Cependant, ce principe se retrouve battu en brèche par le nombre impressionnant de demandes formulées par les parents à chaque début d'année scolaire. Des commissions de recours sont instituées par les textes officiels. Elles étudient les demandes parentales recueillies par les établissements scolaires. Elles siègent avant la rentrée scolaire pour corriger les éventuelles erreurs d'aiguillage. En réalité, elles croulent – au sens propre du mot – sous le poids considérable des doléances et n'ont pas le temps matériel d'aller au fond des choses. Opération de pure routine administrative qui montre au grand jour le vrai visage d'une institution colossale à la gestion et au fonctionnement restés figés depuis des lustres. Les bousculades au portillon des commissions sont dans la majorité des cas sans écho. Elles concernent les parents qui «n'ont pas le bras long», les mieux nantis usent d'autres pratiques beaucoup plus rentables. Ces vieux réflexes dénoncés dans d'autres domaines de la vie nationale persistent au sein de notre système éducatif à la grande joie des bénéficiaires. Le scandale des inscriptions sauvages (élèves exclus ou désorientés) témoigne en ce sens. Une triste réalité qui dépasse la simple analyse académique du processus de l'orientation scolaire. L'observateur averti reste perplexe devant le nombre effarant de recours introduit chaque année par les parents. Il y a là des questions à poser. De celles, bien entendu, qui renvoient à la problématique de fond : celle de l'orientation. Les vœux pieux Si pour le parent, la scolarité de son enfant constitue le tremplin vers la réussite sociale, il n'en demeure pas moins que cet espoir dépend de certains facteurs. Décisifs, ces derniers – les passages : du primaire au collège (examen de 6°), de la 9e AF à la seconde, du bac vers l'université – conditionnent le parcours du combattant. A ces obstacles institutionnalisés, viennent s'ajouter d'autres facteurs où l'arbitraire n'est pas absent. D'abord le respect du choix des élèves (et de leurs parents) : il est censé être pris en compte par les fiches de vœu analysées lors des commissions d'orientation. Les élèves moins bien notés, la majorité, sont ventilés purement et simplement en fonction d'une carte scolaire fort contraignante. Mais en remplissant sa fiche de vœu, l'élève est-il conscient des enjeux de son orientation ? Dans ce registre, on ne peut que relever l'incohérence du discours officiel depuis 1981. C'est surestimer les capacités de choix de l'élève alors qu'il n'a reçu aucune préparation en prévision de cette délicate épreuve. Remplir sa fiche de vœu n'est pas une banale formalité. Ce geste exige de l'élève qu'il fasse une analyse de soi-même, de ses goûts, de ses aspirations mais aussi de ses capacités réelles et connaître les offres potentielles. Est-il normal d'astreindre l'élève à ce genre d'exercice sans l'outiller en conséquence ? Les seuls éléments d'appréciation, dont il dispose sont les conseils des parents – pas toujours judicieux – ou ceux de quelques aînés. La qualité de cette aide dépend du milieu socio-économique et de la catégorie socioculturelle auxquels appartient sa famille. Les plus démunis passeront sous les fourches caudines d'une fiche de vœu escamotée à la va-vite. Reste la fameuse vocation précoce d'une infime minorité d'élèves qui sauront choisir à dessein. Il est révolu le temps où dès le collège, les élèves affichaient leur vocation avec enthousiasme. L'exemple des normaliens – instituteurs d'avant 1970 se recrutaient sur concours à partir de la fin du collège. Ils s'en allaient pour une longue formation de quatre ans. De nos jours, les enfants algériens – l'exemple des adultes aidant – exhibent fièrement la vocation de «biznassia» ou d'affairistes, voire même de boulitique (et oui !). Des vœux exprimés en toute innocence par nos collégiens et lycéens. Bourdieu avait raison d'affirmer que l'école est un instrument de reproduction sociale même s'il n'avait pas en tête l'exemple ubuesque de la société (et de l'école) algérienne. L'absence de préparation /sensibilisation à l'orientation mènera l'élève jusqu'à ignorer la nature des filières proposées au lycée. Pis, il n'a qu'une vague idée des métiers et professions à embrasser au sortir de sa formation scolaire, voire universitaire. La semaine de l'orientation organisée une fois l'an ne résout pas le problème posé par cette carence en la matière. D'ailleurs – comme un fait exprès – elle est programmée en avril en même temps que la distribution des fiches de vœu. L'élève (et ses parents) n'ont, matériellement, pas le temps de «digérer» le trop-plein d'informations qu'ils doivent sélectionner et traiter afin d'exprimer leurs vœux. Comment ne pas parler de l'illusion suscitée et alimentée par le système de notation ? Un élève admis en seconde de lycée avec d'excellentes notes en sciences naturelles mais moyennes, voire insuffisantes en physique et en mathématiques, choisit (ou est contraint) d'être orienté en filière sciences. Dès le premier trimestre de lycée, il éprouvera des difficultés à suivre, y compris en sciences naturelles. Lui a-t-on dit que ces dernières n'ont pratiquement rien à voir avec celles du collège ? Non, il ne savait pas. De plus, il s'agit là d'une filière où les maths et la physique sont les matières de base. Il traînera cet handicap tout au long du secondaire avec l'inéluctable issue. Sans citer d'autres exemples d'orientation dictées par des évaluations incohérentes. Que