Si une campagne électorale est dans un pays développé le reflet d'une vie démocratique où la bataille des idées prime celle du « me voici me voilà », elle est dans un pays sous-développé l'expression d'un carnaval qui cache mal l'absence d'une vie politique ouverte et plurielle. Il n'est point difficile de choisir la catégorie dans laquelle caser la campagne électorale qui prévaut en Algérie en ce moment même de l'histoire du pays. D'ailleurs, de toutes les campagnes électorales, l'actuelle a marqué les esprits non pas par une compétition de programmes électoraux, mais par une omniprésence du président candidat sur tous les supports, notamment muraux. De gigantesques portraits habillent immeubles, villas et administrations. Les propriétaires des carcasses de villas semblent avoir trouvé dans la manne électorale un moyen d'achever leurs constructions. L'administration qui a, depuis longtemps, annoncé sa couleur politique en toute violation du principe de neutralité, offre gracieusement les façades de ses établissements en l'honneur du président candidat. Le siège de la Chambre de commerce à Alger, une institution de l'Etat se devant de ne pas prendre parti, est fardé d'un immense portrait de Bouteflika, effrayant de gigantisme. Nul ne peut échapper à l'omnipotence photographique du président de la République. Tel un rappel à l'ordre, ces géants en papier ou en toile sont servis dans tous les quartiers, comme pour affirmer une présence « incontournable » et « imperturbable » du locataire du palais d'El Mouradia. Plus que du marketing politique, cette présence démesurée d'affiches et de portraits géants traduit une poussée propagandiste qui renvoie nos esprits aux anciennes Républiques de l'Est au plus fort des régimes totalitaires où l'image du président se confond avec celle de la nation. Telle une gifle assénée à la face de l'Algérien, pourtant allergique au culte de la personnalité, cette utilisation effrénée de l'image du président candidat est aussi une offense aux cinq autres candidats à la présidentielle. Avant d'écraser ses adversaires par les urnes, le président candidat veut déjà les écraser visuellement. Alors qu'il n'existe plus de doute que les jeux sont déjà faits, le président candidat confirme qu'il ne veut pas faire dans la discrétion ni dans le faire-semblant. Bien au contraire, sa stratégie de campagne semble reposer sur l'affirmation de sa victoire qu'il veut écrasante, importante et incomparable. On parlait il y a quelques années de partis schtroumpfs, aujourd'hui on assiste à des candidats schtroumpfs qui ne trouvent même pas de place sur les espaces d'affichage. Les moyens financiers, aussi énormes soient-ils, ne peuvent justifier la prédominance dans la présence d'un candidat au détriment d'un autre dans l'espace public. Les règles de l'éthique politique obligent un minimum de respect de l'adversaire, si « petit » soit-il. L'image d'un candidat si gigantesque soit-elle ne peut représenter un programme encore moins défendre un bilan. Ce ne sont pas les portraits colossaux qui font les grandes œuvres.