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Mustapha saâdoune, survivant des combattants de la liberté (cdl)
« Nous avons été surpris »
Publié dans El Watan le 07 - 11 - 2004

Mustapha Saâdoun, un des derniers survivants des Combattants de la liberté (CDL) - ces militants communistes, algériens ou d'origine européenne qui ont pris les armes contre l'occupant colonial - et rescapé aussi de la katiba Zoubiria de l'ALN, évoque les conditions qui ont prévalu à l'installation des CDL, que la presse coloniale s'est empressé de qualifier de « maquis rouge » dans son désir d'accuser le soulèvement du peuple algérien d'avoir été fomenté par le communisme international.
Le 1er Novembre 1954, vous y attendiez-vous personnellement ?
Non, pas du tout. Cela a été une surprise pour nous. La première réaction est venue dans un communiqué diffusé par le Parti communiste algérien (PCA) le 2 novembre 1954 et dans lequel il saluait le mouvement insurrectionnel. Tout en prenant soin de préciser qu'on ne devait pas s'en prendre à tous ceux qui pouvaient aider à faire avancer la cause nationale ou du moins qui n'y étaient pas foncièrement opposés comme les enseignants d'origine européenne, le clergé religieux, etc. Sur la base de ces réserves ainsi formulées, les partis nationalistes ont dit : ça y est, le PCA est contre (le 1er Novembre, ndlr). Tous les camarades militants ou sympathisants des organisations de jeunes, femmes et des syndicats, etc. ont été juste après sensibilisés sur cette base. Il est vrai que pour le PCA, le dilemme se posait de la manière suivante : fallait-il soutenir ouvertement le mouvement insurrectionnel et courir le risque d'être dissous par l'Administration coloniale ou alors continuer à agir, à soutenir et à travailler dans la clandestinité aux côtés des initiateurs du 1er Novembre 1954 ? Beaucoup de militants du parti ont, dans les jours qui ont suivi, pensé qu'il n'y avait qu'une seule issue : celle de l'action. Mais il y a eu pourtant quelques militants du PCA qui ont été contactés par les membres du CRUA - Maurice Laban l'a été par Ben Boulaïd, par exemple - à la veille du déclenchement de la lutte armée...
Individuellement oui, avant le 1er Novembre 1954 et après. Moi-même j'ai été approché à Belcourt par Mokhtar Bouchafa qui allait devenir responsable des fidaïs à Alger et que je connaissais bien avant aux Halles centrales. A l'époque, j'ai dit d'accord. Il m'a même fixé un rancard au niveau du kiosque-café qui existait à l'époque au niveau de la place de Belcourt, face au Monoprix. Il est même passé devant moi pour s'assurer que j'étais bien au rendez-vous. On s'est salué, mais je ne sais pour quelle raison il n'y a pas eu de suite.
Mais pourquoi les militants communistes n'ont pas rejoint de manière systématique la lutte armée ?
Nous devions attendre les directives du parti pour le faire. Et celui-ci estimait que ce n'était pas le moment tant qu'il n'avait pas eu de réponses aux propositions qu'il avait adressées aux dirigeants du FLN.
Quel genre de propositions ?
D'abord celles qui consistaient à définir un cadre d'action unitaire avec le FLN. Puis celles liées au contenu à donner à travers un programme politique, économique et social comme prolongement à l'indépendance recouvrée.
Mais à ce niveau de préoccupation, vous n'avez pas eu de réponse ?
En fait, ce n'est que bien plus tard que nous nous sommes rendu compte que nous étions sur deux niveaux de préoccupation totalement différents avec les dirigeants du FLN de 1954. Regardez l'évolution qu'a connue l'Algérie depuis l'indépendance jusqu'à nos jours. Nous sommes passés du populisme « socialisant », qui avait avant tout un caractère réformateur et non pas révolutionnaire, comme se plaisait à le répéter le pouvoir d'alors, à l'ultralibéralisme actuel incarné par Abdelaziz Bouteflika.
Revenons à la lutte armée. Comment est venue l'idée des combattants de la libération ?
