « Saout al Istiqlal w' as-Silm » (La Voix de l'Indépendance et de la Paix) en direction des pays du Maghreb. Programme éloquent qui trouva sa pleine mesure dès les premières actions des « fellagas tunisiens » et le déclenchement de l'Insurrection algérienne. Cela lui avait valu, en juin 1955, une lettre de remerciements des dirigeants du FLN au Caire, signée Aït Ahmed, qui souhaitait en même temps que la radio diffuse l'appel du 1er Novembre 1954. « Nous l'avons déjà fait dès les premiers jours », a répondu Oudaï. Ce qui avait d'ailleurs attiré les protestations du gouvernement français et ses pressions sur la Hongrie pour arrêter ces émissions. Peine perdue, les arguments de Oudaï auprès du PC hongrois furent plus convaincants ! Henri Maillot, quant à lui, était de longue date un des dirigeants de l'UJDA (Union de la Jeunesse Démocratique Algérienne) et travaillait dans l'administration d'Alger républicain. Je l'avais connu à une école élémentaire du parti que j'avais suivie au début des années 1950 (qu'avait suivie aussi Fernand Iveton, ils étaient avec Claude Duclerc les seuls camarades « européens » de l'école qui en comptait une quinzaine). Plutôt silencieux et à l'écoute des autres, de tempérament calme et sensible, ayant grandi dans la quartier populaire du Clos, il se sentait Algérien, avec des convictions anticolonialistes et de justice sociale d'une grande fermeté. Il comprenait cependant les inquiétudes des travailleurs européens. Il fallait, selon lui, les gagner à l'idée d'une Algérie où leurs frères de classe musulmans recouvriraient enfin leurs droits nationaux. J'ai apprécié ses qualités lorsque, étant moi-même plusieurs années élu à différentes responsabilités dans l'AEMAN (Association des étudiants musulmans d'Afrique du Nord), nous organisions les journées anticolonialistes mondiales ou d'autres manifestations avec l'UJDA, les SMA (Scouts musulmans algériens) et les Jeunes des organisations syndicales. Les responsables de l'UJDA comme lui, Hamou Kraba, Noureddine Rebbah, Mustapha Saâdoun, les deux frères Aouissi, Marie Lyse Benhaïm (future Myriam Ben) et d'autres, œuvraient avec passion et constance à faire avancer l'idée d'union pour l'Indépendance en dépit des pesanteurs réformistes résiduelles qui subsistaient dans différents cercles nationalistes ou communistes. Il vécut au mois d'août 1955 un événement qui l'a bouleversé et a durci sa haine de l'oppression coloniale. En tournée pour le service des ventes du journal, il fut témoin impuissant des massacres perpétrés par les colonialistes militaires et civils, en représailles contre les populations musulmanes innocentes dans le Constantinois. Ceux qui l'ont approché à son retour de ces visions tragiques ont senti qu'il ne désirait plus vivre que pour en finir par tous les moyens avec un système aussi barbare. C'est dans cet état d'esprit que l'a trouvé Oudaï. Acquis d'emblée à la lutte armée, par prudence il n'avait pas voulu jusque là confier ses possibilités à n'importe qui. Le parti de son côté, qui avait affirmé sans réticence la légitimité et les raisons des premières actions armées du FLN, n'avait pas réussi encore à le contacter directement et sans intermédiaire depuis son départ à l'armée comme rappelé, car nous faisions preuve de prudence dans la prospection des cadres pour ne pas brûler ceux qu'il était souhaitable de verser dans les Combattants de la Libération (CDL).
