C'est la raison pour laquelle cette institution consacre 70% de son énergie et de ses dépenses à l'Afrique. La raison de cette réorientation des préoccupations géopolitiques et géostratégiques de l'armée américaine se situe à trois niveaux, selon le commandant Jones : le terrorisme islamiste, la sécurité énergétique et l'influence grandissante de la Chine. Premièrement, les groupes islamistes en Afrique ont multiplié les opérations de recrutement, renforcé leurs alliances avec Al Qaîda et mis en place des réseaux d'infiltration vers l'Europe, l'Irak et le Golfe. Deuxièmement, la hausse vertigineuse des prix du pétrole et la dépendance croissante de l'Occident font de la protection des ressources africaines une question de priorité. Troisièmement, la Chine a fait de l'Afrique un avant-poste dans sa recherche d'une influence mondiale, triplant son commerce avec le continent noir pour le porter à 37 milliards de dollars au cours des cinq dernières années, signant des accords pétroliers et gaziers et formant dans ses universités les cadres et les élites futurs de l'Afrique. «L'Afrique joue un rôle stratégique qui ne cesse de croître aux plans militaire, économique et politique», explique le chef de European Command, avant d'ajouter : «Nous devons être plus souples pour pouvoir faire face à la concurrence dans un tel environnement.» Le Council of Foreign Relations (le Conseil des relations extérieures du Congres) note dans un rapport cité par USA Today que l'Afrique est devenue «un endroit où les opportunités ne sont pas reconnues. L'économie globale en Afrique a progressé de l'ordre de 4,8% l'année dernière, tandis que 40% des pays du continent sont des démocraties élues au suffrage universel, fournissant ainsi une base prometteuse pour l'influence américaine». Bien avant que l'intérêt de la Chine pour l'Afrique ne commence à attirer l'attention de Washington, le général Jones indique avoir exhorté l'Administration du président George Bush à «faire des efforts destinés à éviter que des régions entières de l'Afrique ne deviennent l'Irak et l'Afghanistan du futur», dans le cadre de sa doctrine d'action de prévention des conflits. Jones explique qu'en compagnie de son adjoint, le commandant Chuck Wald, qui s'occupe spécialement de l'Afrique au sein de l'European Command à Stuttgart, en Allemagne, il dirige un Think Tank (groupe de réflexion) sur l'Afrique. Afin d'améliorer la coordination des initiatives américaines, les deux hommes ont donc mis en place une équipe à Stuttgart avec la participation de 15 agences gouvernementales américaines. James Jones a travaillé avec la Chambre de commerce américaine pour envoyer des hommes d'affaires et des chefs d'entreprises américains en Afrique. Il fait tout cela, dit-il, dans le cadre du nouveau rôle militaire américain et pour mieux coordonner la riposte américaine. «La lutte en ce XXIe siècle tourne autour de la coordination de tous les éléments de l'influence nationale afin que tout fonctionne ensemble. Si rien ne suit les initiatives militaires en Afrique, nous ne réussirons pas», explique le général Jones. Sur le plan militaire, il a supervisé, avec le général Wald, les efforts déployés dans la lutte antiterroriste qui vise à fournir des renseignements, à assurer la formation et à promouvoir la coopération avec neuf pays africains. «Le général Wald a ainsi réuni pour la première fois les ministres de la Défense de ces neuf pays afin de coordonner la stratégie, notamment la lutte contre la menace islamiste la plus visible dans la région, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, qui a déclaré sa loyauté à Al Qaîda», révèle USA Today. Le journal note que le général Jones voit dans le Golfe de Guinée – par lequel transitent 15% des importations pétrolières américaines, un chiffre qui devrait atteindre 25% dans les 10 prochaines années – une présence maritime permanente afin de lutter contre la piraterie et le détournement à grande échelle opérés sur les pipelines. En tant que commandant allié suprême de l'Otan, Jones a déjà programmé les premières manœuvres militaires de la nouvelle force de déploiement rapide de l'Otan dans le Golfe de Guinée l'été prochain. USA Today cite un responsable du Pentagone qui estime que Jones restera dans les mémoires comme «celui qui a fait connaître l'Afrique» au Pentagone : «Il a utilisé des ressources limitées pour laisser frapper un grand coup.»