C'est ce qu'il y a lieu de retenir des réponses apportées par le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, lors du forum de l'ENTV après la polémique et les commentaires suscités dans l'Hexagone et en Algérie suite à l'échec de la visite à Alger du ministre français des Affaires étrangères, M. Douste- Blazy, et aux propos franchement offensifs et tranchants tenus par Mohamed Bedjaoui à Washington sur le faible poids de la France par rapport aux Américains. Sur le fond du dossier, le chef du gouvernement n'a fait qu'appuyer les propos tenus par le ministre des Affaires étrangères, expliquant avec arguments à l'appui pourquoi l'Algérie n'est pas emballée pour signer «le traité de paix» avec la France. Sur au moins trois questions stratégiques pour l'Algérie, le désaccord est total avec la France. Celle relative à la circulation des personnes à travers l'ostracisme dans la politique d'octroi des visas; sur le devoir de mémoire contrarié par des visions néocolonialistes et nostalgiques de l'histoire et enfin sur la question du soutien de Paris à la politique annexionniste de Rabat au Sahara-Occidental. Hormis Boumediène qui n'hésitait pas à mettre les pieds dans le plat avec le sens de la répartie qu'on lui connaissait pour dire tout haut ce qu'il pensait de la politique française à l'égard de l'Algérie ou dans ses relations aux plans régional et international, entre Alger et Paris, il y eut comme un pacte de non-agression tacite même lorsque les relations bilatérales traversaient des zones de fortes turbulences. Qui ne se souvient pas de cette petite phrase assassine de Boumediène dans les années 1970 en écho au chantage économique exercé par Paris sur Alger . «Notre pétrole est rouge du sang de nos chouhada, nous sommes prêts, s'il le faut, à le boire plutôt que de le brader», avait-t-il répondu aux autorités françaises qui voulaient faire croire que notre pétrole était de mauvaise qualité. Depuis la visite officielle de Chadli en France jusqu'à l'arrivée aux affaires de Bouteflika, les relations algéro-françaises ont toujours été en demi-teinte alternant éclaircies éphémères et brouilles. Bouteflika, qui se revendique de l'héritage de Boumediène en termes de culture politique, ne fait pas, lui non plus, dans la litote pour dire certaines vérités à la France de manière crue. C'est ce qu'il avait fait en comparant les massacres de Guelma et de Kherrata aux fours crématoires nazis, une déclaration qui avait provoqué un tollé dans les milieux politico-médiatiques de l'Hexagone. Ce nouveau style dans la gestion des relations algéro-françaises, un style marqué par le parler vrai et la négociation à partir d'une position politique nouvelle qui tient à rappeler en toute circonstance aux partenaires de l'Algérie y compris (surtout) à la France à laquelle nous lient des relations passionnelles héritées de l'histoire de ne jamais oublier que l'Algérie est un pays souverain qui entend être traité en tant que tel. La liberté du ton relevée dans les propos de Mohamed Bedjaoui participe de cette volonté de l'Algérie de sortir de l'ère de la mystification trompeuse qui a toujours caractérisé les relations entre l'Algérie et la France pour entrer avec conviction dans une nouvelle phase de vérité et de coopération fondée sur la réciprocité des intérêts et le respect mutuel qui se méritent par les actes concrets et non par les discours et les initiatives politiques déconnectés de la réalité. On ne construit pas des relations durables d'amitié, un projet aussi noble que «le traité d'amitié», sur une politique de rejet et de haine. Car c'est bien de cela qu'il s'agit. C'est ce que l'Algérie s'échine à expliquer aux autorités françaises.