La création des CDL
La décision de créer cette organisation a été prise en février 1955 au niveau du secrétariat du parti. Peut-être avant, mais c'est du moins à ce moment-là que Bachir Hadj Ali, membre de cet organisme exécutif et désigné pour cette tâche, m'avait contacté en tant que membre du comité central pour me communiquer la décision de principe et solliciter ma participation. Il m'avait confirmé ce que je savais par ma propre expérience ; en dépit des contacts pris avec le FLN (ou de futurs FLN) à la base et à des niveaux intermédiaires (comme je l'avais fait moi-même à Larbaâ, El Harrach et Alger), il n'y avait pas de répondant de la part de leurs plus hauts dirigeants. Nous leur avions fait savoir par différents canaux formels ou informels notre souhait de discuter les formes que pourraient prendre la participation et le soutien de notre parti. Il était arrivé que certains d'entre nous soient hébergés chez des amis communs en même temps que des dirigeants FLN ou ALN, séparés d'eux par une simple cloison mais le sachant de part et d'autre, sans que cette proximité n'ait permis ne serait-ce que des échanges exploratoires. La création des CDL fut ainsi une mesure urgente en attendant que les choses se clarifient avec le FLN. Il n'était pas question que nombre de nos camarades aptes et volontaires au combat restent les bras croisés, ou attendent passivement d'être arrêtés pour leurs opinions. Donc trois mois après le début de l'insurrection, je commençai les premières activités de prospection et de mise en place d'une formation armée autonome. Je le fis en veillant à garder la couverture de mes activités politiques dans le cadre d'une précaire légalité (campagnes d'agitation et de solidarité pour l'Indépendance) et professionnelles (médecin dans le cabinet du docteur Zemirli à El Harrach et chercheur au laboratoire de bactériologie de la Faculté de médecine). Avec Bachir et sous sa responsabilité, nous avions constitué le groupe de direction des CDL dans lequel j'ai été chargé de la responsabilité organique, tandis que Jacques Salort (parallèlement à sa fonction d'administrateur d'Alger républicain) assumait la responsabilité des tâches techniques. Un premier bilan a été fait par Bachir vers le début mai 1955 devant le Bureau politique dont je venais de devenir membre. Le BP adopta la poursuite de l'initiative des CDL et la confirma aussitôt aux directions régionales, parallèlement aux contacts directs pris avec les camarades que nous avions sollicités individuellement sans passer par leurs structures. J'eus moi-même à me déplacer à la mi-mai dans le Constantinois à la fois pour la région et pour certains contacts individuels. Le mois suivant, le comité central, encore théoriquement légal mais travaillant dans des conditions de semi-clandestinité, entérina les orientations pour les assumer dans leurs différentes dimensions politiques et organiques. Les structurations, affectations individuelles et les premières activités armées autonomes (non revendiquées publiquement) se sont poursuivies.
Accélération
Ces activités ont pris une intensité nouvelle et une liberté d'action totale après l'interdiction du PCA et d'Alger républicain en Septembre. Sous couvert de ma participation à un congrès médical, je suis sorti deux semaines à l'étranger pour demander à des camarades volontaires de venir nous rejoindre (parmi eux, l'étudiant tlemcénien Ahmed Inal et l'écrivaine annabie Anna Greki), prendre ou reprendre contact avec des camarades et amis du monde culturel ou étudiant comme Kateb Yacine, Issiakhem, Mustapha Kateb, Malek Haddad, Benmiloud, Harbi, etc. et enfin pour m'informer des expériences de la résistance au nazisme durant la Deuxième Guerre mondiale. A mon retour, tandis que s'étoffaient les activités aux divers échelons des CDL, je dus deux mois plus tard, dans la deuxième quinzaine de décembre, entrer définitivement dans la vie clandestine. La presse coloniale venait d'annoncer en gros titres la présence et la mort (vraie ou supposée) de notre camarade Laïd Lamrani, membre du CC du PCA et bâtonnier de l'Ordre des avocats de Batna, dans le maquis des Aurès qu'il avait rejoint au milieu de l'été. Il devenait trop risqué de poursuivre mes activités en vivant au grand jour, malgré les précautions prises. C'est à ce moment, au vu des informations transmises par Oudaï à Larbi Bouhali, que la préparation de « l'opération Maillot » fut prise en mains directement par la direction des CDL. Il n'était pas indiqué en effet d'exposer cette entreprise aux lenteurs inévitables des échelons intermédiaires de l'organisation. Son importance et la complexité de ses aspects techniques nécessitaient un grand secret et beaucoup de rapidité et de souplesse dans la coordination. Faute de réponse du FLN à nos relances de coopération, nous avions dû renoncer à une variante relativement plus simple, qui s'était présentée assez rapidement et aurait pu rapporter un armement neuf et plus moderne. Cela aurait nécessité une opération sur le trajet du convoi d'Alger vers Miliana, avec des moyens militaires que seuls les groupes de l'ALN pouvaient à ce moment là mettre en œuvre. Il nous fallut donc opter pour une autre variante : récupérer à Alger le matériel ancien provenant de Miliana et dont se débarrassaient les unités françaises. C'était plus à la portée de nos moyens humains et matériels dans la capitale. Mais cela nécessitait aussi un plan et une mise en œuvre plus mobiles, comportant des risques d'échec plus grands à cause de ses imprévus. Quant au matériel ancien qui sera pris, comme les mitraillettes Sten par exemple, il était connu pour avoir des défaillances : quelques mois plus tard, l'une d'elles s'enrayera alors qu'un général était à portée de tir des fedayine sur son passage, ce qui valut aux auteurs de cette action d'être capturés et à notre camarade Yahia Briki la condamnation à mort, qui heureusement ne sera pas exécutée. Comment seront poursuivies la préparation et la réalisation du coup de main ?
(A suivre)
Le 31 mars 2006


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