Comme je vous l'ai dit, les communistes ne pouvaient ne pas soutenir le mouvement insurrectionnel du 1er Novembre. Très vite, des directives ont été données aux militants que nous étions par la direction pour apporter soutien et appui au FLN, là où il était possible de le faire... Parallèlement, les responsables du parti poursuivaient leurs tentatives d'entrer en contact avec ceux du FLN. Entre-temps, nous avions reçu des directives pour que tous ceux qui pouvaient rejoindre le FLN à titre individuel le fassent là où les conditions le permettaient. De notre côté, nous poursuivions en tant que militants communistes notre travail de sensibilisation auprès de la population après le déclenchement du mouvement du 1er Novembre. Personnellement, j'ai activé à Alger à cette période jusqu'au jour où j'ai été informé que je devais quitter la ville parce que j'étais recherché par la police. Je me suis replié dans la clandestinité vers Cherchell. Ce devait être dans les débuts de 1955. Et là, je poursuivis mon travail d'activiste dans la région et les douars. Malheureusement, les conditions ne nous ont pas permis d'implanter un maquis dans la région qui était infestée de collaborateurs et de mouchards de l'Administration coloniale. Beaucoup de militants ne demandaient à l'époque qu'à entrer en action et à prendre les armes contre l'occupant français. La direction du PCA a alors décidé d'installer des maquis dans la région d'Orléansville (aujourd'hui Chlef) qui avait été profondément marquée par le séisme de septembre 1954 et où les communistes ont fait un travail remarquable auprès de la population sinistrée et qui a été délaissée par l'Administration coloniale, ainsi que près de Aïn Defla et de Ténès. Mais nous nous sommes heurtés à la configuration du relief qui n'a permis l'installation que d'un seul maquis au nord d'Orléansville, où les conditions étaient réunies : les militants étaient assez nombreux. Bref, le parti était bien implanté aussi bien au sein des Algériens que parmi la population européenne.
Comment s'est faite l'installation de ce maquis ?
Au début, nous étions une dizaine de militants à avoir rejoint ce maquis dans le douar de Medjadja. Nous n'étions armés que de vieux clous, de fusils de chasse et d'armes de poing usées... Il a fallu attendre qu'Henri Maillot fasse son fameux coup du détournement d'un camion d'armes pour que l'on entame enfin les actions armées, des attaques contre les fermes des colons, des incendies de récolte, etc. Cela a duré un certain temps jusqu'à l'attentat contre un collaborateur de l'Administration coloniale. Devant la multiplication de ces attaques, la police coloniale et les militaires ont tout fait pour essayer de neutraliser notre groupe. On a donc dû quitter Medjadja pour s'installer sur les hauteurs de Lamartine (aujourd'hui El Karimia), plus précisément au douar Béni Boudouane. Et c'est là que notre groupe a été encerclé. La propagande et la presse coloniales ont dit que nous avions été repérés grâce à un militant qui aurait été chargé de nous procurer de la nourriture. Celui-ci, une fois arrêté, aurait soi-disant avoué et indiqué le lieu où nous nous trouvions. En réalité, nous nous étions aventurés dans une région peu sûre, infestée de collaborateurs et d'indicateurs de l'Administration coloniale. La contrée était sous la coupe du bachagha Boualem et de ses goumiers. Nous n'étions pas en sécurité, car la population du douar était totalement acquise à la colonisation depuis 1871 du fait de l'action menée par l'Ordre des Saint-Cypriens dans toute la région d'El Attaf. Des cantonnements avaient été en effet installés par la colonisation française, et la population autochtone avait été enrôlée et armée pour prévenir tout mouvement de soulèvement ou de révolte des Algériens. En choisissant de s'installer à Béni Boudouane, notre groupe s'est pratiquement jeté dans la gueule du loup. Nous aurions dû descendre plus bas, vers Aïn Defla, où la contrée était plus sûre et nos militants plus nombreux et où nous aurions été en sécurité. Et c'est parce que nous étions isolés et que nous avions perdu tout contact avec le reste de nos militants et sympathisants que l'armée coloniale, appuyée par les supplétifs du bachagha Boualem, a pu encercler et accrocher notre groupe. Plusieurs de nos camarades sont tombés au champ d'honneur, dont Henri Maillot et Maurice Laban, le 5 juin 1956. Il n'y eut que trois survivants, dont Hamid Guerrab, un camarade, ancien responsable des syndicats d'Oran, et moi-même. Nous dûmes nous séparer. Mes deux compagnons furent arrêtés et par la suite condamnés à mort, tandis que moi, je n'ai dû mon salut qu'en me mêlant aux fellahs qui moissonnaient dans la région de Aïn Defla, vers laquelle je me suis dirigé. Une fois en ville, je me suis rendu compte que tous les responsables communistes de la région avaient été arrêtés par la police. Et c'est grâce à des militants de base que j'ai pu me cacher. Et c'est à ce moment-là qu'un camarade m'a appris que le PCA avait conclu un accord avec le FLN pour l'intégration des combattants communistes au sein du FLN.
