L'Algérie est-elle un pays tolérant ? La question irrite Cheikh Bouamrane, président du Haut-Conseil islamique (HCI). « Pourquoi l'Algérie serait-elle plus tolérante que les Etats-Unis, l'Allemagne ou la France ? Avez-vous vu ce que le foulard islamique avait provoqué comme tollé en France et en Allemagne. Et le foulard des sœurs blanches ? Et la croix ? Ces signes ne dérangent pas en Europe. Ils ne nous ont jamais dérangés en Algérie aussi. L'Islam est la religion la plus tolérante, à condition qu'on ne nous attaque pas », a-t-il répondu, lors d'une rencontre avec la presse hier à l'hôtel El Aurassi, à Alger, en marge d'un colloque international sur la tolérance en Islam. Cheikh Bouamrane refuse l'accusation relative à « la persécution des chrétiens » en Algérie évoquée par la presse européenne après l'affaire de Habiba Kouider, arrêtée en possession de bibles et jugée pour « prêche d'un culte non musulman sans autorisation ». Selon lui, les chrétiens ont toujours vécu tranquillement en Algérie, certains ont même participé à la guerre de Libération nationale. « Les nouveaux évangélisateurs sont, eux, agressifs et ne respectent personne. Ils déforment les faits. Nous avons, comme tous les Etats, promulgué une loi pour obliger les associations religieuses, musulmanes ou non, à se déclarer et avoir statut », a-t-il souligné. En 2006, l'Algérie a adopté une loi anti-prosélytisme qui prévoit, entre autres, une peine allant jusqu'à 5 ans de prison à l'encontre de toute personne qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion ». Selon le président HCI, le nouvel archevêque d'Alger, le Jordanien Ghaleb Moussa Abdallah, a réuni des chrétiens d'Algérie et leur a demandé de respecter les lois du pays. De même pour l'ambassadeur des Etats-Unis à Alger. « Les lois françaises ou allemandes sont respectées par les musulmans vivant en France et en Allemagne », a-t-il précisé, relevant que le HCI prêche la paix et le dialogue. Expliquant « l'activisme » des évangéliques, Cheikh Bouamrane a ajouté : « Ils disent : votre prophète n'est pas un vrai prophète. Votre Coran est un tissu de contradictions. On dit aux autres : pratiquez chez vous ce que vous nous demandez et : appliquez la tolérance aux minorités musulmanes. » Il cite l'exemple du « fichage » systématique des musulmans, arabes ou non, en Grande-Bretagne et s'interroge sur la signification de « l'Islam français ». « Cela veut dire quoi ? L'Islam est universel. Y a-t-il un catholicisme algérien ? Un catholicisme sud-américain ? Il y a la papauté, le Vatican et c'est tout », a-t-il noté. Le président du HCI a participé récemment au dialogue islamo-chrétien de Cordoue (Espagne). « Nous sommes allés pour contrer l'islamophobie qui se développe en Europe. Nous avons insisté sur l'éducation. Et nous avons proposé d'élaborer une loi universelle pour protéger les trois religions contre les attaques. Une loi qui concerne tous les pays membres de l'ONU », a-t-il relevé. Interrogé sur la nomination d'un mufti de la République, Cheikh Bouamrane a déclaré que le président de la République cherche toujours la personne la mieux qualifiée à ce poste. « Le mufti doit maîtriser les sciences théologiques, avoir une méthode pédagogique et une morale parfaite. Si le président nous sollicitait, on lui adressera une liste de personnes répondant à ces critères. Nous besoin d'un mufti avec un nouveau style et un langage universel », a-t-il noté. Le message du colloque, que le HCI organise jusqu'à demain, est « La paix et le respect de l'autre ». Salem Ben Brahim, imam et enseignant, a, lors d'une intervention, souligné que la tolérance n'a été découverte par l'Europe qu'au XVIIe siècle. Il a rappelé le concept coranique de « nulle contrainte en religion ». « Personne n'a le droit d'obliger non musulman à se convertir à l'Islam », a-t-il noté, soulignant que le comportement des musulmans dans leur vie quotidienne doit être la meilleur manière de véhiculer la tolérance et le vivre-ensemble. Souleyman Achraaï, autre enseignant, a précisé que la sourate Al Kafiroun est une véritable « Constitution » de la tolérance et de la liberté du culte. « Le caractère ouvert de l'Islam s'est matérialisé par la recherche d'espace géographique plus large depuis sa naissance », a-t-il expliqué. Plusieurs formules coraniques suggèrent, selon Hadda Sabekk, enseignante à l'université Emir Abdelkader de Constantine, la tolérance. Elle a cité le pardon (el afoue), la rémission (essafh) et l'absolution (el ghofrane). L'absolution en Islam n'a pas la même signification que celle de l'Eglise chrétienne. Aujourd'hui, Zineb Bousbiaa, de l'université Emir Abdelkader, explique le modèle de tolérance que fut l'Andalousie de l'époque médiévale ; Pierre Guichard, de l'université de Lyon (France), évoquera la connaissance interreligieuse au Moyen-Âge.