dire de la désaffection quasi généralisée des élèves des filières du technique et de mathématiques ? On ne peut taire l'ostracisme qui frappe de nos jours encore le secteur de la Formation professionnelle. Nous payons là l'absence de passerelles opérationnelle d'orientation en direction de la formation professionnelle. Le déficit en communication de proximité au sein du système scolaire n'est pas en reste. Elle aurait revalorisé les structures d'accueil de la FP aux yeux des élèves et de leurs parents. Sur le plan de l'incohérence, l'exemple nous est fourni par cette étude statistique réalisée vers la fin des années 1990 à l'université de Bab Ezzouar où 80% d'étudiants de Technologie redoublent leur première année. La tendance persiste de nos jours encore. Certes, à l'origine de ce fiasco, il n'y a pas que le défaut d'orientation post-9e AF et post-bac. Nous citerons entre autres le changement brutal de la langue d'enseignement – le français succédant à l'arabe utilisée depuis le primaire. Quelques pistes En matière de préparation à l'orientation, les élèves des années 1970 – sans nostalgie aucune – étaient de loin les mieux lotis. Ils avaient dès la deuxième année du collège une séance hebdomadaire d'information aux métiers et à la vie professionnelle en sus des visites sur site et des contacts avec les professionnels. Les bibliothèques scolaires des lycées et collèges abritaient de la documentation spécifique aux filières d'études, aux débouchés des instituts et des écoles spécialisées. En nombres restreints, les conseillers d'orientation s'appuyaient sur des enseignants qui avaient à cœur de servir de relais au grand bonheur des élèves. Et à l'époque, les heures supplémentaires étaient inconnues dans les établissements scolaires. Ce dispositif de proximité a subitement disparu dès 1981. Loin de nous l'idée de remettre en cause l'abnégation et l'enthousiasme des conseillers d'orientation. Ils activent avec les moyens du bord et sont souvent confinés à des tâches administratives qui les éloignent de leur mission originelle et les transforment en «répartiteurs d'effectifs». Les mesures nouvelles annoncées ne sauraient remplacer une remise sur les rails des centres d'orientation scolaires (COSP) et leur redéploiement aux collèges et aux écoles primaires : là où se prépare l'orientation future. Il s'agira alors d'accroître le nombre de conseillers pour arriver à un taux appréciable d'encadrement conseiller-élèves et surtout de les outiller avec les techniques modernes, et ce, en leur reconnaissant le droit à la formation continue. Ils auront à animer la documentation au niveau des établissements, l'information et enfin l'orientation. Pourquoi ne pas élargir leurs prérogatives à la sensibilisation des enseignants aux nouveautés en matière d'évaluation. Les psychologues scolaires de plus en nombreux dans les COSP pourront s'insérer dans des équipes de dépistage des handicaps au niveau du primaire et élaborer en concertation avec les enseignants des stratégies de remédiation. L'idéal serait de faire jouer à cette structure un rôle de véritable espace d'observation, d'évaluation et de communication de proximité. Son immersion dans le milieu scolaire l'autorise à remplir ce rôle. C'est de communication interne que manque le plus notre système scolaire. Un déficit imputable à son mode de fonctionnement vertical blindé par sa forte hiérarchisation et sa centralisation à outrance. Pour rappel, le modèle jacobin du système scolaire français – qui a légèrement évolué depuis les années 1970 – avait été calqué sur celui de l'armée. N'oublions que notre système copie maladroitement celui de l'ancienne puissance colonisatrice. D'autres pistes existent. Il nous faut les explorer avec méthode et bon sens afin d'éviter la méchante manie de la précipitation. Elles permettront de réhabiliter l'orientation scolaire. Celle-ci deviendra ainsi un instrument au service du sacro-saint principe d'égalité des chances. On ne saurait terminer sans évoquer le cas alarmant de la scolarité de base, le préscolaire et le primaire. N'est-ce pas à ce niveau que se construisent les fondations du destin scolaire de l'élève ? Un arbre mal planté, dans un sol appauvri, ne pourra jamais donner une bonne récolte. Et l'orientation future de ces élèves du primaire augure de la récolte de notre système éducatif. A-t-on compris à sa juste valeur le métier de jardinier ? Pas sûr. «La réussite pour tous» est un concept en vogue sous d'autres cieux. Il oriente toute la stratégie pédagogique : des méthodes d'enseignement aux programmes en passant par l'évaluation et la pratique du maître. Ce concept bien géré induit la revalorisation du secteur de la formation professionnelle, plus particulièrement ses débouchés (diplômes et postes de travail). Qu'est-ce qui empêcherait un élève orienté en formation professionnelle, avec son consentement, à rejoindre après un cursus sérieux une filière de niveau universitaire ? Seule une réorganisation en profondeur de ce secteur pourra le réhabiliter aux yeux des parents et des élèves. Actuellement, l'orientation hors lycée est vécue comme une dévalorisation, un échec. Comment faire pour renverser la vapeur et donner au secteur de la formation professionnelle prestige et crédit ? C'est un autre défi qui se pose à notre société. – Dans notre édition de la semaine prochaine, nous porterons à la connaissance de nos lecteurs les nouveautés enregistrées au niveau de la Formation professionnelle.