Tous les combattants et militants communistes qui voulaient participer à la lutte armée ont donc intégré le FLN...
Pas tous, dans la région de Aïn Defla, par exemple, un des frères Em'Barek, tous communistes, a refusé d'intégrer le FLN et a continué tout seul à mener des opérations et des attentats contre des policiers, des agents et des collaborateurs de l'Administration coloniale. Il a fait des ravages avec sa Mat (rires). Peu après l'accord du PCA, j'ai rejoint le FLN sur les hauteurs de Cherchell. Je suis allé à la rencontre de deux groupes de moudjahidine envoyés à partir de Miliana pour installer des maquis dans la région. Leur première mission était l'élimination de tous les mouchards qui ont empêché le mouvement armé de s'implanter dans la région. Ce que nous avons découvert était édifiant. Durant la période qui a suivi Novembre 1954, les paysans, notamment ceux qui avaient sympathisé avec le PCA, avaient rassemblé des effets vestimentaires, des produits alimentaires, des pataugas, des tenues militaires, des armes blanches, etc. et aménagé des refuges et des casemates dans les montagnes dans la perspective d'installer des maquis. Nous étions agréablement surpris ! La plupart d'entre eux étaient des fellahs sans terre, sans ressources, des damnés de la terre, des exploités de la colonisation. Et c'est parmi eux que nous allions recruter les premiers fidaïs qui allaient commettre les attentats contre tout ce qui symbolisait la colonisation : destruction de fermes de colons, des récoltes, de poteaux télégraphiques et autres actions de sabotage. Au point que, en très peu de temps, la route reliant Cherchell à Ténès était devenue dangereuse pour l'armée. D'ailleurs, toute la région comprise entre les deux localités avait été décrétée zone interdite.
Après votre intégration dans les rangs du FLN et dans les unités de l'ALN, vous et autres communistes avez-vous rencontré des difficultés dans vos rapports avec les autres militants nationalistes ?
Non, au début les relations étaient très bonnes, mais c'est par la suite que les difficultés sont apparues. On a commencé à nous chercher la petite bête, comme on dit chez les anciens du PCA. Que leur reprochait-on ? D'entretenir des relations avec leur parti ? Cela bien sûr, sinon rien de bien précis. Mais la méfiance était permanente, sournoise et très diffuse. C'est comme si on avait peur des communistes. Une peur entretenue on ne sait comment. Des anecdotes pourraient prouver cela. Après mon intégration au sein d'une unité de l'ALN qui était commandée par Omar Oussedik, que je connaissais avant 1954 au journal Alger républicain, où il aidait à la correction des articles et à la diffusion du journal, on me fit savoir que le commandant voulait me voir. J'ai été content de le revoir et de lui dire : comment vas-tu Omar ? Mais il m'a aussitôt fait remarquer qu'au maquis il était devenu Si Tayeb et que personne ne devait connaître sa véritable identité. Une autre histoire cocasse m'a été rapportée récemment par le colonel Bouregaâ, qui était à l'époque responsable de la fameuse katiba Zoubiria dont nous sommes, lui et moi, les seuls survivants. Un jour, un des ses responsables demanda à Lakhdar Bouregaâ si je faisais encore partie de ses troupes. Celui-ci répondit par l'affirmative et dit qu'il me connaissait bien. Le chef en question mit en garde Si Lakhdar : méfie-toi de Mustapha Saâdoun, c'est un marxiste. C'est quoi un marxiste ? demanda-t-il. Ne cherche pas à comprendre et méfie-toi de lui, a-t-il eu pour toute réponse. Cet épisode de la vie des maquis ne m'a été rapporté par le concerné que plus d'une quarantaine d'années plus tard, c'est-à-dire il n'y a pas très longtemps, sans doute parce qu'il avait considéré que cette accusation était tout ce qu'il y avait de plus ridicule. Heureusement, pour nous, que souvent des responsables militaires du FLN ont fait preuve de clairvoyance, à l'instar du colonel Si M'hammed Bouguerra. Sinon, nous aurions tous été éliminés. Il n'empêche que beaucoup de communistes ont été liquidés dans les maquis, des éléments de valeur parfois, comme l'avocat Tayeb Lamrani, Raffini, un autre avocat, ou encore le médecin Cornillot et d'autres. Malheureusement, ces purges se sont poursuivies même après l'indépendance, puisque j'ai été arrêté par des Algériens après 1962 et emprisonné.
R. B.


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